Au mépris des investissements récents, Berne remet en question l’existence de 57 lignes régionales romandes pour envisager leur transfert sur des bus.Les Suisses sont les champions du monde des kilomètres parcourus en train. L’âge d’or du rail suisse appartient-il à l’histoire? On pourrait le croire à la lecture d’un projet d’ordonnance publié récemment par l’Office fédéral des transports (OFT).
En préambule, rappelons que le trafic régional est financé, d’une part, par les recettes (abonnements, billets et publicité) et, d’autre part, par les subventions fédérales, cantonales et communales. Or, selon ce document, les cantons devront désormais, avant tout investissement conséquent sur une ligne régionale, examiner s’il ne serait pas plus avantageux de la remplacer par des bus au cas où sa rentabilité serait inférieure à 50%.
En Suisse romande, 57 tronçons sont concernés. Berne veut même systématiser cette démarche pour quelque 25 lignes dont les recettes couvrent moins de 30% des dépenses (lire encadré). La liste publiée par l’OFT a suscité une levée de boucliers. Du Locle à Finhaut en passant par Glovelier, les trains menacés forment en effet la colonne vertébrale des régions périphériques. Pour illustrer l’incohérence de l’OFT, nous avons examiné deux d’entre eux: le tronçon reliant Delémont à la localité frontalière de Delle (F) et le RER Bulle–Romont–Fribourg.
Delémont–Delle
«La proposition de la Confédération n’a aucun sens», tempête David Asséo, délégué aux transports pour le canton du Jura. Des dizaines de millions de francs (20 millions en 2012) ont été investis récemment pour améliorer la ligne, le matériel roulant et les cadences sur l’axe Delémont–Porrentruy–Delle.
Ces efforts ont été payants puisque la fréquentation a augmenté de 44% depuis 2004. En 2013, le seuil de rentabilité sur cette ligne sera certes de 35% seulement, mais il faudrait 10 autobus articulés, l’un derrière l’autre, pour prendre en charge les quelque 1000 passagers qui arrivent à Porrentruy à 8 heures le matin! La proposition de Berne est d’autant plus absurde que la France met les bouchées doubles pour prolonger la ligne en ressuscitant, d’ici à 2015, le tronçon entre Delle et la nouvelle gare de TGV à Belfort.
Bulle–Romont–Fribourg
Berne se tire une autre balle dans le pied en inscrivant la ligne Bulle–Romont–Fribourg sur sa liste. Le nouveau RER exploité par les Transports publics fribourgeois (TPF) et les CFF depuis la fin de 2011 affichait pourtant, en mai déjà, une hausse de la fréquentation de 28% entre Bulle et Romont. Les cadences sur la ligne seront du reste étoffées à partir de ce 9 décembre.
Ni les CFF ni le Service fribourgeois de la mobilité n’ont souhaité se prononcer. De leur côté, les TPF ne prennent pas la menace au sérieux. «Nous l’interprétons comme un exercice de style politique visant à rappeler l’importance du trafic régional», estime leur porte-parole Martial Messeiller.
Un signal dangereux
«Notre volonté n’est pas de démanteler le trafic régional, tempère en effet Florence Pictet, porte-parole de l’OFT. Aucun automatisme n’est prévu et la rentabilité n’est pas le seul critère. Il est toutefois légitime, pour justifier les subventions, de se demander si la solution en vigueur est la plus appropriée.» Nous n’en saurons toutefois pas davantage sur la rentabilité exacte des tronçons mis en cause. Les arguments de l’OFT ne convainquent pas non plus le Gouvernement jurassien qui juge ce signal dangereux. «La politique des transports se mène sur le long terme, observe David Asséo. Or, la qualité du réseau suisse tient précisément à la complémentarité entre le réseau régional et les grandes lignes. Toucher à l’une d’elles, c’est tirer la maille d’un tricot.»
En soufflant le chaud et le froid à la veille d’une nouvelle augmentation des tarifs, Berne décrédibilise les efforts entrepris pour dynamiser les transports publics.
Claire Houriet Rime
Bonus web: les lignes de train menacées
la liste des lignes concernées
BàS / no 2012-12 (p.8)
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