Les démarcheurs occupent les halls de La Poste

Des entreprises louent des espaces dans des offices postaux pour y faire des promotions.
Comment justifier la transformation d’offices postaux en vitrines publicitaires? Cela obéit à «une logique commerciale», répond Mariano Masserini, porte-parole de La Poste.
La vente de produits tiers – PubliPoste inclus – a rapporté 500 millions de chiffre d’affaires en 2011. «D’après le mandat politique reçu par La Poste, nous devons rentabiliser au mieux les offices de poste», explique-t-il. En d’autres termes, «la location d’espaces à des fins promotionnelles, comme la vente de produits tiers contribuent à réduire le déficit des offices de poste», assure-t-il. Une manière de dire que la fermeture des petits bureaux de poste est évitée par la transformation des grands offices postaux en vitrines publicitaires.

Après les bonbons, les livres, les téléphones ou les articles de papeterie, voici le démarchage publicitaire. Monica n’en revient toujours pas: «J’allais faire des payements à la poste de la gare de Lausanne, et un démarcheur était là.»

Il s’agissait d’un salarié de la firme Corris, mandatée par des ONG pour récolter de nouvelles adhésions. D’habitude, ces jeunes gens alpaguent les passants dans la rue, devant les gares et les centres commerciaux. Désormais, ils sont à l’intérieur des locaux de La Poste. «Leur stand était dressé devant la timbreuse» qui distribue les numéros de la file d’attente, explique Monica. Le jour de sa venue, le jeune homme la suivait, en la tutoyant. «Avec un claquement de langue, il essayait d’attirer mon attention, comme avec un vieux chien.»

L’entreprise de récolte de fonds dispose-t-elle d’une autorisation du géant jaune? Bien sûr! Non seulement La Poste les autorise à faire de la promotion dans ses locaux, mais elle leur loue l’espace occupé. Un tapis de 4 m2 devient support publicitaire, au même titre que les affiches qui recouvrent les murs des offices. Cet espace de promotion (PubliPoste) est disponible dans cent locaux, dont ceux de Lausanne, de Vevey et d’Yverdon-les-Bains. Dans les grands offices, il en coûte 400 francs la journée aux sociétés intéressées. Mais des offices plus petits sont également concernés, à l’image de Morges, de Nyon, de Payerne et de Prilly.

«Une foire»
Informée du concept de PubliPoste, la Fédération romande des consommateurs (FRC) s’en offusque: «La poste devient une foire», réagit Valérie Muster, juriste. Et les usagers de la poste n’apprécient guère. Comme Lucien, un jeune client qui fustige un «marchandage très forcé» et une démarche «malhonnête». «On ne peut pas s’échapper. Aucun moyen de dire à la jeune fille que je n’avais pas le temps, parce que justement j’avais le temps», explique le jeune homme. A la poste, les désagréments du démarchage de rue grimpent en effet d’un échelon, selon Valérie Muster: «Dans la file d’attente, les clients sont à la merci du démarcheur», fait remarquer la juriste de la FRC.

C’est précisément un argument de vente pour La Poste, qui, dans un dépliant, vante ce point aux sociétés de démarchage: «Vous êtes assurés de rencontrer un grand nombre de clients potentiels.» Et le géant jaune de détailler: contrairement aux gares, où «les gens sont pressés», «les clients ont un peu de temps» dans les offices postaux. Dans ces conditions d’attente forcée, «l’usager est plus emprunté pour dire non s’il y a un démarcheur en face. Certains ont de la peine à assumer le fait d’être fermes», explique la juriste de la FRC.

Cette dernière souligne également qu’«un démarchage sur un espace privé comme à la poste pose problème». Après une vente à la maison ou sur la voie publique, le consommateur dispose de sept jours pour renoncer à son achat. Mais «la loi n’a pas prévu que la poste se transforme en lieu de démarchage», donc le consommateur ne peut renoncer à un tel achat.

Sociétés controversées
Cette réalité inquiète-elle La Poste? Beaucoup de ventes se réalisent-elles dans ses halls? Le géant jaune se refuse à donner l’identité des sociétés présentes dans ses locaux. Selon la presse alémanique, certains offices argoviens, par exemple, accueilleraient des firmes rachetant l’or des particuliers. Sur quels critères La Poste trie-t-elle ces sociétés? Son porte-parole, Mariano Masserini, se contente d’énumérer les publicités interdites: celles qui font concurrence à La Poste, celles vantant des boissons alcoolisées ainsi que celles «impliquant une vente agressive».

Sur des cas particuliers ou sur les méthodes de vente jugées parfois trop intrusives, le porte-parole ne souhaite pas se prononcer. «Les clients mécontents peuvent s’adresser directement à La Poste, qui prendra les mesures nécessaires.»

Delphine Gendre-Jacquaz, 24 Heures

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