Libérez les rives de nos lacs !

Paru le Mercredi 11 Août 2010 dans Le Courrier, Philippe Bach

Régions
Une initiative fédérale pourrait être lancée l’an prochain pour ouvrir au grand public les rives de nos lacs. Car ce principe de libre accès au domaine public a beau être ancré dans la loi fédérale sur l’aménagement (LAT), il se heurte à la dure réalité de la propriété foncière. On ne va tout de même pas laisser des gueux parader devant les châteaux des multimillionnaires que nos collectivités se donnent tant de mal à attirer à coups de forfaits fiscaux.

Dans le canton de Vaud, l’association Rives publiques ne lâche pas la pression. Elle élargit son champ d’action sur l’ensemble de la Suisse. Et elle est en train d’œuvrer pour que la législation fédérale soit durcie. C’est une chance à saisir pour que le peuple puisse avoir son mot à dire. Car il convient de rappeler qu’il s’agirait de tout, sauf d’une spoliation. Selon le régime foncier actuel, les rives de nos lacs sont bel et bien en mains de l’État. Et on est en face d’une confiscation par quelques-uns d’un bien commun. Au moyen de murets et d’autres enrochements, ces riches propriétaires ont subrepticement agrandi leur territoire. Vu les prix stratosphériques des parcelles le long du lac, on imagine les plus-values! C’est non seulement du vol légalisé – l’autorité sera plus prompte à embastiller quiconque tenterait de s’annexer un bout de rue pour son usage privé ou de planter une yourte dans un bois – mais il s’agit aussi d’un désastre sur le plan environnemental. Le bétonnage des rives nuit à la capacité d’épuration du lac et il détruit des biotopes de reproduction des poissons. Enfin, sur le plan social, cette privatisation est une perte dramatique en termes de convivialité. On relèvera avec satisfaction que les Verts semblent avoir plus qu’évolué sur ce dossier. Il y a dix ans, ils avaient magnifiquement sabordé un projet de loi genevois visant, précisément, à autoriser un cheminement lacustre. Déposé durant la législature de gauche (1997-2001), ce texte avait ses chances. Mais l’intense travail de lobbying de propriétaires avait porté ses fruits et abouti à une alliance opportuniste entre l’écologie politique et le capital foncier. Aujourd’hui, le parti écologiste dit avoir changé d’avis. C’est une bonne nouvelle. Car il faudra convaincre largement, au-delà du clivage gauche-droite. Le Suisse est propriétaire dans l’âme, même dans un canton aussi locataire que Genève. Et il faudra s’attendre à des assauts de démagogie, des parallèles vaseux – «après le lac, c’est votre balcon qui sera décrété d’utilité publique» – et de chantages à l’argent: pensez donc, tous ces milliardaires qui vont aller voir si l’herbe, à défaut d’être plus verte, ne serait pas mieux clôturée chez nos voisins. Le tout financé à coup de millions. A cela, il faut opposer le fait que le droit d’accès à l’espace public est des plus fondamentales, que l’accès aux rives est garant de lien social et que si quelques multimillionnaires en sont égratignés, et bien tant pis. Ou plutôt tant mieux. Cela participera à une saine abrogation de privilèges féodaux ou de nouvelles enclosures que le capitalisme remet au goût du jour, dans sa vieille tradition de la privatisation des biens publics.

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