La Providence : Genolier nuit gravement à la santé

La grève de l’hôpital neuchâtelois est devenue le symbole du refus de la marchandisation de la santé comme de l’exigence du respect du droit du travail en Suisse.

Trop, c’est trop ! Non contente d’avoir licencié comme des malpropres 22 grévistes sur les 350 employés que compte l’hôpital, la Fondation de la Providence, en accord avec son potentiel repreneur – le Groupe Genolier Swiss Medical Network (GSMN) –, continue à ne pas vouloir entendre parler de la CCT Santé 21 qui fait foi dans tous les hôpitaux neuchâtelois. L’objectif clairement affiché de la direction de l’hôpital est évidemment de réduire les coûts sur le dos du personnel pour préparer la dot de la future mariée, avant le rachat par le groupe privé lémanique. Là où le bât blesse aussi, c’est que la promise et son promis veulent aussi profiter des missions hospitalières assignées par le Canton et des subsides qui vont avec, en demandant le beurre et l’argent du beurre. C’est dans cet état d’esprit que la direction de la Providence s’est rendue aux « négociations de la dernière chance » mitonnées par le Conseil d’Etat neuchâtelois. Celles-ci avaient tout du marché de dupes pour les syndicats SSP et Syna, qui avaient pourtant accepté comme geste de bonne volonté de renégocier la convention de référence qui venait pourtant tout juste d’être ratifiée. Au final, rien n’est sorti de ces pourparlers du fait de l’attitude buttée de la Providence, soutenue en sous-main par un Conseil d’Etat unanime.

Autant dire qu’il est l’heure pour tous les travailleurs de réagir face à ces attaques sociales à répétition et de se montrer solidaires de la lutte exemplaire des salariés. Il n’est pas admissible que l’on puisse licencier séance tenante des grévistes qui usent simplement de leur droit constitutionnel de faire la grève. Il n’est pas tolérable qu’un établissement hospitalier bénéficient encore de subventions publiques – de 10,5 millions en 2013 – tout en s’alignant sur le moins disant social. De même qu’il est inacceptable que le repreneur éventuel de la Providence, fasse du chantage à l’emploi, en conditionnant son investissement à des exigences de réduction massive des coûts, tout en ne cachant pas son intention de faire du business avec la santé et de soigner en priorité ses actionnaires.

Pour soutenir une lutte qui, par ses implications sociales et de politique sanitaire, concerne toute la Suisse, la manifestation nationale prévue ce samedi 16 février à Neuchâtel à toute son importance. Avec les trois mots d’ordre clairs que sont la réintégration des 22 licenciés, l’application de la CCT Santé 21 pour l’Hôpital de la Providence, comme pour tous les hôpitaux neuchâtelois, et la dénonciation de la marchandisation de la santé, où des cliniques privées veulent imposer leurs seules règles de maximalisation des profits.

Joël Depommier

Un requin des affaires en eaux troubles

Administrateur du groupe Genolier, Antoine Hubert fait de la santé une proie de choix.

Le Conseil d’Etat neuchâtelois ne cache pas qu’il mise sur le groupe privé Genolier Swiss Medical Network (GSMN) pour reprendre l’Hôpital de la Providence. Cette société, qui se targue d’être le deuxième réseau de cliniques privées en Suisse et de compter 2’000 collaborateurs, de même que sont pôle immobilier, le Swiss Healthcare Properties, est une filiale de la holding Aevis constituée en 2012 et contrôlée par Michel Reybier et Antoine Hubert. Si le premier est bien connu en France pour avoir fait fortune dans le saucisson avant de venir s’installer en Suisse, où il est actif dans l’hôtellerie de luxe (notre dernière édition), le second comparse mérite qu’on s’arrête aussi sur son cas.

