Dracula pulvérisé
Rien de tel pour un traité inique que d’être exposé à la lumière. Pareil à des vampires, certains pactes internationaux, comme l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI, 1998), la Zone de libre échange des Amériques (ALCA), et aujourd’hui l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA), s’évanouissent lorsque leur contenu est éventé auprès des opinions publiques.
Mercredi, le parlement européen a fini par mettre son veto définitif à la ratification par l’Union européenne de l’ACTA. Cette convention était négociée depuis trois ans dans le plus grand secret, hors de tout cadre démocratique, par une poignée de pays, dont la Suisse, en étroite collaboration avec les trusts pharmaceutiques et les lobbies de l’industrie du divertissement. L’enterrement de première classe que vient de lui réserver l’UE représente une victoire importante pour les partisans des libertés individuelles et de l’accès pour tous à la santé.
Informés par des «fuites», les ONG défendant le droit d’accès aux médicaments et les défenseurs d’un internet libre dénonçaient depuis deux ans, outre la méthode autocratique employée par les gouvernements, les principales clauses de ce traité: d’une part, l’attribution aux fournisseurs d’accès internet d’un rôle de contrôle des internautes, envisagée comme la constitution d’une police privée du Net menaçant la liberté d’expression. De l’autre, le renforcement des droits des brevets sur les médicaments, menaçant l’approvisionnement en remèdes génériques accessibles aux personnes atteintes de maladies graves dans les pays pauvres.
Cette victoire sur l’opacité et les manigances est le résultat d’une vaste campagne de la société civile pour informer la population et exercer une pression sur les politiques. Au début de l’année, de nombreuses manifestations ont été organisées à travers le monde pour défendre un internet libre. Les mobilisations dans les pays de l’Est ont été particulièrement remarquables. Plus largement, une pétition contre l’accord a réuni plus de 2 millions de signatures au niveau européen.
Mais Dracula n’a pas dit son dernier mot. D’autres chemins sont envisageables pour les transnationales. Par exemple, la voie bilatérale – un pays puissant peut en contraindre un petit par toutes sortes de pressions. Ou de manière plus pernicieuse encore: le G8, le groupe des huit pays les plus riches, entend mettre au point les «meilleures pratiques» de lutte contre la contrefaçon, pour les imposer ensuite au monde entier. La vigilance est de mise, en particulier en Suisse, où nos autorités tentent d’instaurer des clauses favorables à Novartis, Roche et consorts dans leurs accords de libre échange avec les États du Sud.
Certes, dans le domaine artistique, il convient de trouver de nouveaux modèles de rémunération pour permettre aux créateurs de vivre de leur travail. La solution n’est certainement pas à chercher du côté des magnats du disque et du cinéma. Et si on consultait les artistes ?
Le Courrier, Christophe Koessler
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