La privatisation de La Poste en France : le détournement d’une mobilisation

Paru dans Attac

La situation actuelle
Le 12 janvier 2010, la Commission mixte paritaire (CMP) Assemblée Nationale – Sénat de France a adopté en procédure d’urgence le texte de loi qui établit que : « La Poste est transformée à compter du 1er mars 2010 en une société anonyme dénommée La Poste ». Et, à partir du 1er janvier 2011, l’activité postale est ouverte à la concurrence en France.

Début de la mobilisation
La mobilisation en France contre cette privatisation a commencé en octobre 2008. Le 8 octobre s’est réuni pour la première fois le comité parisien contre la privatisation de La Poste.
Ce comité est formé des centrales syndicales présentes à La Poste : FO, CGT, SUD, CFTC, CFDT, plus les organisations politiques : Les Verts, Parti Socialiste, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Alter Ecolo, Les Alternatifs, Alternative Libertaire, M’PEP Mouvement politique d’éducation populaire, FASE La Fédération pour une alternative sociale et écologique, ATTAC, Parti Communiste Ouvrier Français, NPA Nouveau Parti Anticapitaliste. Un total de 60 organisations y participent (cf. http://www.appelpourlaposte.rezisti.org/).
Elles ont établi un appel national contre la privatisation de La Poste. Cet appel a été suivi par la constitution des collectifs dans tous les Départements de France. Ce sont des milliers de comités qui se sont constitués dans toutes les communes. A Paris, dans tous les arrondissements, il y a eu des comités.

Au niveau local
Avec Jean-Paul Dessaux, postier et militant du syndicat SUD-PTT, nous avons fait partie du comité du 13e arrondissement de Paris. A ce comité ont participé notamment : SUD-PTT, SUD-Etudiants, ATTAC, les VERTS, le PS, les Alternatifs, les Alternatifs libertaires, le PCF, le PG (Jean-Luc Mélenchon) et le NPA.
Nous avons organisé devant les bureaux de poste, comme tous les autres comités de France, à partir du 25 octobre 2008 et pendant plusieurs samedis, la signature d’une pétition nationale contre la privatisation. Cela a été le début d’une campagne de mobilisation des citoyens, des syndicalistes et des militants dans les quartiers, sans comparaison depuis des années en France.
Le 18 novembre 2008, nous avons organisé à la Mairie du 13ème arrondissement une première réunion publique pour préparer la participation de l’arrondissement à la manifestation nationale du 22 novembre, à l’initiative de 5 syndicats de La Poste. Cette manifestation a été appelée : « Pour l’ouverture d’un débat public et un référendum sur le service public postal ».

Au niveau national
Le 10 janvier 2009 a été organisée une nouvelle journée nationale de signatures contre la privatisation devant les bureaux de Poste.
La jonction avec les journées de début 2009
Au même moment, en Guadeloupe, a commencé une grève générale illimitée du LKP qui a duré 44 jours (voir les différents articles sur le site alencontre.org).
En écho un peu tardif, en Métropole, les grèves nationales ont commencé le 29 janvier 2009 avec une intersyndicale de huit confédérations : CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, Unsa et Solidaires (SUD). Certes, elles ont été d’une durée limitée à la journée.
Le comité national contre la privatisation de La Poste s’y est associé sous les mots d’ordre de :
1. Contre le changement de statut de La Poste, du public au privé ;
2. Opposition totale à toute forme de privatisation.
2,5 millions de personnes ont défilé dans les rues en France, lors de 195 manifestations, a indiqué la CGT. Dont 300’000 à Paris et 300’000 à Marseille.
Cela a été le début de « journées nationales d’action » très espacées dans le temps. La suivante a eu lieu le 19 mars 2009, avec 3 millions de manifestants. La grande énergie déployée par les salarié-e-s français-es a été très forte, malgré les coups extrêmement durs que le patronat et le gouvernement français portent à leurs intérêts.
Tout se passe comme si la mobilisation générale était redoutée, non seulement par le gouvernement, mais aussi par les directions syndicales. La crainte du débordement certainement.
En ce qui concerne la lutte contre la privatisation de La Poste, le comité national a remis, le 12 février 2009, une lettre ouverte au Président de la République, lui demandant d’utiliser le récent dispositif constitutionnel permettant un référendum - bien que les décrets d’application ne soient pas encore promulgués - afin de trancher la question de la privatisation de La Poste par un référendum. Cette démarche n’a eu aucune suite, bien évidemment.
Les « journées d’actions » en France finissent par lasser les salarié-e-s qui n’y voient aucun changement du rapport de force. Après le 19 mars, le 1er mai a mobilisé 1,2 millions de manifestants ; puis de nouvelles manifestations le 26 mai, et pour finir le 13 juin avec 150’000 manifestants dans toute la France. Il est certain que cela a eu un effet démobilisateur.
C’est dans ce contexte que le gouvernement a annoncé le 16 juin un calendrier de privatisation de La Poste. Evidemment, la lettre du Comité demandant un référendum est restée sans réponse de la part du Président Sarkozy. Le 29 juillet 2009, le projet de loi a été présenté en Conseil des ministres.

