Le Surveillant des prix et les défenseurs organisent la lutte face au géant jaune, qui fait ce qu’il veut face aux politiciens.
Cent onze francs: c’est la somme estomaquante qu’une octogénaire valaisanne a dû payer récemment au guichet postal pour faire suivre son courrier au chalet où elle passe l’été.
«Je n’avais pas le choix, dit-elle, il ne faut pas laisser s’accumuler les factures. Mais j’étais stupéfaite par un tel mépris de la clientèle.» Jusqu’ici, elle payait 30 francs pour ce service, l’augmentation est donc de 270%. La dame s’est confiée au Nouvelliste, qui a dévoilé son cas. Il est loin d’être isolé, car la liste des hausses en vigueur depuis avril donne le tournis. Les procurations, jadis gratuites pour les 650 000 Suisses qui y ont recours, sont désormais facturées 36 francs la première année, 24 francs les suivantes.
L’avis de déménagement annoncé au guichet coûte 42 francs (30 sur Internet) contre 15 francs avant. La garde de courrier passe de 10 à 20 francs (guichet), et coûte 2 francs par semaine supplémentaire. Le reste à l’avenant. En adaptant ses tarifs, La Poste ménage sa clientèle professionnelle et matraque les particuliers captifs de son monopole.
M. Prix pas convaincu «Les clients réalisent peu à peu les effets de ces hausses et sont très fâchés, dit une caissière. Soit ils renoncent à la prestation, soit ils paient en grognant. Je leur propose de se plaindre au service clientèle, mais souvent, ils ne font rien. On est en Suisse…»
«Quand on peut se payer des vacances, on peut payer le changement d’adresse», tranche une autre, proche de la retraite. De toute façon, La Poste ne recense pas les plaintes, selon son porte-parole Mariano Masserini, qui dégaine aussitôt la justification officielle des hausses: «Les services concernés généraient un déficit de 30 millions de francs par an.» Fâcheux, mais pas mortel pour une entreprise qui a dégagé 904 millions de bénéfice consolidé réalisés en 2011 (dont 200millions reversés à la Confédération) et 299 millions au premier trimestre 2012. En admettant que chaque secteur doive couvrir ses coûts, peut-on voir les chiffres détaillés des services déficitaires? Non, répond Mariano Masserini, ajoutant que «le Surveillant des prix y a eu accès et n’a trouvé aucun indice d’abus de prix». Sauf qu’au moment où le porte-parole nous a tenu ces propos, jeudi, le Surveillant annonçait que l’augmentation prévue pour les colis envoyés à l’étranger (+19 à +25% pour les plus petits) est annulée. La Poste «n’a pas été en mesure de soumettre en temps utile les documents nécessaires», précise-t-il. Il ajoute s’être aussi opposé, en vain, à l’augmentation du prix des recommandés. Et d’enfoncer le clou:«Les principaux tarifs des lettres et des colis du service intérieur font actuellement l’objet d’un examen approfondi.»
Saisi de nombreuses plaintes, en particulier au sujet des procurations, le Surveillant n’est pas le seul à mettre en doute les explications de La Poste. «Elle affirme perdre de l’argent avec les changements de domicile, alors qu’elle en gagne énormément en vendant les adresses de particuliers aux entreprises», dit Mathieu Fleury, secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs.
