Le Groupe Mutuel lance le débat: avec l’espérance de vie qui s’allonge et les coûts que cela entraîne, la prime unique est profondément remise en cause.
L’assureur Groupe Mutuel soupèse la question depuis une bonne dizaine d’années: ne devra-t-on pas, à l’avenir, alléger les primes-maladie des jeunes en formation et des jeunes familles, quitte à taxer davantage les plus âgés? Question délicate puisqu’elle touche à la solidarité entre générations, basée sur le système actuel de prime unique.
Mais l’évolution démographique est incontournable: l’espérance de vie s’allonge, donc la population vieillit. Et les coûts de la santé augmentent. Or, 80% des dépenses de santé sont occasionnés par les 20% les plus âgés. Autrement dit, avec la prime unique, les jeunes paieront toujours davantage pour les aînés.
L’assureur valaisan est aujourd’hui rejoint dans ses préoccupations par d’autres caisses (Helsana et Sanitas), les trois formant l’Alliance des assureurs-maladie suisses. Celle-ci a demandé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) de se pencher sur la question. Ce qu’il a promis de faire.
Toutefois, hier à Berne, le Groupe Mutuel a présenté un premier modèle possible de répartition des coûts en fonction de trois catégories de primes (sans compter celle des enfants jusqu’à 18 ans, qui ne serait pas touchée).
Exemple chiffré
Un exemple chiffré a été établi. A partir d’une prime unique de 260 francs (choisie dans les données 2010 de l’assurance-maladie), trois catégories ont été définies de manière à alléger les plus jeunes. Dans ce schéma, les 19-25 ans ne paieraient plus que 170 francs de primes (économie de 90 francs, soit 34,9%), les 26-35 ans 231 francs (économie de 29 rancs, soit 11%).
Pour compenser, les assurés âgés de 36 ans et plus verraient leur prime de 260 francs passer à 279 francs (+19 francs, soit 7,4%). Une hausse relativement modeste, du fait qu’il s’agit de la catégorie la plus nombreuse des trois.
Les calculs sont basés sur une étude réalisée à la demande du Groupe Mutuel par Martin Eling, professeur à l’Institut d’économie de la santé de la Haute école de Saint-Gall. Présentée hier également, cette étude montre les «effets de la solidarité», c’est-à-dire la somme globale que la jeune génération paie, en plus des coûts réels qu’elle occasionne, pour financer les coûts des aînés.
Cet «effet» était de 2,7 milliard de francs en 1996 (entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’assurance-maladie). Il est aujourd’hui de 6 milliards et, si rien n’est entrepris au niveau des primes différenciées, il sera de 20 milliards en 2030.
Lorsqu’on parle de démographie, «ce qui est valable pour l’AVS et le 2e pilier l’est tout autant dans le domaine des soins», commente Thomas Grichting, directeur général du secteur assurance-maladie du Groupe Mutuel. «L’augmentation, en soi réjouissante, des années de vie s’accompagne de besoins d’encadrement toujours plus importants en matière de santé.»
«Si nous voulons éviter que des jeunes en formation ou de jeunes ménages paient, à l’horizon 2030, une prime de 800 francs par mois, ajoute-t-il, il faut trouver les chemins et moyens de corriger les effets les plus néfastes de la prime unique».
Thomas Grichting a un autre argument à faire valoir. Les sommes consacrées à la réduction des primes des gens à faibles revenus vont, pour 75%, à des personnes de moins de 45 ans. Si on allège les primes des 19-36 ans, les subventions permettront d’aider davantage les assurés plus âgés.
A l’OFSP, l’idée fait l’objet d’une première approche, pour en observer les effets. Son directeur, Pascal Strupler, la juge «en soi intéressante». Il remarque aussi qu’on n’en est plus au temps où les retraités n’avaient que l’AVS pour vivre. On peut donc imaginer que la solidarité aille aussi dans le sens d’une aide aux jeunes familles. I
Guy parmelin, Conseiller national (udc/VD), vice-président de la Commission de la santé
«Nous devons aujourd’hui affiner le système de l’assurance-maladie. nous y réfléchissons d’ailleurs au sein de l’UDC. La solidarité est certes à la base de la LAMal, mais de nos jours les jeunes, généralement en meilleure santé, financent largement par leurs primes les personnes les plus âgées qui occasionnent plus de coûts. Et ces jeunes sont déjà extrêmement solidaires dans le deuxième pilier, puisqu’ils financent les rentes de leurs aînés sans garantie de pouvoir toucher eux-mêmes une rente à leur retraite. Il est donc temps de vérifier si on n’est pas en train de déséquilibrer le système de l’assurance-maladie. On pourrait, par exemple, imaginer 1 ou 2 paliers supplémentaires par rapport à maintenant, ou porter la nouvelle classe d’âge qu’envisage le Groupe Mutuel jusqu’à 40 ou 45 ans, une tranche d’âge qui assume une charge assez lourde avec l’éducation des enfants. Mais il faut être extrêmement prudent et bien étudier les répercussions d’un changement de système pour éviter de monter une catégorie de la population contre une autre.» SG
Jean-François Steiert, Conseiller national (ps/FR), vice-président de la Fédération suisse des patients
«Je ne vois pas la nécessité d’aller dans la direction montrée par le Groupe Mutuel. En effet, cette proposition ne change rien aux coûts de la santé, elle ne fait que les répartir différemment. Pour décharger les jeunes adultes, il faudrait charger d’autres catégories d’assurés. Un peu facile! Techniquement, la mesure présente à mes yeux deux défauts principaux: elle n’est absolument pas ciblée, alors que ce sont les familles à revenu moyen ne bénéficiant pas de subsides publics pour la réduction de leurs primes qu’il faudrait veiller à décharger. Et puis, avec cette idée, on touche au mécanisme de compensation des risques entre caisses-maladie. Or, je ne peux m’empêcher de soupçonner les assureurs de vouloir créer une nouvelle classe d’âge d’assurés pour pouvoir mieux sélectionner les «bons risques», soit les gens en bonne santé occasionnant les coûts les plus bas, et pour les cibler plus facilement au travers de la publicité et du démarchage. Mais à mon avis, cette idée n’ira pas très loin.» SG
Le Courrier - François Nussbaum
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