La Poste: derrière la guerre des chefs, la privatisation rampante

Article pris dans le journal solidaritéS

Les remous qui ont agité la direction de La Poste ces dernières semaines, largement relayés par les médias, et ont conduit à la démission de Claude Béglé ne doivent pas faire oublier le véritable objectif obstinément poursuivi par le Conseil Fédéral, qui cherche simplement la meilleure personne pour le mener à bien : la privatisation totale du Géant jaune.

Sans doute Claude Béglé n’avait-il pas l’entregent requis pour conduire une privatisation qui n’est pas encore tout à fait acquise. Le Conseil fédéral marche en effet sur des œufs face à la menace d’un référendum de la gauche et d’une initiative récemment lancée par les syndicats visant à inscrire le service universel dans la Constitution. Et les déclarations tonitruantes de Béglé sur une Poste qui devrait être « gérée comme Nestlé » (NZZ, 9.01.2010), en finançant ses services par une expansion massive à l’étranger, risquaient de susciter la méfiance dans une opinion publique encore marquée par la débâcle de Swissair ou par les échecs répétés et ruineux de Swisscom sur les marchés asiatiques. De même, les mandats suspects d’un Béglé désireux d’arrondir ses fins de mois en travaillant pour des fonds d’investissement privés de Genève et de Dubaï s’accordaient mal avec l’image qu’on se fait du gestionnaire helvétique bien propre sur lui.

Leuenberger loue et engage l’ancien patron des patrons
Ainsi, le « socialiste » Leuenberger lui a préféré Peter Hasler, ancien patron des patrons helvétiques, dont il loue – sans rire ! – les « compétences sociales indispensables pour une entreprise publique » et « la vision de la responsabilité de l’économie dans notre société » (Le Temps, 21.01.2010). Leuenberger ne précise pas s’il fait référence au combat acharné de Peter Hasler contre l’assurance-maternité ou à sa croisade pour la réduction des indemnités de l’assurance-chômage durant la crise économique des années 90… Mais qu’on se rassure en tout cas sur les mandats annexes du nouveau président de La Poste : Hasler a su tirer les leçons de la déchéance de Béglé, en annonçant, grand prince, qu’il démissionnerait de deux des six conseils d’administration dont il est membre.

Reste qu’en dépit des changements de tête, la direction sait garder la ligne dictée par le Conseil Fédéral : l’ouverture totale du marché postal est prévue pour 2012, échéance avec laquelle Hasler s’est déjà déclaré « à 100 % d’accord » (Le Temps, 21.01.2010). Le 1er juillet 2009, le monopole de La Poste a déjà été supprimé pour les lettres de plus de 50 grammes. Cela représente environ 25 % du volume total du courrier, qui sera désormais soumis à la concurrence et… à la TVA, nouvelle façon de faire passer à la caisse les usagers – il faut dire à présent les « clients » – du service postal, par un impôt non progressif, c’est-à-dire pénalisant les plus modestes.

Parallèlement, les conséquences de la privatisation en terme de dégradation du service public postal ne se font pas attendre. En février 2009, La Poste a annoncé le « ré­examen » du statut de 500 offices postaux : sur les 114 déjà examinés en 2009, seuls 30 ont échappé à la suppression. Les habitants des quartiers populaires et des régions périphériques sont les premiers touchés. Par ailleurs, depuis l’automne 2008, un projet pilote a été mis sur pied dans plusieurs villes de Suisse visant à diviser les quartiers en deux catégories : « quartier d’affaires » desservis le matin et « quartiers résidentiels » desservis l’après-midi. Les critères de rentabilité – 80 % des recettes de La Poste sont réalisées grâce à la clientèle d’affaires – prennent le pas sur la mission de service public, ce qui fait écho aux demandes répétées de suppression du « mandat d’infrastructure » (l’obligation de desservir équitablement tout le territoire) par la direction. C’est aussi que « Postmail » doit devenir directement concurrentiel avec les messageries privées.

Suppression de postes en masse
Les restructurations s’accompagnent de plus de licenciements massifs : 1200 postes supprimés en 2009, et cela ne serait qu’un début : le Tages Anzeiger (21.01.2010) évoque ainsi la suppression de 1700 postes par année jusqu’en 2012. Si certaines restructurations – notamment la récente concentration du tri dans trois centres de courrier principaux – ne sont pas à rejeter, car elles améliorent l’efficacité de la distribution, il est scandaleux que celles-ci se fassent sur le dos des postiers qui subissent des licenciements. Les bénéfices faramineux de La Poste ces dernières années – avec une pointe record de 909 millions en 2007 – suffiraient à financer l’introduction de la semaine de 35 heures à La Poste sans baisse de salaire, ce qui permettrait d’éviter tout licenciement.

Cette solution serait d’autant plus légitime que les bénéfices croissants dégagés par La Poste ces dernières années l’ont été au prix d’une augmentation draconienne de la pression exercée sur les employés : baisse de salaires des guichetiers en février dernier, accroissement de la charge de travail par le non-remplacement des salarié·e·s en congé maladie, annualisation du temps de travail depuis 2008, etc. De plus, la direction mène une véritable politique de précarisation des employés en remplaçant systématiquement les départs à la retraite par des engagements à « l’échelle de fonction 2 » (EF2) : synonyme de taux partiels et de salaire plus bas. A l’horizon 2018, la moitié du personnel devrait être engagée en EF2, avec des taux d’emploi entre 20 % et 60 %, pour répondre à l’objectif de la direction. Cela permettrait, aux yeux d’un management désormais obsédé par la rentabilité, d’absorber les fluctuations du volume de travail par une flexibilité accrue, voire par le licenciement des intérimaires au gré des besoins.

Hadrien Buclin

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