La misère sur un tas d’or

Les assureurs encaissent 600 millions de bénéfices et facturent pour près de 2 milliards de « frais administratifs » par an.

« Les caisses roulent sur la jante », a déclaré Yves Rossier lundi lors de l’émission TTC de la TV romande. Et le directeur de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) de poursuivre : « Nous avons vécu sans problèmes durant l’époque des Trente Glorieuses et celle où l’Occident s’enrichissait sur le dos du reste de la planète ».

Ces propos lucides auraient pu être complétés par une explication sur le système de la LPP, celui de la capitalisation. Le peuple suisse en 1972 a préféré en effet ce système à l’initiative du Parti du Travail qui proposait une retraite populaire sur le modèle de l’AVS. La droite, bientôt rejointe par les syndicats, s’était alors laissée fasciner par le dogmatisme d’une vision du capitalisme et par des promesses de rendement du capital, comme si la croissance était inéluctable et les gestionnaires talentueux et désintéressés. La capitalisation permet que les caisses entassent actuellement le trésor faramineux de 700 milliards et qu’elles « roulent sur la jante ». La misère sur un tas d’or. La crise est passée par là, des milliards se sont évaporés en 2008 - plus de 70 dit-on - et les rendements ont fortement baissé. Or il faut pouvoir tenir les promesses de rentes jusqu’à la mort de chaque assuré, soit sur une durée de plus en plus longue. D’où l’accumulation des milliards qui réjouit les financiers. Le système de répartition de l’AVS évite un tel écueil : les cotisations récoltées en une année paient les rentes de l’année suivante. Sans faille depuis 1948, malgré les crises, la démographie et les augmentations des rentes.

Le 7 mars 2010, le peuple a vigoureusement refusé de baisser le taux de conversion de la LPP, qui est de 6,8%, refusant ainsi de baisser les rentes. Yves Rossier a laissé entendre que le Conseil fédéral allait proposer de nouveaux financements, alors qu’il vient de décider par ordonnance de baisser drastiquement le taux minimal, donc de menacer les rentes futures. Pas très cohérent. Il semble qu’un rapport et de mystérieuses propositions Burkhalter sont d’ores et déjà soumis à la commission fédérale extraparlementaire sur le 2e pilier.

Le scandale de la gestion

Selon l’OFAS, la gestion des 700 milliards engrangés par les caisses coûte la somme colossale de 3,9 milliards par année ! Pour chaque 100 francs de fortune du 2e pilier, 56 centimes en moyenne sont dépensés pour la gestion de ce trésor. Alors que bizarrement les comptabilités des institutions de prévoyance ne font apparaître que 795 millions et celle des assureurs 286 millions. Les frais effectifs sont donc quatre fois plus élevés que ce qui apparaît dans les comptabilités des caisses et dans la statistique officielle. L’OFAS relève que « Plus les frais de placement de la fortune sont élevés, plus le rendement net est réduit. L’augmentation des frais de gestion de la fortune en raison de produits complexes n’a pas été payante mais a simplement réduit le résultat. » Bel aveu d’échec.

Mais il y a pire : une analyse de Travail.Suisse sur les bénéfices des sociétés d’assurances vie dans le 2e pilier montre que ces dernières encaissent chaque année environ 600 millions de francs comme bénéfice pour les verser à leurs actionnaires. Pour une activité dans une assurance sociale ! Entre 2005 et 2010, les assureurs vie ont versé presque 2,5 milliards de francs provenant du 2e pilier. En même temps, on ne cesse d’alléguer que le taux de conversion actuel coûterait « beaucoup trop cher », à savoir chaque année quelque 300 à 600 millions de francs de trop. La contradiction entre le prétendu sous-financement et le prélèvement réel de bénéfices des assureurs vie est éclatante. Il est clair que les bénéfices engrangés par les assureurs vie constituent le point crucial de toute révision du 2e pilier.

Le 2 décembre dernier, l’OFAS s’est penchée cette fois sur les frais administratifs du 2e pilier : 1,8 milliard de francs, soit 391 francs en moyenne par personne assurée. Ce ne sont pas les coûts d’événements spéciaux comme l’invalidité, le décès, etc., qui engendrent l’essentiel de ces coûts. Au contraire, ce sont les tâches les plus courantes dont l’exécution est rapide. Les auteurs de l’étude en concluent qu’une grande partie des coûts est liée à des éléments clés du 2e pilier tels que le financement par capitalisation (tiens, tiens), l’autonomie des institutions de prévoyance et leur grand nombre.

L’OFAS propose-t-il alors des corrections rapides ? Il n’en est rien. Le Conseil fédéral s’étant dessaisi, avec la bénédiction des Chambres, de la responsabilité de la haute surveillance sur les caisses de pension, l’a confiée à un organisme privé de droit public, une entité indépendante à qui l’OFAS conseille paternellement de veiller à l’avenir à corriger ces dysfonctionnements. Ce que l’OFAS n’a pas su faire depuis plus de 30 ans. Ou plutôt ce que le Conseil fédéral n’a pas voulu voir durant des décennies…

Gauchebdo, 9 décembre 2011, par Christiane Jaquet

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