ÉCONOMIE - La multinationale Ingeus, mandatée par le canton pour réinsérer des sans-emploi dans le monde du travail, a reçu hier une délégation de l’association de défense des chômeurs. Celle-ci dénonce les méthodes pratiquées par la société d’origine australienne.

L’annonce de son arrivée sur le territoire vaudois avait suscité de vives critiques de la part des députés de la gauche. Quatre mois et demi plus tard, l’Association pour la défense des chômeuses et des chômeurs (ADC) se joint au mouvement. Hier, une petite délégation de ce groupement, soutenu par le député socialiste Nicolas Rochat, a ainsi manifesté chez Ingeus, la multinationale spécialisée dans la prise en charge des sans-emploi de longue durée, qui a pris ses quartiers à l’avenue du Théâtre à Lausanne depuis le début de l’année.

La société d’origine australienne a reçu le mandat de coacher 1150 chômeurs de longue durée et 700 bénéficiaires de l’AI sur une durée de trois ans, avec comme objectif de les réinsérer dans le monde du travail. Le Service de l’emploi vaudois espère ainsi donner un peu d’air aux Offices régionaux de placement, qui croulent sous le travail depuis quelques mois.

La prise en charge des sans-emploi par une société à but lucratif reste au travers de la gorge de l’ADC. «Ingeus fait du commerce sur le dos des chômeurs», s’offusque Christine D’Onofrio, membre de l’association. «Je suis venu de mon plein gré, raconte un quinquagénaire qui a fini par quitter la mesure de l’assurance chômage. Mais ma présence ne servait qu’à justifier le salaire des collaborateurs. Ingeus ne m’a rien apporté. » Un autre chômeur, qui n’avait pas connaissance de la manifestation d’hier, témoigne lui aussi de son abattement. «Je n’attends plus rien d’Ingeus, regrette cet homme au bénéfice d’une formation dans l’industrie. Depuis quatre mois, je perds mon temps. »

«Dans n’importe quelle mesure, il y a 5 ou 6% de mécontents», rétorque Roger Piccand, chef du Service de l’emploi, qui a signé le contrat avec Ingeus, tout en précisant qu’une étude de satisfaction pourrait bientôt être réalisée. Pour lui, Ingeus donne des résultats satisfaisants. «330 personnes ont été suivies par cette société et quarante ont été placées», avance-t-il.

Au sein de la direction d’Ingeus, qui est aussi sous contrat avec l’AI dans le canton de Zurich, on s’étonne à moitié des critiques. «Je comprends la réaction des manifestants, souligne Daniel Sieber, directeur des opérations pour la Suisse. On évoque souvent le problème de privatisation d’une prestation habituellement assumée par des institutions publiques, mais nous proposons un service en plus. »

Il n’empêche, la méthode Ingeus, qui reçoit dans un grand open space empêchant toute confidentialité, choque quelques bénéficiaires. «C’est un moyen de mettre de la pression sur nous chômeurs, de nous culpabiliser», estime l’un d’eux.

Président vaudois de l’Association des organisateurs de mesures du marché du travail, Stéphane Manco se refuse à fustiger un concurrent. «Nous sommes attentifs à savoir comment travaille ce nouvel acteur, remarque-t-il. Il est d’ailleurs prévu devisiter ses locaux en septembre. »

RAPHAËL EBINGER / 24 Heures