En 2002, l’Argentine bravait le Fonds monétaire international et renégociait ses dettes. Son ministre de l’Economie de l’époque, Roberto Lavagna, suggère la même voie pour la Grèce.
Un pays du Sud de la planète en mesure de donner des leçons à un riche pays européen? L’idée est loin d’être saugrenue. La situation de la Grèce aujourd’hui se révèle en de nombreux points similaires à celle de l’Argentine de 2001. Son ministre de l’Economie de l’époque, Roberto Lavagna, a été celui qui a osé refuser l’argent du Fonds monétaire international (FMI), conditionné à un énième plan de «sauvetage», et décidé de répudier une partie des dettes illégitimes contractées par les précédents gouvernements. L’économiste sera à Genève jeudi dans le cadre du Festival du film sur les droits humains1. Interview.
Quelles comparaisons faites-vous entre la crise économique grecque actuelle et celle de l’Argentine en 2001?
Roberto Lavagna: Certains indicateurs économiques sont similaires: le déficit fiscal, le déficit du compte courant de la balance des paiements, la perte de la compétitivité et la faiblesse des investissements. Il existe en revanche de grandes différences sur les plans social et institutionnel. Au niveau social, en dépit d’une détérioration de la situation grecque, celle-ci est meilleure que celle de l’Argentine en 2001, qui a connu sa pire crise depuis 1890. Sur le plan institutionnel, la Grèce fait partie d’un ensemble politique et économique qui détient un grand pouvoir au niveau global. Si l’Union européenne en avait la volonté politique, elle aurait tous les moyens pour soutenir la Grèce de manière efficace.
Quel est votre diagnostic de la situation économique de la Grèce aujourd’hui?
C’est la réalité qui importe, pas les discours. Aujourd’hui, la situation est pire qu’il y a deux ans et demi, ce qui indique que les politiques suivies durant cette période ont échoué. La Grèce est entrée dans sa cinquième année de récession. Le chômage, surtout celui des jeunes, a atteint des niveaux inédits et la dette s’est accrue en comparaison au Produit intérieur brut. Seuls les créanciers privés ont vu leur situation s’améliorer. Ils se sont déchargés d’une partie substantielle de leurs créances sur des entités publiques, de l’Union européenne au FMI.
Quelles solutions préconisez-vous pour la Grèce?
Avant les solutions techniques, qui ont bien sûr toute leur importance, il me paraît fondamental que le gouvernement grec reprenne possession de ses programmes économiques et sociaux. Aujourd’hui, c’est la troïka Union européenne, FMI et Banque centrale européenne qui les définissent. Les solutions doivent commencer par là pour envisager ensuite un programme économique qui soit capable de créer les conditions de la croissance et de la création d’emplois, compatibles avec une réforme fiscale progressive et, inévitablement, une restructuration profonde de la dette. Il faut définir une politique économique cohérente afin de remplacer l’austérité appliquée aux secteurs sociaux les plus faibles par une politique de croissance.
La Grèce devrait-elle se défaire de l’euro comme l’Argentine s’est découplée du dollar?
Il y a deux ans, ma réponse aurait été définitivement négative. Il existait d’autres moyens. Aujourd’hui, la situation est devenue plus complexe. Pourtant, il convient de faire les efforts pour que cela ne se produise pas.
A propos de la monnaie, on devrait nous expliquer pourquoi l’euro, qui a été lancé à un taux de 0,80 dollar, a pu arriver en une décennie à un taux de 1,55 dollar. Rien dans les taux de productivité respectifs des Etats-Unis et du reste du monde ne peut expliquer une pareille appréciation.
Comment avez-vous fait pour faire sortir l’Argentine de la crise?
La solution a débuté par la reprise en main de la politique économique et sociale, en refusant les programmes d’ajustement récessifs du FMI. Elle a combiné plusieurs éléments décisifs: un grand effort de la société, qui a compris que pour la première fois depuis de longues années le gouvernement proposait des réponses différentes, une lutte importante pour la stabilité des prix en utilisant pour ce faire l’excédent fiscal, une politique monétaire qui a obligé les banques à recapitaliser ou à fermer, et de fortes incitations à investir et à créer des emplois.
Comment cela a-t-il été possible en Argentine alors que cela semble inconcevable en Europe? La mobilisation sociale est pourtant très forte en Grèce…
En 2001, l’Argentine traversait sa quatrième année de récession. En 1999, un programme du FMI, appelé le «blindage» financier, avait échoué, de même qu’en 2001 avec un autre programme du nom de «Mega swap». Avec ces fiascos sont arrivés la dévaluation, l’augmentation de l’inflation, l’existence de quatorze monnaies différentes émises par des gouvernements provinciaux, le défaut de paiement de la dette et le gel de tous les dépôts bancaires. Tous ces évènements, qui se sont produits avant que j’assume la charge du Ministère de l’économie, ont constitué la toile de fond des problèmes à résoudre. Je viens de mentionner comment nous nous y sommes pris. En décembre 2002 déjà, toutes les tendances économiques et sociales avaient été transformées, la réactivation de l’économie avait commencé. Durant la crise qui a duré quatre ans, l’Argentine a perdu 20% de son PIB. Si nous avions accepté les propositions du FMI, le pays aurait vécu plusieurs années supplémentaires de récession. Je crois qu’en Grèce la population est fatiguée des recettes vouées à l’échec que cette institution continue à leur proposer.
Quelles raisons expliquent cette priorité donnée aux banques et l’orthodoxie de la politique économique obsédée par l’austérité?
Les secteurs financiers sont essentiels au fonctionnement d’une économie de marché ou, si l’on veut, d’une économie capitaliste. Il ne s’agit donc pas de les attaquer mais de transformer leur fonctionnement pour qu’ils servent de lien entre les épargnants et les investisseurs. L’économie financière, que de nombreux observateurs ont qualifiée d’économie-casino, doit être contrôlée. Durant les deux ou trois précédentes décennies, la création de valeurs au niveau mondial s’est dématérialisée. Précédemment générées par les secteurs industriels, agricoles et des services (transports, commerce, etc.), ces valeurs ont peu à peu glissé vers les secteurs financiers qui se concentrent sur des opérations virtuelles déconnectées des activités réelles, de l’économie réelle. I
1. 1Roberto Lavagna a participé à un débat intitulé «Sous le joug des marchés financiers» après la programmation du film Krisis, de Nikos Katsaounis et de Nina Maria Paschalidou, qui ont également été présents. Salle Alhambra, jeudi 8 mars, 20h.
Le Courrier, 6 mars 2012, Christophe Koessler
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