Nestlé ou le commerce d’un patrimoine vital : l’eau

«Bottled Life» documentaire suisse signé Urs Schnell et Res Gehriger porte un regard acéré sur les dysfonctionnements mondiaux de l’eau embouteillée commercialisée par Nestlé.

« Quand on parle pognon, à partir d’un certain chiffre, tout le monde écoute» lançait Michel Audiard. Plus grande entreprise de transformation alimentaire au monde, Nestlé dégage annuellement 10 milliards de chiffre d’affaires grâce à l’eau en bouteille Perrier, Vittel, Henniez et San Pellegrino.

Dans sa stratégie de communication, Nestlé affirme sa responsabilité sociale tout en captant toujours plus d eau douce pour répondre à une demande toujours plus forte étayée sur un marketing de masse. Or en général les codes de bonne conduite des grandes entreprises, les Corporate Social Responsability, sont de puissants instruments de marketing où il est souvent difficile de distinguer la part promotionnelle de celle se rapportant à des actions concrètes. A Lahore au Pakistan, pour la production de son eau embouteillée Pure Life, la multinationale est accusée par les paysans locaux d assécher leurs réserves en eau par le pompage de nappes phréatiques. Le cinéaste Urs Schnell explique : «Partout dans le monde, au Brésil, au Pakistan, au Nigeria notamment, Nestlé essaie d acheter les terrains avec les sources ou d’autres entreprises en possession de droits pour exploiter de l’eau. Le groupe a su créer un nouveau marché dans les pays du Sud. Il concerne une eau présentée comme pure et propre qui permet à Nestlé d écouler par exemple 10 millions de bouteilles par an au Pakistan. Un pays dont le système de distribution publique d eau connaît de graves carences. Ainsi le gouvernement semble avoir démissionné par manque de moyens, voire corruption, alors que les organisations internationales investissent insuffisamment dans cette eau publique devenue impropre à la consommation. Le problème est aussi l’absence de régulation de cadre législatif pour régenter le commerce de l’eau mise en bouteille. « Aux États Unis le marché de l eau embouteillée se situe à 34 milliards de litres par an soit 111 litres par habitant. Le documentaire affirme que 4 bouteilles de PET vides sur 5 se retrouvent dans la nature. Il y a plus grave : on enfouit ou incinère les bouteilles usagées ce qui aggrave la pollution et le réchauffement planétaire. A Fryerburg, Etat du Maine, les dommages collatéraux induits par le transport de l’eau Poland Spring Nestlé par camions citernes depuis les sources jusqu’à l’usine d’embouteillage, suscitent l’ire et la révolte de certains habitants. A Lagos, Nigeria, enfin c’est le manque de suivi de la multinationale qui est mis en lumière dans l’entretien d’une installation de pompage et de filtrage de l eau.

Une enquête rigoureuse

Le film ressort plus de l’outil pédagogique dans la lignée des documentaires

classiques que du divertissement intellectuel savamment mis en scène, comme les films de Michael Moore ou celui d’Al Gore « Une Vérité qui dérange ». Il aborde nombre des maux qui traversent son champ d’enquête : surexploitation des richesses du sous-sol, spoliation des populations locales, pollution, marketing débouchant sur une consommation absurde et énergivore d’eau enbouteille de PET réalisées à partir du pétrole. Simplement la mécanique implacable d’une sorte de néocolonialisme économique. Bottled Life est un documentaire effarant sur les rapports Nord-Sud. Comme dans d autres films « We Feed the World », les stratégies des États et celles des groupes agroalimentaires responsables du déséquilibre des richesses, et « Le Cauchemar de Darwin », témoignage choc partant de l’eau à travers le scandale de la perche du Nil, c’est toujours un aller retour entre ce qui est consommé à table ou sur le marché et la façon dont la production et la distribution s’organisent.

La limite de Bottled Life est que même si les faits avancés sont exacts, les coupables semblent transparents. Cela est d’autant plus dérangeant que les coupables c’est aussi nous les consommateurs.

Enfin, l’opus dresse des constats et peu de solutions se profilent à la fin de la projection plongeant le spectateur dans une certaine perplexité ourlée d’une possible impuissance.

Bertrand Tappolet, Gauchebdo, 17.02.2012

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