Swisscom doit assurer un nombre suffisant de postes téléphoniques publics. Mais chaque année, trois cents à quatre cents cabines sont supprimées pour des raisons économiques.
Dans une rue de Fribourg, la cabine vient d’être délestée de sa raison d’être: un téléphone. Il est en panne? «Non, on l’enlève définitivement.» L’employé de Swisscom qui effectue le démontage est amer. Lui, il préfère l’autre volet de son travail: l’entretien des téléphones publics. D’avoir à en supprimer l’attriste. «C’est dommage. Mais c’est comme ça.»
En Suisse, l’an dernier, près de 400 téléphones publics intégrés dans le mandat du service universel ont été rayés du territoire. En 2010, environ 300 avaient subi le même sort. Aujourd’hui, il en reste 4100, et le phénomène se poursuit: rien que dans le canton de Fribourg, une quarantaine de téléphones publics seront démontés d’ici au mois de juin.
Pourtant, la Confédération a confié à Swisscom le mandat du service universel: jusqu’en 2017, l’opérateur se doit notamment d’assurer un nombre suffisant de postes téléphoniques publics. Entrée en vigueur au 1er janvier 2010, la révision de l’Ordonnance sur les services des télécommunications garantit l’installation d’au moins un poste téléphonique dans chaque commune politique. «A moins que cette dernière n’y renonce», précise Christian Neuhaus, porte-parole de l’opérateur suisse. «Swisscom ferme uniquement les publiphones si les communes donnent leur accord et que la demande de fermeture est approuvée par la Commission fédérale de la communication.»
Vraiment? Syndique de Villars-sur-Glâne, troisième commune du canton de Fribourg avec ses 11 500 habitants, Erika Schnyder relève cependant: «Nous n’avons guère notre mot à dire… On vient de supprimer dans le quartier de Villars-Vert l’une des deux cabines publiques. Swisscom nous a avertis en février. Et il ne nous demandait pas notre avis.»
La lettre de Swisscom précisait que cette cabine a enregistré, au cours de ces deux dernières années, un recul de la fréquentation de plus de 50%. «Cette évolution ne témoigne pas à nos yeux d’un besoin important chez nos clients de poursuivre l’exploitation des deux cabines», est-il écrit. «Au regard de la baisse permanente des prix de la téléphonie mobile, le recul de l’utilisation des cabines téléphoniques devrait également s’accélérer dans les prochaines années. Tant sur le plan de l’exploitation qu’économique, Swisscom estime que ça n’a guère de sens de conserver toutes ces infrastructures.»
D’autres communes ne se laissent pas faire. C’est le cas à Haut-Intyamon notamment où, il y a un an environ, le village d’Albeuve a failli voir sa seule cabine disparaître. «Dans le cadre des travaux de rénovation de la bibliothèque, nous avions demandé à Swisscom de déplacer la cabine», raconte le syndic Jean-Marc Beaud. L’opérateur a vu là une bonne occasion de la supprimer. Haut-Intyamon ne l’a pas entendu de cette oreille.
«Nous sommes conscients que la fréquentation des cabines est en baisse. Mais il ne faut pas voir que le profit. C’est un service à la population», insiste Jean-Marc Beaud. «Et à Albeuve, il y a des gens qui ne disposent pas d’un portable.» Les négociations avec Swisscom n’ont pas viré au bras de fer, concède le syndic. «Mais nous avons dû défendre fermement nos arguments.»
D’autres cas de figure peuvent se présenter. Comme à Givisiez, où la cabine devant l’administration communale devait être supprimée. «Elle est située près de l’arrêt de bus. Et chaque fois que je passe devant, je constate qu’elle est fréquentée. Nous avons réagi quand Swisscom a voulu la retirer. Et nous avons été d’accord de prendre en charge une partie des frais pour la maintenir et assurer ce service public», se rappelle le syndic Jean-Daniel Wicht, qui n’a pas en mémoire le montant mensuel de ces frais. «Mais ce n’est pas énorme.»
Enfin, il y a ces cabines qui ne sont plus entretenues. A l’image de celle de Vuadens, qui ne fonctionne plus et dont la porte cassée n’a pas été remplacée. Elle ne figure pas sur la liste des prochaines cabines à supprimer, mais l’image d’entreprise en prend un coup, déplorent certains collaborateurs de Swisscom.
Reste que dans un pays où l’on compte plus de portables que d’habitants (fin 2011, la Suisse totalisait 9,6 mio de raccordements mobiles), la question du maintien des cabines téléphoniques peut se poser. Car qui les utilise vraiment? «Les personnes qui n’ont aucun raccordement; celles qui n’ont qu’un raccordement mobile; les gens en déplacement, en voyage, comme les touristes», énonce Christian Neuhaus. «En un an, le nombre d’appels a diminué de 30%. Entre 2004 et 2011, il a même baissé de 60%. Il existe plus de 1000 cabines qui restent ainsi inutilisées pendant plusieurs jours.» Et certaines ne rapportent que 5 francs par année…
«Il n’est pas rationnel économiquement de maintenir artificiellement en vie des infrastructures déficitaires», poursuit Christian Neuhaus. Qui assure cependant: «Tant que le besoin sera présent, Swisscom continuera d’exploiter le marché des cabines téléphoniques.» Du moins jusqu’en 2017. I
3 mai 2012, Kessava Packiry, Le Courrier
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