Les fermetures de bureaux de poste

vendredi 12 juin 2009

Olivier Cottagnoud revient sur les méthodes de la Poste et sur « l’accompagnement » des syndicats et du PS.

Les fermetures de bureaux de poste font partie d’un long processus de démantèlement des services publics. Ce processus a démarré depuis le milieu des années 90, alors que la Poste était sous la direction de Jean-Noël Rey et qu’elle bénéficiait encore pour plus d’une décennie d’un monopole complet.

Le réseau d’alors comptait près de 4’000 bureaux de poste desservant à peu près tous les villages de Suisse. Le réseau actuel en compte moins de 2’400. Actuellement 10% de la population (plus de 700’000 personnes !) n’ont plus accès à un bureau de poste dans les 20 minutes à pied ou en transports publics. Les fermetures ont été décidées par vagues successives sous des projets d’appellations différentes (« Optima », « Typologie », etc.). On assistait à chaque fois au même scénario :
-Annonce du projet de fermetures par la Poste.
-Levée de boucliers syndicaux et politiques.
-Acceptation syndicale au prix d’un plan social généreux et la promesse (jamais tenue) de renforcer ce qu’il restait.

Le Syndicat de la communication s’était proposé « d’accompagner » d’une manière active le projet « Typologie » de 2001 à 2005. En ce temps-là, je militais dans ce syndicat comme spécialiste du réseau et représentant des responsables d’offices de poste. Nous devions « vendre » le projet et la fermeture de bureaux. Nous faisions des séances d’information pour expliquer le projet et en vanter les mérites aux collègues. Stratégie très habile de la Poste pour étouffer les protestations et anesthésier les résistances. Et cela a marché ! Pourtant, un événement trouble de la coresponsabilité du Syndicat de la communication n’a toujours pas été éclairci. 10 jours avant l’annonce officielle, et fatidique, des fermetures, la direction du syndicat nous a remis, pour acceptation, une copie de l’annonce officielle, avec le logo de la Poste et celui du Syndicat de la Communication, où il était stipulé la fermeture de 500 bureaux sur 10 ans. Inutile de vous dire l’effarement et le sentiment d’avoir été trompés lorsque 10 jours plus tard, le communiqué mentionnait 700 à 900 bureaux sur 5 ans, et ceci toujours avec le logo de la Poste et du syndicat ! Cette trahison avait suscité le courroux de la section Jurassienne Poste qui en avait appelé au tribunal arbitral interne. Plainte qui avait bien entendu débouché sur un non-lieu…

« L’accompagnement » s’est poursuivi d’une manière tout aussi active avec la commission SOMA, commission paritaire réunissant la Poste, le Syndicat de la Communication et Transfair (syndicat chrétien), où je siégeais en tant que représentant des responsables d’offices de poste. Cette commission a analysé tous les bureaux de petites importances (plus de 1’500) et les syndicats ont collaboré sans retenue, même lorsque le nombre de fermetures laissait entrevoir qu’on allait dépasser le nombre maximal annoncé en 2001.

Stratégie de l’étouffement
Pour arriver à ses fins et obtenir une acceptation politique suffisante, ou du moins une résistance minime, la Poste a conçu une stratégie efficace :
On impose aux petits bureaux une réduction des heures d’ouverture des guichets. Alors qu’auparavant les buralistes prenaient sur eux, pour la satisfaction des clients, de laisser ouvert les guichets pendant qu’ils faisaient d’autres tâches, la Poste les a obligés de pratiquer des réductions drastiques dans les heures d’ouvertures. Des buralistes ont dû réduire leurs heures d’ouverture de plusieurs heures par jour. Quand un client se retrouve deux fois devant une grille fermée, et qu’il doit se rendre dans un grand office dans le village d’à côté, la troisième fois il se rend directement dans le grand office.

On impose une réduction des prestations. La Poste, en prétextant que les besoins de la clientèle des petits bureaux sont marginaux, biffe des prestations postales par dizaines et amaigrit à nouveau les rentrées financières de ses petits bureaux et pousse les clients dans les grands offices.
On pratique un dumping et une concurrence déloyale interne en démarchant les grands clients des bureaux de poste, qui se voient offrir des prix inférieurs s’ils n’apportent plus leurs envois dans un bureau de poste. Ainsi la Poste peut faire l’annonce catastrophe, justifiant les restructurations, que le nombre d’envois déposés dans les bureaux de poste a baissé de 50% en 8 ans, alors qu’au niveau de la Poste au global les envois n’ont baissé que d’environ 2% par an.