Self-made-man valaisan, électricien de formation, Antoine Hubert s’est lancé à 26 ans, en 1992, dans le commerce de meubles, en fondant l’Univers du cuir. Quatre ans plus tard, la société est en faillite, laissant 7 millions de découvert et son patron passera un mois en prison préventive, finissant par rembourser ses créanciers… quatorze ans plus tard. Cette faillite l’aura obligé à quitter son canton d’origine et partir à Genève, où il devient très actif dans l’immobilier, rachetant près de 30 immeubles comme l’a rapporté la RTS. En 2002, il acquiert des participations dans la Clinique de Genolier. En 2005, Antoine Hubert investit aussi dans le quotidien économique L’Agefi, qui entrera dans le capital de Genolier et deviendra GSMN en 2006. Aujourd’hui, le groupe détient encore 49% des actions du journal, le restant ayant été vendu à l’homme d’affaire franco-suisse à la réputation sulfureuse, Alain Duménil. En juin 2010, patatras, une lutte de pouvoir déchire la direction du groupe. Michael Schroeder, fondateur de GSMN et le professeur Hans-Reinhard Zerkowski éjectent Antoine Hubert du conseil d’administration, l’accusant d’avoir détourné des fonds de la société à des fins privées, avant que les plaintes ne soient retirées par le Ministère public et que l’accusé ne soit nommé trois mois plus tard président exécutif du groupe. A la tête de GSMN, on trouve un ami de longue date d’Antoine Hubert : Raymond Lorétan. Ancien secrétaire national du PDC et ancien consul général de la Suisse à New York, connu pour son entregent diplomatique et son réseau, ce dernier ne se fait pas prier pour défendre unilatéralement la voix patronale contre les syndicats à la RTS, alors qu’il est président du conseil d’administration de la SSR.

Mais revenons-en à Antoine Hubert. Celui-ci ne cache pas qu’il considère la santé comme un marché comme les autres et un marché en croissance. Son ambition est d’acquérir 25 cliniques pour devenir le premier groupe privé en Suisse, en offrant à sa clientèle un environnement luxueux et une technologie de pointe. Il ambitionne aussi de faire venir une riche patientèle étrangère dans ses établissements qui sera soignée à des tarifs prohibitifs.

Bétonner son profit et celui des investisseurs, voilà qui pourrait être la devise du promoteur immobilier, quitte à refuser la moindre CCT aux employés de la Providence. Tout en espérant profiter des subsides publics au-delà de 2016 et en escomptant le maintien de la clinique sur la liste hospitalière établie par le canton pour bénéficier du remboursement des forfaits par la LAMal. Pas très sain.

JDr

Couard, le Conseil d’Etat prend fait et cause pour la direction

Le gouvernement neuchâtelois porte une lourde responsabilité dans l’échec des négociations entre les grévistes et la direction.

La tentative du Conseil d’Etat de trouver une solution pour mettre un terme à ce conflit n’a finalement pas abouti. Chaque camp estime avoir raison contre l’autre en présentant sa version de la situation. Pour notre part, la version des syndicats nous parle davantage. Elle met en exergue à la fois les pressions inadmissibles du groupe Genolier et des dirigeants de la Providence, soutenus de fait par le Conseil d’Etat, et l’ouverture d’esprit que le SSP et Syna ont démontrés en acceptant la renégociation de la CCT Santé 21. Les syndicats ont donc raison de continuer leurs luttes. Et ceci pour plusieurs motifs qu’ils indiquent dans un communiqué commun.

Tout d’abord,les dés dans les négociations entre la Providence et les syndicats sous l’égide de l’Etat ont été pipés. Dans un premier temps, la démarche du Conseil d’Etat pour tenter de trouver une solution équitable pour chaque partie afin de sortir honorablement de la crise, a été bien accueillie par les syndicats. Ces derniers l’ont immédiatement acceptée. Cependant, les règles du jeu ont très vite paru faussées. En effet, le Conseil d’Etat avait fixé des conditions préalables à cette rencontre. Avant même l’ouverture de la « négociation », le gouvernement demandait que les syndicats acceptent et confirment les « engagements pris par le Conseil d’Etat ». Cela signifiait qu’ils devaient accepter le mandat de prestation au groupe Genolier jusqu’au 31 décembre 2016, sans être obligé de respecter ni l’Arrêté du Conseil d’Etat ni la motion votée en décembre par le Grand Conseil impliquant le maintien de la CCT Santé 21. Il s’agit d’une curieuse manière de concevoir une négociation. Ainsi, le Conseil d’Etat n’a pas été capable, volontairement ou involontairement, de se positionner au-dessus des parties pour leur permettre de trouver un accord. Au surplus, il n’a pas respecté la confidentialité qu’il avait demandée aux parties. En effet, le 8 février, le Conseil d’Etat exigeait des partenaires sociaux le silence le plus stricte jusqu’au terme de la médiation fixé à mardi matin. Or dans un même temps, il communiquait lors d’une conférence de presse le jour même sa position lors de débats radiophoniques, alors que les syndicats, eux, respectaient le silence imposé.

