Suisse
Les avocats du géant bleu n’ont pas dû avoir le moindre moment de répit depuis l’arrivée de nouveaux opérateurs sur le marché des connexions internet à haut débit. L’amende de 220 millions de francs que Swisscom vient de recevoir pour abus de position dominante dans ce secteur arrive au terme d’un long bras de fer avec la commission de la concurrence (ComCo). En additionnant une précédente amende de 333 millions en 2007, la facture dépasse les 550 millions. Comparée aux 700 millions infligés en 2001 à Hoffmann-La Roche pour son rôle dans le fameux «cartel des vitamines», cette sanction en dit long sur le comportement de Swisscom. Avec un corollaire d’une évidence désarmante: la libéralisation des télécoms ne fonctionne pas.
Contrairement au laboratoire pharmaceutique suisse, le géant bleu a agi seul. Seul contre tous. Contre Sunrise, VTX, Green et les autres acteurs du marché, mais aussi contre les gendarmes de la concurrence et des prix. Seul, l’ex-opérateur historique est parvenu à geler la concurrence et à réduire pratiquement à néant les deux promesses de la libéralisation des lignes à haut débit en Suisse – une baisse importante des prix et l’arrivée d’innovations technologiques.
Swisscom était seul à agir mais avec la protection de la Confédération, son actionnaire majoritaire. Qui joue un troublant double jeu. Car elle ouvre d’une part le marché, mais elle laisse de l’autre son entreprise poser des barrages sur les routes d’accès. Quant aux régulateurs de la circulation, qu’ils se nomment ComCo ou ComCom (commission de la communication), leurs appels pour un renforcement de la loi tombent régulièrement dans le vide. A l’échec de la libéralisation des télécoms fait écho celui de la régulation.
La Suisse est régie par le modèle «ex post», permettant aux gendarmes du marché d’intervenir seulement après les faits. Avec une régulation «ex ante», qui se pratique dans l’Union européenne, les autorités pourraient s’inviter plus tôt dans le bal et fixer les prix. C’est ce que réclament la ComCo et la ComCom. Par ce modèle, la Confédération concilierait sa responsabilité d’actionnaire avec l’impartialité qu’exige son métier de régulateur. Mais est-ce vraiment ce qu’elle veut? Le projet d’une privatisation totale du géant bleu dort toujours dans les tiroirs du Conseil fédéral. Le renforcement de la surveillance du marché ne fera qu’augmenter la frustration du gouvernement. Une meilleure régulation risquerait de montrer que Swisscom peut apprendre à cohabiter avec ses concurrents, tout en restant entre les mains de l’Etat. Pour l’exécutif, cela reviendrait à se tirer une balle dans le pied.
Fabio Lo Verso - Le Courrier
0 commentaire à “Concurrence: les mauvais alibis de Swisscom”