La consultation nationale
Réuni en assemblée plénière le 6 juillet 2009, le comité national contre la privatisation de La Poste a choisi, pour accentuer le débat public et lancer un référendum sur le service public postal, la date de la consultation nationale sur la privatisation de La Poste. Elle s’est tenue le samedi 3 octobre 2009.
10’000 points de recueil de votes furent organisés dans des milliers de communes dans toute la France. Au bas mot, ce sont plus de 40’000 citoyens et citoyennes, syndicalistes, militant-e-s qui se sont mobilisé-e-s dès la rentrée de l’été 2009.
Ce sont 2’348’382 voix qui se sont élevées dans toute la France, contre la privatisation de La Poste. Dont 101’782 à Paris. Les personnes qui sont venues exprimer leur opposition à la privatisation étaient très enthousiastes. Cette votation n’a pas de précédent en France.

La CFDT et le PS
François Chérèque, Secrétaire général de la CFDT, n’a pas participé à la votation citoyenne de La Poste car la question servant de base au référendum populaire n’était pas, selon lui, « la bonne question », a-t-il expliqué aux médias. Selon le secrétaire général de la CFDT, il aurait plutôt fallu demander « comment financer les missions de service public ? ». La CFDT a considéré que cette consultation était vraiment « populiste » en posant une question fermée : oui, ou non, à la privatisation de La Poste.
Bref, la CFDT fut le seul syndicat qui n’ait pas participé à cette consultation nationale. La CFDT a demandé que « notre représentation nationale (sénateurs et députés) débatte au Sénat et à l’Assemblée Nationale ! » la question de La Poste.
Cela a été le début du transfert du combat contre la privatisation, prenant appui sur la prise en main par la participation des intéressés eux-mêmes vers les instances institutionnelles parlementaires, dominées par les partisans de la privatisation.
A l’approche des élections des Conseils Régionaux en mars 2010, le PS a pesé de tout son poids pour arrêter toute mobilisation populaire. Cela a été suivi par la majorité des organisations politiques et syndicales. Ils ont renoncé à s’appuyer sur les 2,3 millions d’opposants (lors du référendum) et à mener une bataille politique avec l’ensemble de celles et ceux qui comprennent qu’il faut rompre avec le système capitaliste et les gouvernements qui le défendent, système dont la survivance exige la soumission des services publics aux lois du marché.

L’alternative tactique
Cette bataille politique, qui passait concrètement par une lutte politique pour une montée nationale pour le retrait du projet de privatisation par Sarkozy, n’a pas eu lieu. La « lutte » contre la privatisation de La Poste s’est transformée en une « grimace » et, comme je le disais au début, l’Assemblée Nationale vote tranquillement la privatisation.

Opération Cartes Postales
Au lieu de mener un combat politique national sur la base de la mobilisation générale, une nouvelle action symbolique a été organisée, pour continuer la démonstration nationale pour le maintien de La Poste en tant que service public. Cela a été l’opération « J’écris au Président », consistant à la distribution d’une carte postale rappelant le résultat de la consultation nationale et exigeant le respect de cette volonté populaire.
A nouveau, ce sont des millions de personnes qui sont allées dans les milliers de points de distribution de cartes postales détenues par les militant-e-s des comités locaux, et des millions de cartes postales qui ont été envoyées à l’Elysée, siège de la Présidence de la République.
Mais, parallèlement à cette dernière participation citoyenne, les syndicats ont passé la main aux partis institutionnels, comme le demandaient la CFDT et le PS, pour que l’action soit reconduite dans le cadre du Sénat et de l’Assemblée.

Au Sénat
Le 2 novembre 2009, le débat de la loi de privatisation a commencé au Sénat, jusqu’au 9 novembre, date à laquelle la loi a été adoptée en première lecture. Ce 2 novembre dernier, un pique-nique a été organisé dans le jardin du Luxembourg du Sénat par des délégations venues des régions : 350 personnes environ se sont rassemblées. Puis, ce projet de loi a été soumis au vote des députés le 22 décembre 2009. Une poignée de syndicalistes s’est rassemblée devant l’Assemblée Nationale.
Les missions de service public de la Poste, telles que le transport de la presse, l’accessibilité bancaire, l’aménagement du territoire et le service postal universel, n’ont aucune garantie du financement pérenne et intégral par cette loi.

Les conséquences
Les bureaux de poste seront remplacés par des « points de contact ». Ils pourront être toute épicerie ou commerce de proximité, voire bouche de métro, tel que cela existe déjà au métro Simplon à Paris. Des ouvertures nocturnes des guichets jusqu’à 21h30 sont prévues une fois par semaine, dans les villes de plus de 50’000 habitants. Les licenciements sont déjà prévus à partir de 2012.

Conclusion
Derrière cette privatisation d’un service public qui fonctionnait et qui était autofinancé, mais ponctionné par l’Etat, il y a une grande mobilisation citoyenne qui a été détournée pour pacifier le climat social, de sorte que les prochaines élections des Conseils régionaux en mars 2010 se déroulent dans la passivité et l’indifférence.

Bâle, 3 février 2010.

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