Paru le Vendredi 24 Septembre 2010 dans Le Courrier
Olivier Vilain, Paris
International SOCIAL - Malgré deux mobilisations massives en deux semaines, le gouvernement français a réitéré hier sa détermination à allonger la durée du travail. Vers une nouvelle «victoire défaite» du mouvement social?
Les immenses foules mobilisées hier pour la seconde fois contre le projet de refonte des retraites peuvent-elles faire reculer le gouvernement? L’interrogation était présente dans les quelque 230 cortèges organisés dans toute la France par l’intersyndicale. Regroupant l’ensemble des confédérations, celle-ci fait pour l’heure le choix d’une répétition de journées d’action pour bloquer le relèvement de l’âge de la retraite prévu par le gouvernement. «Cette réforme est aussi l’occasion pour les jeunes travailleurs d’exprimer leur rejet global du traitement des questions économiques et sociales par ce gouvernement. Je pense qu’il est donc possible de mobiliser largement et de renouveler le succès que nous avions rencontré en 2006 contre le CPE1», estime Stéphane Haar, président de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) qui a appelé à manifester avec une vingtaine de mouvements lycéens et étudiants.
Un optimisme partagé par Jean-Louis Malys, responsable des retraites à la CFDT, seconde centrale du pays derrière la CGT: «Nous avons gagné la bataille de l’opinion. Les Français nous soutiennent et pour le moment personne dans nos syndicats ne demande de grève reconductible», dit-il en référence à la stratégie défendue à la gauche de la gauche.
La révision du système de retraite entamée par le gouvernement Fillon rencontre une opposition de plus en plus importante, surtout chez les salariés qui se verront imposer 85% des efforts supplémentaires pour financer les pensions. Sa mesure phare est le repoussement de deux ans de l’ouverture des droits à la retraite. Ainsi, un salarié avec une carrière complète devra attendre 62 ans pour toucher une pension entière; celui qui n’a pas cotisé assez devra attendre 67 ans.
La journée d’action du 7 septembre a rassemblé plus de deux millions et demi de manifestants, selon les syndicats. «Un salariés sur dix, c’est exceptionnel!» souligne Jean-Louis Malys. La journée du 23 septembre n’est pas demeurée en reste. «On vient de loin, rappelle Eric Aubin, en charge des retraites à la CGT. En mars, nous avions réuni péniblement 800 000 personnes.»
Durcir ou tenir?
Si la lutte prend de l’ampleur et si les syndicats restent unis, personne ne sait encore si ce type de mobilisation portera ses fruits. D’autant que les journées d’action sont très espacées, critiquent Force ouvrière (FO), troisième centrale du pays, et la très combative Union Solidaires. «Une grève reconductible ne tiendrait pas longtemps; l’opinion se retournerait contre nous», rétorque Jean-Louis Malys.
Certains syndicats plaident de leur côté pour une journée d’action le week-end afin d’étendre encore le mouvement. «La moitié des salariés de ce pays travaillent dans de petites entreprises qui n’ont aucun syndicat. Une telle manifestation leur permettrait de s’exprimer», appuie François Joliclerc, de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA). Une stratégie insuffisante au yeux d’Eric Aubin, tout en écartant une grève dure: «Pour la CGT, il faut plutôt que notre campagne se diffuse dans toutes les collectivités et devienne quotidienne. C’est le seul moyen d’élargir encore le mouvement.»
«Victoires défaites»
La question de la stratégie se pose avec acuité alors que les fortes mobilisations qui se succèdent depuis décembre 1995 n’ont jamais réussi à enrayer l’offensive néolibérale. Si bien que ce cycle de contestation est qualifié par Sophie Béroud, chercheuse à l’université Lumière Lyon 2, de décennie des «victoires défaites»2. Une «décennie» bien longue puisque depuis quinze ans les mouvements bien que massifs n’obtiennent plus grand-chose. Les fortes mobilisations de 2006 contre le sous-salaire jeune appelé CPE n’ont pas empêché la loi d’être votée, mais seulement qu’elle ne soit pas appliquée. L’autre victoire est celle du «non» au Traité constitutionnel européen (TCE) en mai 2005. Longtemps indécis, les Français s’étaient mobilisés massivement contre ce texte. Les dispositions du TCE ont pourtant été reprises dans le Traité de Lisbonne, moins de trois ans plus tard.
Syndicats déboussolés
Pis: en dehors des phases défensives, les syndicats sont incapables de mobiliser et peinent à dégager un projet de société alternatif. Ainsi, depuis le tournant de la rigueur orchestré par la gauche en 1983 et l’effondrement du Parti communiste, la CGT se retrouve isolée.
Pour conjurer cette marginalisation, les dirigeants de la confédération ont choisi d’occuper «les arènes institutionnelles d’échanges avec l’Etat et le patronat», selon Baptiste Giraud, chercheur à l’université Paris I2, venant ainsi sur un terrain où se concurrencent depuis plusieurs décennies la CFDT et FO. Des centrales qui sont tout autant affaiblies. Du coup, «la CGT se retrouve en 2003 et partiellement aussi en 2006 dans une posture où sa direction cherche à contrôler le rythme du mouvement social, à endiguer les volontés militantes de grèves reconductibles», observe Baptiste Giraud.
«La CGT ne doit pas jouer à cela cette fois», s’inquiète René Mouriaux, professeur émérite de sciences politiques et spécialiste des syndicats. «La loi sera adoptée par le Sénat début octobre. Si le processus n’est pas stoppé par une mobilisation à la SNCF ou dans le secteur pétrolier, nous essuierons une perte sèche. Ce sera pire qu’en 1995 ou qu’en 2003.»
Les syndicats pourraient toutefois être amenés à durcir leur stratégie devant l’absence de réponse du gouvernement. «D’autant que l’unité syndicale est bien plus forte qu’en 2003», se réjouit Didier Horus, responsable des retraites à la FSU, la principale organisation chez les enseignants.
Note : 1-Sous-contrat de travail spécifique pour les jeunes proposé par le gouvernement de Villepin.
2-Pour une Gauche de gauche, collectif, Editions du croquant, Bellecombe-en-Bauge, 2008.
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