«Nous ne faisons pas le commerce d’adresses», corrige Mariano Masserini. Nuance, La Poste actualise – contre espèces sonnantes et trébuchantes – les fichiers d’adresses soumis par des entreprises qui font des envois en nombre. Une activité lucrative, à en juger par l’indice suivant: un client refusant que son changement d’adresse soit enregistré dans la banque de données qui permet à La Poste de rafraîchir les fichiers des entreprises paiera 72 francs au lieu de 42, alors même que le travail supplémentaire ne représente qu’une case à cocher. «Pas de contrôle politique»
«Parmi les dizaines de lettres de consommateurs mécontents que nous recevons chaque semaine, La Poste décroche le pompon», dit Zeynep Ersan Berdoz, directrice de Bon à Savoir. Grande première, le magazine a lancé avec K-Tipp, Saldo et Spendere Meglio une initiative populaire «En faveur du service public» (voir encadré). En dix semaines, celle-ci a franchi ces jours le cap des 30 000 signatures, signe d’un réel malaise. Un malaise que La Poste feint d’ignorer. Il y a quinze jours, son directeur Jürg Bucher affirmait dans Sonntag que «nous voulons être plus proches des clients (kindenfreundlicher) » tandis que le président du conseil d’administration Peter Hasler, posant dans l’édition d’avril du Magazine - La Poste, assure qu’il «n’est pas question d’abandonner des valeurs sûres».
«La Poste fait ce qu’elle veut, il n’y a aucun contrôle politique», dénonce Olivier Cottagnoud, président du Syndicat autonome des postiers. A part l’initiative populaire, les défenseurs de consommateurs, en sont réduits aux mesures de guérilla. Vendredi, la FRC rappelait que pour échapper au coût prohibitif des procurations établies par La Poste, on peut s’adresser aux communes (FR, GE, VS), ou aux notaires.Même eux sont moins chers que La Poste.
Jean-Claude Péclet
Les plus fortes hausses
Petit colis international («Economy») +19%
Petit colis international («Priority») +25%
Recommandé +25%
Avis de réception (Suisse) +66%
Avis de réception (international) +100%
Garde du courrier (1 mois) +140%*
Changement d’adresse +180%*
Réexpédition temporaire (1 mois) +270%*
* Prix au guichet. Les augmentations sont moindres si les ordres sont passés sur Internet.
« La poste est le plus gros clientd’Adecco »
Le 30 mai, La Poste annonçait la suppression d’ici à 2014 de 250 emplois – dont 24 à Daillens
(VD) – dans l’unité Postlogistics. L’inquiétude syndicale va au-delà de ce dégraissage. «La Poste est devenu le plus gros client d’Adecco, dit Olivier Cottagnoud, président du Syndicat autonome des postiers (SAP). Le recours aux temporaires et aux sous-traitants précarise les conditions de travail de tous.»
Le SAP (500 membres environ) est une dissidence de Syndicom, qui reste de loin le syndicat le plus important du secteur avec 18 000 membres. Mais l’effectif de Syndicom s’érode. «Quand La Poste supprime les emplois de chauffeur pour travailler avec des sociétés externes, dans un milieu connu pour l’âpreté de la concurrence qui y règne, il est logique que nous perdions des membres », dit son secrétaire central Kaspar Bütikofer. Comment négocier les conditions de travail d’une catégorie du personnel qui disparaît au profit de sociétés privées, sans convention collective?
Porte-parole du géant jaune,Mariano Masserini ne conteste pas que la situation a changé: «Nous opérons dans un marché libéralisé depuis 2004, le milieu du transport est très dur. Si une entreprise concurrente offre des prix nettement inférieurs, cela fait réfléchir.» Il souligne que le plan social proposé suite à la restructuration de Postlogistics a été accepté par le syndicat.
Ceux qui partent le font dans de bonnes conditions. Ceux qui restent voient les leurs se durcir. Des semaines de 46 heures de travail sont en discussion chez Postlogistics. «Le recours à des camionnettes de 3,5 tonnes au lieu de camions permettra d’étendre les horaires de nuit, on entend plein de rumeurs sur des offres à la baisse», observe Elisabeth di Blasi, secrétaire régionale de Syndicom. Début juillet entreront en vigueur la nouvelle loi sur La Poste (transformée en SA de droit privé il y a deux ans) et les ordonnances qui l’accompagnent. Cela entraînera la renégociation
de la convention collective sur de nouvelles bases, soit désormais le Code des obligations et la loi
sur le travail. Les partenaires sociaux ont deux ans pour s’entendre. Les syndicats s’attendent à des négociations difficiles pour maintenir les acquis sociaux, ou au moins limiter la casse. J.-C. P.
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