La Poste SA: ils en rêvaient, vous la paierez

Paru dans Le Courrier le mercredi 27 Février 2008
PHILIPPE BACH

Le Conseil fédéral a annoncé hier à l’improviste – quoique la nouvelle était dans l’air depuis une bonne année – sa volonté de faire sauter le dernier monopole de La Poste. A savoir celui des lettres jusqu’à 100 grammes. Ce marché-là sera lui aussi libéralisé en 2012 (avec une période transitoire dès l’an prochain, où la limite passera déjà à 50 grammes). La Poste sera ensuite encore tenue d’assurer un service universel durant cinq ans. Après, tout sera confié à la main invisible du marché.

C’est bien à une nouvelle avancée du rouleau compresseur néolibéral que nous assistons. Ce processus a en effet été enclenché en 1997, lorsque le parlement, avec le blanc-seing des socialistes, avait décidé la fin de la régie PTT. Ceux qui, à l’époque, plaidaient pour un référendum ont été taxés de ringards, voire de fossoyeurs d’un service postal de qualité car libéré de ses pesanteurs étatiques. De fait, la gauche de la gauche avait tenté un Alleingang mais elle avait échoué devant l’ampleur de la tâche. En effet, et cela montre qu’une certaine fourberie était déjà à l’oeuvre, ce ne sont pas moins de quatre textes qu’il fallait attaquer. La suite est connue: les différents plans de restructuration ont vu la fermeture de toute une série de bureaux de poste et la réduction des heures d’ouverture. Et le service s’est dégradé – essayez d’acheter des timbres le soir, il n’y a plus de distributeurs, pensez donc, cela coûte trop cher! Dans le même temps, à coups de regroupements de centres de tri, des prestations aussi essentielles que la distribution des journaux sont également passées à la moulinette. Les délais d’impression ont dû être avancés et l’abonné a intérêt à vivre en ville, sinon le journal lui est livré de plus en plus tard, voire le lendemain pour des régions dites périphériques (mais où les PTT si antédiluviens et décriés parvenaient pourtant à assurer ce service). C’est donc à de nouveaux remous qu’il faut s’attendre. Le personnel fera les frais des fascinations marchandes des Moritz Leuenberger et Ulrich Gygi, le rosâtre patron de La Poste. Espérons juste que la dégradation des prestations n’atteindra pas les sommets de certains pays voisins. En France, certaines régions ne sont plus desservies. Les habitants sont avertis par post-it qu’un colis les attend au guichet. Un marché providentiel pour les opérateurs privés du type UPS ou DHL. Ceux-ci sont libres de passer des contrats avec des gros clients – gageons que l’UBS pourra obtenir de substantiels rabais – et faire payer le prix coûtant aux petits usagers. Du gagnant-gagnant, comme on dit en langage de technocrates. Ceux-là mêmes qui gèrent et légitiment le processus en bons bureaucrates de la mondialisation. Du flan, rétorquera-t-on dans le langage courant. En théorie, un référendum sera possible. On souhaiterait que l’occasion soit saisie cette fois-ci pour défendre le bien commun et le garant de cohésion sociale que constitue une desserte postale de qualité. Mais rien n’est moins sûr. En effet, selon la théorie dite du cliquet, une fois qu’un processus de libéralisation est engagé, il est trop tard car trop coûteux, ou ce n’est «pas le bon moment» pour revenir en arrière.

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