Le Courrier, Olivier Vilain
International FRANCE - Un collectif d’associations s’est réuni à Paris pour contrer les tentatives du gouvernement français de propulser les activités bénévoles sur le marché de biens et de services.
Ambiance studieuse et chaleureuse dans une petite salle de réunion de l’Est de Paris. Samedi dernier, une quarantaine de représentants d’associations se sont réunis pour tenter de sauvegarder l’existence même des organisations à but non lucratif en France.
Certains avaient fait le voyage depuis la Bretagne ou la région lyonnaise à l’appel du Collectif des associations citoyennes (1). Dans la plus grande discrétion, le premier ministre français François Fillon a signé, le 18 janvier 2010, une circulaire qui fragilise des centaines de milliers d’associations en assimilant la majorité des activités associatives comme relevant du champ économique. Du coup, par cette décision, l’exécutif étend la réglementation européenne des aides aux entreprises à l’ensemble des subventions attribuées, qui sont pourtant essentielles dans le fonctionnement du milieu associatif.
En outre, cette directive oblige les subventions supérieures à 200 000 euros sur trois ans à être concentrées sur les associations remplissant une mission de service public. C’est donc la satellisation ou la mort. «Difficile d’être indépendant dans ce cas. C’est la liberté d’association qui est ici remise en cause», souligne Didier Minot, cheville ouvrière du Collectif. «Nous avions des conventions de financement avec plusieurs ministères. La plus importante, celle conclue avec celui de l’Agriculture, est en déshérence. Notre mission généraliste ne l’intéresse plus», relève de son côté Pierre Careil, de l’association Chrétiens en monde rural, qui regroupe entre 12 000 et 15 000 membres.
«Un système pervers»
De plus, les subventions allouées sont basées sur ce que coûterait n’importe quel prestataire privé. «Les associations se retrouvent déjà avec des donneurs d’ordres, comme certaines collectivités locales ou des administrations, qui ne raisonnent plus qu’en termes de coût. Alors que les organisations non lucratives ne remplissent pas le même services que les sociétés qui ont pour but le profit et l’accumulation de parts de marché», raisonne Didier Minot. «On est dans un système pervers dans lequel l’Etat délègue aux associations de plus en plus d’activités, au fur et à mesure que le service public est asséché. Puis, il leur coupe les ailes en rationnant les moyens. Ce qui nous oblige soit à arrêter, soit à poursuivre dans des conditions de travail toujours plus dégradées», dénonce Régine Boutrais, administratrice de la Fondation sciences citoyennes (2).
La circulaire se réfère à la Directive services, appelée aussi directive Bolkestein. Celle-ci a été adoptée par le parlement européen en 2006. Cette directive a pour effet d’étendre le principe de «concurrence libre et non faussée» à tous les domaines de la société. L’interprétation qu’en fait le gouvernement français est extrêmement large, alors qu’en Italie les activités associatives ont été mises à l’écart du champ d’application de la Directive services.
Cette application sauvage en France est la conséquence directe de l’absence de débats parlementaires lors de la transposition de la directives, en 2009. «Contrairement à ce qui c’est passé en Espagne, par exemple, où les débats ont donné lieu à une loi cadre sur l’économie sociale, en France toute discussion au parlement a été refusée à l’opposition par l’UMP», détaille Colas Amblard, avocat au barreau de Lyon. Pour lui, il y a «un grave manque de concertation dans le cadre de la rédaction de cette circulaire».
Vers une professionnalisation
Toutes les associations ne s’opposent pas à la direction imprimée par le gouvernement. Certaines y voient l’occasion de se renforcer, durant la crise économique, en englobant d’autres structures plus petites. Une telle évolution favorise une professionnalisation, qui a pour effet depuis une dizaine d’années de créer de véritables entreprises dans le domaine du soutien scolaire ou de l’accueil préscolaire, notamment. Ces associations qui recherchent le compromis avec les pouvoirs publics n’étaient bien sûr pas présentes ce samedi.
Les membres du collectif sont au contraire très inquiets. «Nous nous sommes jointes au collectif parce que c’est de plus en plus dur et nous ne nous imaginions mal venir à bout de la circulaire toutes seules», explique Nicole Genoux, de la Maison des femmes de Paris. Les associations féministes ont été durement touchées par la politique gouvernementale. Ainsi, Elélé, une association de femmes turques a dû fermer ses portes en 2010. Et le Planning familial a de plus en plus de mal a remplir sa mission de diffusion de la contraception. L’association ne doit sa survie qu’à la mobilisation importante qui a empêché le gouvernement de lui diminuer drastiquement ses subventions. Dans le logement, c’est la très contestataire Confédération nationale du logement qui est mise en difficulté après la suppression d’une aide publique de 150 000 euros.
Contre-attaques
Les associations présentes sont d’autant plus inquiètes que la circulaire Fillon s’inscrit dans une politique d’ensemble: multiplication des appels d’offres, mise en place de critères d’évaluation totalement inadaptés avec la Réforme générale des politiques publiques (RGPP), réduction drastique des financements publics, réforme des collectivités territoriales… « La remise en cause des libertés associatives participe de l’affaiblissement de tous les contre-pouvoirs», s’énerve Didier Minot. Une volonté exprimée très clairement, en 2009, lorsque le gouvernement a confié à de petites associations, parfois ad hoc, la mission de visiter les centres de détention pour étrangers sans papiers en lieu et place de la très respectée Cimade, qui était un peu trop critique.
La journée de samedi a permis aussi de faire le point sur les contre-attaques possibles. Pour le moment, des membres du collectifs ont attaqué la circulaire Fillon devant le Conseil d’Etat. Cette juridiction ne s’est pas encore prononcé pour savoir si elle allait juger l’affaire. Le collectif compte bien mobiliser un maximum cette année, car 2011 doit être l’année du premier bilan sur la Directive services en Europe. «Il y a une coordination possible entre le collectif et les collectivités locales, qui sont nos financeurs, car la disparition des associations aggraverait les inégalités entre les territoires», estime Patricia Coler, de l’UFISC, une fédération d’organisations du spectacle vivant. I
Note : (1)www.associations-citoyennes.net
(2) Voir à ce sujet L’Etat démantelé. Enquête sur une révolution silencieuse, Laurent Bonelli et Willy Pelletier, éditions La Découverte et Le Monde Diplomatique, Paris, 2010.
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