En 2001, le Géant jaune réorganisait son réseau de bureaux de poste, puis ses centres de tri. Aujourd’hui, les prestations aux usagers sont en baisse et les tarifs en hausse. Le gros client est roi.
Il y a dix ans, nous avions le meilleur réseau postal du monde, aujourd’hui ce n’est plus ça ». Quand il parle de la dernière décennie qu’a traversée le Géant jaune depuis la séparation des PTT en deux entités, Olivier Cottagnoud ne mâche pas ses mots. Au point de s’être mis souvent en porte à faux avec le syndicat de la communication qui n’appréciait guère ses critiques contre la collaboration, voir les compromissions de l’organisation avec la direction. Cette mise à l’écart ne l’a pas empêché de continuer à militer dans les rangs du Syndicat autonome des postiers (SAP) qu’il a fondé. « Aujourd’hui, la pression sur le personnel et les salaires est forte. De nombreux collègues cherchent à quitter leur emploi. Les prestations à la population et la qualité des services sont en baisse et les prix et taxes augmentent, alors que la Poste vient de faire un milliard de bénéfices », dénonce le Valaisan.
1/3 des bureaux supprimés
Depuis onze ans, il est vrai que la Poste s’est vue chamboulée en profondeur au nom de l’ouverture des marchés et de la libéralisation des services postaux. La première estocade avait été portée en 2001 avec la réduction du nombre de bureaux de poste. « On a fermé près de 1’100 offices, soit un tiers du total, c’est énorme », rappelle le syndicaliste. Cette fermeture avait soulevé, comme tout le monde s’en souvient, une forte mobilisation dans la population. « La direction a justifié cette réduction par le coût du réseau postal, qu’il estimait à 500 millions, cela a permis de forcer la main à nombre de communes, mais les chiffres n’ont jamais été clarifiés, comme l’a souvent dénoncé PostReg (l’autorité de surveillance mise en place par la confédération, ndlr) », explique le syndicaliste. Puis est venu le temps de Rema, réorganisation des centres de tri, contestée surtout par les employés. En 2006, trois centres principaux de tri et six centres secondaires ont ainsi été inaugurés. Pour finir a déboulé le projet Ymago, programme de gestion des bureaux de poste. De quoi déboussoler complètement le personnel. « La Poste se préoccupe aujourd’hui avant tout de ses gros clients qui représentent 80% de son chiffre d’affaire. Pour les autres, on explique que le réseau coûte toujours trop cher », précise Olivier Cottagnoud. « Les bureaux de campagne, qui tournaient avec des loyers de 10’000 francs n’étaient pourtant pas les plus déficitaires. Ce sont souvent ceux dans les villes qui, du fait des locations, étaient les plus chers ». Aujourd’hui, pour les responsables de bureaux (ceux qui restent encore) la vie n’est vraiment plus aussi idyllique. La carte postale du petit bureau de campagne, proche de ses clients, a bel et bien été reléguée aux oubliettes. Avec le dernier plan Ymago, de nombreuses prestations postales ont été retirées aux buralistes (pour être transférées comme les paiements, par exemple, sur Postfinance une autre unité d’affaire (UA), ndlr). Ils vendent donc plus de produits de kiosque, de babioles. Il y a moins de temps de travail, moins d’horaire d’ouverture, moins de services et compétences, du fait d’une centralisation accrue, donc moins de salaire. « Les gens doivent souvent chercher un complément de salaire ailleurs, même si le trafic en lui-même ne diminue pas », constate amer Olivier Cottagnoud. Le comble de l’affaire, c’est que ce sont les députés de la droite, PDC, radicaux et même UDC qui sont montés aux créneaux pour défendre ces petits buralistes, près de 250 sur toute la Suisse, qui n’arrivaient plus à joindre les deux bouts. Tant le parti socialiste est empêtré dans le dossier entre son ministre de tutelle, Moritz Leuenberger, son directeur général, Ulrich Gygi et un syndicat qui avait à sa tête jusqu’il n’y a pas si longtemps, Christian Levrat devenu entre-temps conseiller national et président du PS. Oui, mais tout cela ne se fait-il pas pour sauver la Poste ? Et ce, dans un contexte de suppression des domaines réservés (une consultation est en cours pour supprimer le monopole sur les envois de moins de 100 grammes) et d’ouverture à la concurrence, notamment dans le secteur colis. Pour Olivier Cottagnoud, tout cela est surtout un prétexte pour baisser les salaires, engager des auxiliaires moins bien payés, flexibiliser le travail et fermer le réseau postal qui faisait la force de la Suisse avec comme objectif de transformer à terme la Poste en SA, qui pourrait, pourquoi pas, finir en bourse. L’important pour lui : « mettre un terme un terme au démantèlement du service postal ». « La Poste suisse cherche à se positionner sur le marché européen, à jouer dans la cour des grands. Elle ferait mieux de servir le pays et ne pas oublier que Swisscom a perdu des milliards en rachetant des entreprises à l’étranger ».
Opposition à la banque postale
Contrairement à certains de ses collègues, il ne pense pas que pour assurer l’assise financière du Géant jaune, il faille en passer par la création d’une banque postale. « Non seulement elle ponctionnerait des gros clients au réseau des bureaux, avec l’objectif de créer un réseau parallèle, mais elle n’apporterait aucun argent à ce secteur. De plus, elle perdrait la garantie de l’Etat et deviendrait une entité privée ». Une orientation claire vers les profits à tout prix, qui mettrait à mal le service bancaire universel. Une critique, partagée en France par le syndicat Sud-PTT, qui s’était opposée à une telle banque, « détournant la fonction sociale de la Poste ». S’il est un rare point oú Olivier Cottagnoud se trouve en accord avec la direction, c’est pour demander une CCT de branche pour tous les concurrents de la Poste, mais à une condition : « qu’une telle convention serve à augmenter les salaires des salariés et non pas à les aligner tous sur le bas ». Mais cette unanimité de vue avec les têtes à Berne ne dure jamais très longtemps. Et de dénoncer la volte-face de la Poste en matière de transport. De moins en moins de transfert des ambulants et de colis sur le rail et par les CFF, et de plus en plus de camions, souvent des sous-traitants privés pour alimenter les grands centres de tri comme Daillens. Conclusion du syndicaliste : « Il faut mettre sous tutelle la Poste, il faut un vrai organe de contrôle politique sur cette entreprise, sinon elle fait ce qu’elle veut ». On transmettra.
L’enquête censurée
« Satisfaction de la clientèle supérieure à la moyenne ». Chaque année, la Poste fait une large enquête auprès de ses clients et auprès de ses employés, par exemple, sur la gestion de l’entreprise. Une seule fois, la direction a été posée la question de confiance, interrogeant le personnel pour savoir s’il considérait sa direction comme « digne de confiance ». 55% des employés approuvaient ce qualificatif. Trop peu pour les pontes qui ont décidé de ne pas rendre public le résultat…et de ne plus jamais poser la question. Il faut dire que c’était en 2001, au temps d’une réorganisation pas très populaire, c’est le moins qu’on puisse dire, du réseau des bureaux postaux.
Le Courrier, vendredi 23 mai 2008, par Joël Depommier
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