Cette stratégie ne fait perdre aucun client et aucun chiffre d’affaire à la Poste, puisque les clients doivent se rendre dans d’autres offices de poste, ou sont pris en charge directement par d’autres unités d’affaire.

Stratégie des chiffres faux
La Poste a toujours justifié les fermetures, auprès des communes et du monde politique, par un soi-disant déficit du réseau postal de 500 millions de francs par année. C’est vrai que c’est un argument massue, mais fallacieux. Le réseau postal ne fait que peu de déficit et celui-ci est une décision de stratégie interne, comme l’a reconnu Mathias Finger, professeur de la chaire d’économie en réseau, sponsorisée par la Poste, à l’EPFL. Le résultat financier du réseau dépend de la facturation interne des prestations offertes par le réseau pour les autres unités d’affaires de la Poste. Il suffit d’augmenter, ou diminuer, de quelques pourcents un prix de transfert interne pour présenter un déficit ou un bénéfice de plusieurs dizaines de millions pour le réseau. L’autorité de régulation postale PostReg m’a confirmé qu’il était abusif de la part de la Poste d’annoncer un déficit pour le réseau. Alors que PostReg avait déclaré dans son rapport de gestion que la Poste ne présentait pas correctement sa comptabilité, le ministre de tutelle Leuenberger est intervenu pour faire taire cette critique peu avouable.

Le beau programme du PS
En parlant de Moritz Leuenberger, on doit également parler de l’attitude du Parti socialiste Suisse (PSS) au sujet de ces fermetures. Le PSS a souvent été un grand absent dans la lutte contre les fermetures. Le PSS n’avait soutenu que du bout des lèvres l’initiative « Poste pour tous » et n’y avait attribué aucun moyen financier. Le sondage GFS après la votation (le peuple avait rejeté l’initiative à 50,2%) avait appris qu’un tiers des membres du PSS avait rejeté l’initiative. Dans son programme 2000, le parti explique que « le PS est partisan d’un réseau de bureaux de poste attractif et adapté aux besoins actuels. Plutôt que de s’agripper au statu quo, le PS encourage la recherche de solutions créatives »… Beau programme ! Les « solutions créatives » sont exactement les termes utilisés par la Poste pour justifier les fermetures et leur remplacement par des self-services dans des magasins. Quand j’avais invité une soixantaine de parlementaires fédéraux à créer un comité dénonçant les fermetures de bureaux sur le prétexte du déficit, aucun des 25 parlementaires socialistes contactés n’a daigné y adhérer…
Nous avons vu l’attitude ambiguë du Syndicat de la communication. Transfair a une politique moins ambiguë, mais plus étonnante encore. Dans son dernier communiqué de presse, le syndicat annonce : « Transfair ne veut plus s’opposer aux fermetures de bureaux de poste. Il souhaite une adaptation en un pas, rude, du réseau actuel aux besoins actuels des clients »…

Pour une grève et des blocages
Quand au Syndicat autonome des postiers (SAP), il paie le prix fort de son indépendance vis-à-vis de l’Union syndicale suisse (USS) et de son attitude critique par rapport aux autres syndicats. Son opposition ferme ne trouve pas d’écho et ses appels à l’unité dans la lutte restent sans réponse. Pire, quand le SAP avait transmis au tribunal arbitral de la Poste un dossier contrant les arguments de la Poste qui voulait déclasser les responsables d’offices de poste (projet NEK 312), les autres syndicats ont refusé que ce dossier soit pris en compte.

Actuellement une pétition a été lancée par le Syndicat de la communication. C’est bien, mais la Poste n’a que faire des pétitions. Elle en reçoit régulièrement lors de la fermeture de bureaux de poste, et cela n’a aucune influence. Seule une lutte déterminée avec grève et blocages peut la stopper. On doit aussi faire le constat d’impuissance auquel est arrivé ce syndicalisme dont les militants sont cantonnés au rôle de récolteurs de signatures pour pétitions.

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