L’avocat des voyageurs jeté du train

TRANSPORTS PUBLICS • Doris Leuthard et le Conseil des Etats ne veulent plus que Monsieur Prix donne son avis sur les tarifs des CFF. Les consommateurs seront-ils condamnés à payer et à se taire?

En Suisse, le train des augmentations du prix du billet est lancé à grande vitesse. Mais le contrôleur risque de rester sur le quai à l’avenir. Ce contrôleur, c’est le Surveillant des prix. Aujourd’hui, il est la seule instance à pouvoir donner son avis sur les hausses de tarifs demandées par les CFF et les autres entreprises de transports publics. La seule, aussi, à pouvoir les modérer, ce qu’il avait fait avec succès en 2010. Ni le Conseil fédéral, ni le Parlement n’ont en revanche leur mot à dire.
Mais le rôle de Monsieur Prix est aujourd’hui remis en question dans le cadre du débat sur la réforme des chemins de fer. Sur proposition de l’Office fédéral des transports, et avec l’assentiment de l’Union des transports publics (dont les CFF sont la figure de proue), la conseillère fédérale Doris Leuthard et le Conseil des Etats sont prêts à empêcher l’avocat des voyageurs de ramener son grain de sel sur la facture – salée, elle aussi – que l’entreprise présente année après année à ses usagers.
«La mission de Monsieur Prix est justement de se prononcer sur les tarifs des entreprises monopolistiques!», proteste la conseillère aux Etats Géraldine Savary (ps/VD). Or, avec la solution votée il y a tout juste une semaine par les Etats (à une nette majorité de 29 à 10), «les CFF pourront décider seuls d’une augmentation des tarifs. Il me paraît malgré tout important que les usagers puissent faire entendre leur voix via le Surveillant des prix. Cela me paraît d’autant plus normal que le Conseil fédéral prévoit une augmentation du prix des transports publics de 20 à 27% ces sept prochaines années.»

Les CFF tiraillés
Las, si la version du Conseil des Etats l’emporte, «la surveillance des prix s’en trouvera fortement limitée dans les transports publics», confirme Stefan Meierhans, alias Monsieur Prix. «Les objectifs financiers fixés aux CFF par la Confédération primeront alors sur tout le reste, et nous n’aurons plus de marge de manœuvre.» Géraldine Savary perçoit là un dernier danger: après les CFF, d’autres détenteurs de monopoles – La Poste, les fournisseurs d’électricité – pourraient vouloir à leur tour s’affranchir de la surveillance de leurs tarifs.
Alors, pourquoi vouloir changer le système? «Les CFF sont actuellement toujours en porte-à-faux entre le Surveillant des prix, qui estime qu’ils gagnent trop d’argent sur le trafic voyageurs, et le Conseil fédéral, qui attend d’eux qu’ils dégagent des bénéfices (296 millions de francs en 2010)», avance leur porte-parole Patricia Claivaz, qui conteste toute volonté de mettre Monsieur Prix sur la voie de garage. Et d’ajouter: «Je comprends qu’on puisse être choqué qu’un service public fasse des bénéfices. Mais chaque franc est investi dans les infrastructures ou le matériel roulant.»
De son côté, la conseillère fédérale Doris Leuthard minimise: d’abord, le Surveillant des prix continuera d’être consulté, mais en amont, au moment de la définition des objectifs stratégiques que la Confédération, propriétaire, fixe aux CFF, a-t-elle expliqué devant les Etats. Il pourra en outre toujours intervenir après coup s’il constate des tarifs abusifs, ajoute Claude Hêche (ps/JU), président de la commission des transports des Etats.
Pour Doris Leuthard, toutefois, il faut donner aux CFF les moyens d’atteindre leurs objectifs stratégiques. Or, à l’entendre, le Surveillant des prix a tendance à se mettre en travers des voies: «Il trouve que les CFF réalisent beaucoup de profit sur la ligne Berne - Zurich, qui est la plus rentable du pays. C’est pourquoi, à son avis, elle devrait devenir nettement meilleur marché. Mais à travers cette ligne, les CFF subventionnent des prestations qui ne sont pas profitables.»

Le match n’est pas fini
Les consommateurs n’ont toutefois pas encore perdu la partie. Les deux Chambres continuent en effet leur ping-pong sur la réforme des chemins de fer, et la prochaine manche se joue aujourd’hui au Conseil national. Sa commission des Transports propose de maintenir le droit de regard de Monsieur Prix – un préavis adopté par 15 voix contre 5 et 2 abstentions, indique son président, le libéral-radical zurichois Markus Hutter. «On ne saurait accepter qu’une entreprise jouissant d’un monopole puisse fixer ses propres tarifs. Et à quoi servira Monsieur Prix s’il ne peut plus intervenir dans de tels cas?»

Le Courrier

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