De plus, les syndicats n’étaient pas venus les mains vides à ces négociations. Ils ont accepté la proposition qui leur avait été faite par le nouveau conseiller d’Etat Laurent Kurth de renégocier Santé 21 avant son échéance. En acceptant cette proposition, ils s’engageaient à modifier le contenu d’une CCT concernant 5’000 employés pour satisfaire aux exigences de la Providence. Soucieux de trouver une issue pacifique à ce conflit, les syndicats acceptaient de s’asseoir immédiatement à la table pour renégocier cette convention. Ce faisant, ils respectaient les dispositions conventionnelles de l’ensemble des partenaires qui y sont soumis. C’était une façon élégante de réintégrer la Providence au partenariat social. Ce que ne veut pas entendre la Fondation de l’hôpital.

Après 80 jours de grève, l’employeur a persisté pourtant à refuser d’appliquer la CCT Santé 21. Il voudrait négocier des conditions différentes du reste des institutions de santé neuchâteloises, tout en continuant à toucher les subventions publiques. Cette attitude est inadmissible. Elle met en péril les conditions de travail des 5’000 employés qui sont soumis à cette CCT. Il y a quelques jours encore, les syndicats avaient rencontré la direction d’Hôpital neuchâtelois (HNe). Les propos du directeur ont été on ne peut plus clairs : si la Providence bénéficiait d’un régime d’exception, HNe dénoncerait cette inégalité de traitement. Les règles doivent être les mêmes pour tous.

Philippe Gnaegi, président du Conseil d’Etat a, quant à lui, fait pression en invoquant les emplois que ce conflit mettait en péril. Pour les syndicats, cet avis est tout simplement inadmissible. Les pertes d’emplois doivent être attribuées à la conception marchande de la santé qu’applique le secteur privé. Le groupe Genolier s’engage à conserver les employés « au moment de la reprise ». Qu’adviendront-ils six mois plus tard ? Aucun engagement écrit n’a été proposé à ce propos. Les mêmes accusent les représentants du personnel de mettre en péril les emplois !

Après ces semblants de négociations, les syndicats et les grévistes ont donc décidé de poursuivre leur mouvement, mais sans fermer la porte. Ils restent ouverts à des négociations selon les règles du partenariat social, mais pas pour casser les objectifs qu’ils défendent avec ténacité. Ils feront tout pour empêcher que la CCT Santé 21 ne disparaisse et que les employés qui lui sont soumis se retrouvent livrés à la rapacité d’un seul employeur.

Candidat du POP au Conseil d’Etat, Nago Humbert, répondait à une infirmière en lui disant qu’il ne serait malheureusement pas physiquement à la manifestation du 16 février, mais en pensée certainement : « Vous avez mon soutien à 200%. En plus (de votre combat), il s’agit de l’avenir de notre système de santé et surtout de son accès pour tous. Courage ! »

Alain Bringolf (avec le SSP et Syna)

L’Avivo soutient les revendications des grévistes

L’Avivo-Suisse et l’Avivo de Neuchâtel soutiennent les grévistes de la Providence. Dans un communiqué, les deux associations s’insurgent contre le refus de l’hôpital de souscrire à la CCT Santé 21 et dénoncent l’instauration d’une médecine à deux vitesses. « Une telle politique risque de voir les soins prodigués selon la fortune des patients et surtout selon la gravité des cas », notent-elles. Elles s’avouent inquiètes de ces dérives, tout en rappelant que le peuple s’est plusieurs fois prononcé contre les diktats des établissements privés et des assureurs. Elles souhaitent aussi que le conflit « se termine en respectant les droits et la dignité des travailleurs et ne devienne pas une brèche historique dans une politique publique de la santé. »

JDr

Gauchebdo, vendredi 15 février 2013

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