Tri du courrier: quand la machine remplace le facteur

GÉANT JAUNE • Le 1er mars prochain, Genève inaugurera le tri séquentiel. Les postiers craignent une baisse drastique de leur temps de travail.

Des machines qui avalent 40 000 lettres par heure, capables de déchiffrer la quasi-totalité des adresses, même lorsqu’elles sont écrites à la main, tel est le défi relevé par le tri séquentiel automatique. Un outil performant grâce auquel La Poste Suisse entend rester «moderne, compétitive» et, accessoirement, maintenir son chiffre d’affaires, 910 millions de francs de bénéfices en 2010, sans doute autant cette année.
Concrètement, après trois passages successifs dans les entrailles de ces machines, le courrier en ressort classé non seulement par quartier, mais aussi dans l’ordre de distribution de la tournée, jusqu’à l’ordre des boîtes aux lettres! Une dernière étape effectuée jusqu’ici manuellement par les facteurs, en début de service, dès 6 heures du matin. De quoi leur simplifier la vie? En théorie seulement.

Pas de licenciements, mais 270 postes en moins
Baptisé «Distrinova», le projet sera mis en place partout en Suisse, dans les régions à forte densité de population, d’ici à 2013. A Genève, le processus se fera en trois étapes. La première se déroulera dès le 1er mars, à Carouge et dans deux quartiers du centre-ville (Vermont/Grand-Pré et Charmilles/Saint-Jean) au départ du centre de tri de Montbrillant. Ce ne sont pas moins de 240 collaborateurs du géant jaune qui sont concernés. Puis, en juin 2012, deuxième phase à Genève et à Meyrin; là encore, 150 personnes passeront au tri séquentiel automatique. Enfin, la troisième phase, qui touchera aussi Nyon, est prévue pour juin 2013.
La grande crainte des facteurs est bien évidemment de voir leur temps de travail baisser. Tout ce que les machines feront, ils n’auront plus besoin de l’effectuer. «La Poste elle-même a évalué le gain à environ trente minutes par jour, ce qui me paraît peu», rapporte Eric Schwapp, secrétaire syndical chez Syndicom.
Dix heures perdues chaque mois, c’est ce qu’on appelle travailler moins pour gagner moins. Des centaines de francs, estime le syndicaliste. Alors même que 30% du personnel est déjà employé à temps partiel. «Pour compenser, La Poste a proposé aux facteurs concernés d’engranger des heures supplémentaires, en se partageant la tournée d’un collègue parti à la retraite, par exemple.»

Malaise à la base
«Le nombre exact d’employés concernés par le tri séquentiel automatique est en cours d’évaluation. On estime à 270 le nombre de postes supprimés dans toute la Suisse. Mais on ne sait pas encore combien ils seront dans la région genevoise», déclare Nathalie Salamin, porte-parole de La Poste Suisse. «Nous avons une responsabilité sociale. Des solutions seront cherchées pour chacun. La Poste s’est engagée à ce que la mise en place du projet n’entraîne aucun licenciement. Nous jouerons avec les fluctuations naturelles.»
Pas de quoi cependant rassurer Francis*, qui craint de faire les frais de cette entreprise de rationalisation à grande échelle. Facteur dans un quartier populaire de Genève, il travaille depuis trente-sept ans à La Poste. Il ne cache plus son écœurement. «Pour les chefs, seuls comptent les chiffres désormais. Ils sont devenus comptables, ne savent même plus quel boulot on fait», dénonce-t-il, sous couvert d’anonymat.
Il s’en explique. «On a l’impression de ne pas être soutenus par le syndicat. A l’interne, plus personne n’ose ouvrir la bouche, de crainte d’être licencié.» Et le postier de dénoncer l’augmentation de l’absentéisme, des arrêts maladie, voire des dépressions, parmi le personnel. «Le tri séquentiel va faire des dégâts, les collègues sont déjà perturbés et les salaires pas mirobolants.»
«Malgré la perspective de voir le nombre de postes de travail diminuer, nous peinons à mobiliser», concède Eric Schwapp, qui plus est désormais interdit d’accès au centre de Montbrillant par une direction locale qui, visiblement, cherche à écarter toute velléité syndicale dans ses murs. «Pour la manifestation nationale contre Distrinova, le 17 septembre dernier à Berne, nous n’étions qu’une poignée de Genevois. Mais je n’écarte pas la possibilité d’actions plus musclées à l’avenir, comme ce fut le cas en 2004, lorsque nous avions bloqué le centre de tri.»

*prénom d’emprunt.

Christiane Pasteur, Le Courrier, 27 décembre 2011

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