LAUSANNE • Les partenaires d’un projet immobilier piloté par la ville s’engagent à lutter contre la sous-enchère salariale et le travail au noir.
Les ouvriers sont déjà à pied d’œuvre à l’emplacement de l’ancien parking-relais de Malley, où un complexe de cinq immeubles et 120 appartements doit sortir de terre d’ici 2013. Ce projet, qui s’inscrit dans le cadre du programme municipal lausannois «3000 logements», a été inauguré hier, avec la pose de la première pierre, symbolisée pour l’occasion par… un arbuste. Une manière de mettre en avant les propriétés écologiques du futur ensemble, conçu pour être peu gourmand en énergie.Mais la véritable innovation se situe dans l’accord conclu jeudi par les quatre partenaires du projet. La ville de Lausanne, en tant que propriétaire du terrain, les deux maîtres d’ouvrage (La Vaudoise Assurances et la société immobilière municipale SILL) et l’entreprise générale de construction Losinger-Marazzi ont signé une charte de collaboration destinée à combattre le dumping salarial et le travail au noir. Elle vise à faire appliquer les salaires conventionnels parmi tous les intervenants de ce chantier d’envergure. Outre Losinger-Marazzi, qui réalise le gros œuvre, une vingtaine d’entreprises devraient prendre part au second œuvre.
Sous-traitance limitée
L’accord établit, c’est une première, que les entreprises mandatées sont solidairement responsables de leurs sous-traitants quant au respect de la loi sur le travail et des conventions collectives (CCT). La volonté de limiter la sous-traitance figure par ailleurs explicitement dans ce document. Toute délégation de tâches devra faire l’objet d’une information aux partenaires sociaux et aux maîtres d’ouvrage. Il s’agit ici clairement d’éviter une dilution des responsabilités, par le recours en cascade aux sous-traitants.
Un cas de figure qui, selon les syndicats, s’est multiplié sur les chantiers, notamment dans le domaine du coffrage, du ferraillage, de la construction métallique et de la plâtrerie-peinture. Le dernier exemple en date est éloquent: sur le chantier de la nouvelle halle Volvo à la périphérie de Morges, des ouvriers portugais étaient payés 3,15 euros de l’heure, alors que la CCT prévoit un salaire minimum de 25,45 francs. Leur employeur, l’entreprise portugaise Construtoria Lubruma, était le sous-traitant d’une société allemande, elle-même sous-traitante de la société Ted Brinke, adjudicataire du chantier (notre édition du 30 septembre). Le syndicat UNIA a aussi dénoncé le non-respect des horaires de travail conventionnels: ces travailleurs détachés accomplissaient 60 heures hebdomadaires, samedi compris, alors que la CCT fixe la limite à 45 heures, sur 5 jours maximum.
Sanctions prévues
«Cette charte ne garantit pas à 100% qu’il n’y aura pas de problème, mais elle nous prémunit contre ce risque», estime Grégoire Junod, municipal PS chargé du logement. Concrètement, les mesures antidumping prendront la forme de contrôles d’identité réguliers sur toutes les personnes amenées à évoluer sur le chantier. Elles devront en outre dûment faire valoir un permis de travail. Les sous-traitants feront aussi l’objet de vérifications. «En cas de doute, l’individu ne pénètre pas sur le chantier ou l’entreprise n’est pas retenue pour y travailler», précise Etienne Bléhaut, directeur général adjoint de Losinger-Marazzi. Si des infractions à la loi sur le travail ou à la CCT devaient néanmoins être constatées, une série de sanctions est prévue, qui va de l’amende à la rupture de contrat.
«Avec cette charte, on franchit une étape supplémentaire, en instituant une vraie collaboration avec l’administration et les organismes sociaux», se félicite Etienne Bléhaut. Qui ajoute que l’accord vient compléter les dispositions déjà prises au sein de l’entreprise pour éviter les abus. «La très forte majorité des entreprises et des partenaires sous-traitants sont en règle», assure toutefois le directeur général adjoint.
Pour Grégoire Junod, cet engagement constitue un précédent. L’édile socialiste compte réitérer la conclusion d’une telle charte pour les projets immobiliers pilotés par la ville. Côté syndical, on salue déjà ce premier accord. «C’est un grand pas en avant», réagit Pietro Carobbio, responsable de la construction chez UNIA Vaud. Le syndicaliste loue tout particulièrement l’introduction du principe de responsabilité solidaire pour la sous-traitance. D’autant plus qu’Unia souhaite intégrer cette règle à la CCT du gros œuvre, actuellement en négociation avec la Société suisse des entrepreneurs (SSE). En vain, pour l’instant: «La SSE ne veut pas entrer en matière sur cette question», déplore Pietro Carobbio.
Le Courrier, 14 octobre 2011, Arnaud Crevoisier
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