Une privatisation qui fait tousser

Le financement hospitalier sera revu dès 2012. L’hôpital zurichois Limmattal veut aller vite et loin en privatisant sa gestion et les soins ambulatoires. Tollé.

Le «Limmi», abréviation du nom de l’hôpital régional Limmattal à Schlieren, une ville de 15 000 habitants aux portes de Zurich, provoque l’incompréhension dans le public: les syndicats secouent la tête, les politiciens, même de droite, secouent la tête, et des économistes de la santé secouent la tête. En bref: personne ne comprend vraiment pourquoi cet hôpital veut privatiser si vite sa direction, ses murs et son secteur ambulatoire.

Votation populaire
Les critiques se déchaînent depuis mi-avril, date à laquelle le conseil d’administration a arrêté sa stratégie. Il voulait aller vite: une assemblée générale extraordinaire, agendée avant-hier, devait donner le feu vert. Lundi, l’hôpital admettait cependant que les changements voulus devaient être soumis en votation populaire dans les 17 communes concernées. Les délégués ont accepté le projet, mais la décision finale incombera donc aux citoyens.

«Nous sommes confortés dans notre stratégie, s’est réjoui hier devant les médias le président du conseil d’administration Thomas Hächler. Celle-ci permettra à l’hôpital de se développer et de répondre aux besoins de la région, en forte croissance.» Un plan B au cas où les citoyens diraient non? «C’est le scénario du pire, répond le président. Si cela se produit, la situation aura changé. Nous ne pouvons donc pas préparer de solution de rechange.» Economiste spécialisé dans la politique de la santé et consultant indépendant, Heinz Locher connaît bien le dossier.

Interview.

Les responsables de l’hôpital Limmattal affirment que la privatisation est la seule façon de répondre aux révisions de la LAMal. Est-ce correct?
Heinz Locher: La révision de la LAMal augmente la compétition entre hôpitaux et cliniques et nécessite une plus grande flexibilité entrepreneuriale. La forme juridique d’un syndicat de communes, qui a été abolie partout en Suisse romande et qui est une spécificité zurichoise, est beaucoup trop lourde pour la survie d’un hôpital dans une ère de compétition dynamique – il faut la changer. C’est la raison pour laquelle j’approuve l’idée de changer la forme juridique. Une «privatisation» dans le sens propre du mot n’est pas prévue.

A Schlieren, le problème n’est-il pas aussi que l’hôpital cherche un financement pour une rénovation de grande ampleur?
Effectivement, mais la situation n’est pas aussi dramatique que l’ont dépeinte les responsables actuels et l’hôpital est même classé deuxième dans le classement cantonal. Il faut agir, mais sans précipitation. Un partenariat public-privé permettrait effectivement de construire plus rapidement. Il est vrai aussi que s’il faut attendre des années, un hôpital perd en compétitivité.

La société privée du directeur ad interim actuel, cheville ouvrière de la privatisation, sera chargée de la gestion. Selon l’hôpital, l’expertise juridique a conclu que ce choix ne violait pas les règles de soumission. Mais cela paraît pour le moins maladroit…
Effectivement. Il n’y a pas eu d’appel d’offres. Il est aussi très dommage que le conseil d’administration ne veuille publier les deux expertises qui, selon lui, légitiment ses projets, qu’au mois de septembre. Tant de maladresses et d’urgence suscitent des questions. On se demande s’il y a une stratégie cachée…

De plus, comment cette société au capital de 350 000 francs sera-t-elle capable d’assumer des pertes, même de 2 ou 3 millions, qui pourraient survenir, étant donné le chiffre d’affaires de 110 millions de l’hôpital? Encore une fois, je n’ai rien contre l’externalisation de la gestion. Mais il y a d’autres variantes que celle proposée à Schlieren et on ne comprend pas pourquoi elles n’ont pas été sérieusement analysées.

Sur le fond, la privatisation des soins ne remet-elle pas en question la qualité des soins pour tous?
Je suis convaincu du contraire. En Allemagne, cela fonctionne bien. Cela permet même aux petits hôpitaux de survivre. Je ne partage pas l’idée selon laquelle la santé serait un bien public. C’est un bien privé et l’Etat n’a pas à le séquestrer, mais à le surveiller… Elle représente 11% du PIB, pas plus…
Ariane Gigon, Schlieren

Critiques et inquiétudes syndicales
Le Syndicat des services publics (SSP) ne ménage pas ses critiques, notamment concernant la privatisation du domaine ambulatoire: «Les prestations ambulatoires et stationnaires se basent sur la même structure, utilisent les mêmes appareils, dans les mêmes salles et avec le même personnel médical, explique Christoph Lips, responsable du dossier. Une véritable séparation exige un doublement des infrastructures et de l’administration.»De plus, ajoute Christoph Lips, l’ambulatoire n’est pas toujours déficitaire, comme le prétend le Limmattalspital. «Le secteur est même considéré comme une source de revenus croissante, car les séjours hospitaliers raccourcissent et sont de plus en plus remplacés par des traitements ambulatoires.» Le SSP s’inquiète également pour le personnel qui sera dès cet été transféré chez H Services, sans autre garantie que des promesses quant à leur caisse de pension et aux conditions salariales.
AG

Repères

Le projet : L’hôpital Limmattal
(39 000 patients ambulatoires, 9000 stationnaires, 1000 employés) restera un hôpital public, mais la gestion administrative est confiée à une société privée. Celle-ci doit verser les bénéfices dans son capital propre afin qu’il passe de 350 000 francs actuellement à 5 millions de francs. S’il n’y a pas de bénéfices? «Les pouvoirs publics seront sollicités», répond le président Thomas Hächler.

La société mandatée est déjà en place
H Services, basée à Baar (ZG), fondée en 2006 est active dans les conseils et services administratifs pour les hôpitaux, homes et cabinets de médecins. Le conseil d’administration compte trois personnes, dont le directeur intérimaire de l’hôpital. Le contrat intérimaire avec H Services est valable jusqu’à fin 2011. Une nouvelle structure de direction de l’hôpital est immédiatement mise en place.

Construit en 1970 l’hôpital doit être totalement rénové selon un partenariat privé-public. Le contrat de construction est confié à une entreprise générale. L’hôpital louera ensuite ses locaux.

Dernière étape le domaine ambulatoire, considéré comme déficitaire, est privatisé. La société chargée de ce domaine doit assumer les déficits.
AG

Le Courrier

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