L’eau a besoin de la protection du droit international

Acidus vous présente ici un texte repris de Aqueduc.info qui date de 2003, mais qui est toujours aussi actuel quant aux problèmes qu’il soulève !

SÉMINAIRE DE LA COMMUNAUTÉ DE TRAVAIL DES OEUVRES SUISSES D’ENTRAIDE - BERNE

L’accès à l’eau est-il un droit de l’homme ou seulement un besoin vital ? l’eau est-elle un bien commun, comme l’air que nous respirons, ou une marchandise au même titre que des mouchoirs en papier ou des réfrigérateurs ? À qui revient le droit ou le pouvoir d’ouvrir et de fermer les robinets : aux pouvoirs publics ou à la main invisible du marché ? ou plus concrètement encore, qui fixe le prix de l’eau dans les quartiers pauvres de Manille : le chef des finances d’une multinationale française dans un bureau parisien ou le Philippin élu par le comité de l’eau de son quartier ?

18 novembre 2003

Voilà, explique Rosmarie Bär, coordonnatrice de la politique de développement durable de la Communauté de travail des œuvres suisses d’entraide et ancienne parlementaire fédérale, voilà le genre de questions qui sous-tendent la revendication d’une convention internationale sur l’eau. Il ne s’agit donc pas d’une simple proposition de juristes en mal de nouveautés.

Rosmarie Bär se veut claire : la crise globale de l’eau ne sera pas résolue d’abord par les planificateurs ou les ingénieurs. Il ne s’agit pas seulement d’innover techniquement pour améliorer l’efficacité des réseaux d’eau ou augmenter leurs capacités. Ni de privatiser les réseaux existants.

L’eau a besoin de la primauté du politique et de ce qu’on appelle “la bonne gouvernance”. Cela réclame des bases juridiques s’appuyant impérativement sur les droits de l’homme. Et une véritable volonté politique. Car - ce que souligne le rapport mondial publié en 2003 par l’UNESCO sous le titre “Water for People - Water for life” - c’est du côté de “l’inaction politique” qu’il faut chercher la cause principale de la crise de l’eau dans de nombreuses régions du monde.

Par ailleurs, ce n’est pas par hasard que l’ONU a placé 2003, Année internationale de l’eau, sous le patronage de l’UNESCO. Pour cette organisation spécialisée dans la science, la culture et l’éducation, “cette ressource précieuse (l’eau) doit être considérée comme un trésor de la nature et une partie de l’héritage culturel de l’humanité.”

Règles faussées

L’eau, un droit de l’homme. Certes ce droit ne figure explicitement dans aucun instrument de droit international positif. Mais il découle d’autres droits, comme ceux à l’alimentation ou à la santé. De plus, en 1977, à Mar del Plata (Brésil), la première grande conférence des Nations Unies sur l’eau a tranché sans ambiguïté : “tous les peuples (…) ont le droit d’avoir accès à une eau potable dont la quantité et la qualité soient égales à leurs besoins essentiels”.

Entre temps, parallèlement aux conférences et forums consacrés à l’eau qui se sont multipliés au cours des deux dernières décennies, de nombreuses organisations spécialisées dans le domaine de l’eau ont vu le jour. Le résultat est que l’autorité politique des Nations Unies s’est peu à peu déplacée vers ces divers organismes, multinationales de l’eau, Banque mondiale ou autres.

Dès lors, les États se laissent en quelque sorte aspirer par ces sociétés commerciales et entraîner dans l’euphorie des partenariats publics-privés. Non sans contradictions politiques : le “droit à l’eau” que la communauté internationale affirmait jadis dans les textes de l’ONU, elle l’a elle-même transformé en “besoin d’eau” dans les forums mondiaux. Le “bien public” est devenu “bien économique” à disposition des meilleurs soumissionnaires privés. L’eau, parent pauvre des préoccupations internationales

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU a beau avoir publié en 2002 un “commentaire général” sur le droit à l’eau qui pourrait servir de pierre angulaire à une future convention, cette prise de position contre la marchandisation de cette ressource vitale est restée largement ignorée des milieux politiques.

Faut-il le rappeler ? Le Sommet de la Terre de Rio, en 1992, a débouché sur des conventions importantes : sur le climat (considéré comme un bien commun de l’humanité), sur la diversité biologique, sur la lutte contre la désertification. L’ONU songe également aujourd’hui à un protocole particulier sur la protection des forêts. Seule l’eau, principe de vie absolu, reste jusqu’à présent sans aucune protection de droit international.

On rétorquera que les conventions n’offrent pas de panacées aux problèmes environnementaux. L’histoire des traités internationaux prouve amplement que leur mise en pratique aux échelons nationaux est une bataille en soi et que les États ne s’y résignent souvent qu’à contrecœur (le Protocole de Kyoto en fournit un bon exemple).

Des réponses qui viennent des premiers concernés

Mais, dit encore Rosemarie Bär, cela ne change rien à la nécessité de disposer d’un instrument juridique fondamental. D’autant que les trois grandes conventions adoptées à Rio montrent que le droit international, contrairement à de nombreuses critiques, est loin de privilégier les solutions uniformes et centralisatrices.

On y défend au contraire le principe de la responsabilité “commune mais différenciée” qui impose des obligations différentes aux pays en développement et aux pays industrialisés. La convention sur la désertification, par exemple, repose sur un ensemble de règles et de procédures allant de la base au sommet et faisant une large place à la participation et à la co-décision des populations locales.

Citant les conclusions d’une expertise juridique commandée par les Affaires étrangères suisses, Rosmarie Bär en déduit que “le temps est venu de codifier le domaine de l’eau douce d’une manière universelle”. C’est la seule manière d’en garantir une utilisation efficace et durable.

Autrement dit : “l’eau doit rester un bien public, comme l’air que nous respirons, car rien ne peut les remplacer”. Si l’eau potable est une condition de la survie de l’humanité, seuls les pouvoirs publics peuvent en garantir une répartition équitable et solidaire ainsi que son contrôle démocratique et le respect des traditions locales. Le domaine de l’eau a besoin d’un appui juridique et politique pour résister à la pression des privatisations. (bw)

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