Les caisses offrent des mandats lucratifs aux élus

Les assureurs maladie cooptent de nouveaux parlementaires. De quoi renforcer leur présence aux Chambres fédérales. Une influence problématique, juge la gauche

Selon une rumeur insistante, santésuisse (principale faîtières des caisses maladie) s’apprête à nommer un nouveau président: il s’agirait d’un parlementaire élu. De quoi muscler encore un lobby décrié pour sa forte présence sous la Coupole fédérale. Celle-ci s’est accrue ces derniers mois. Le Groupe Mutuel a ainsi nommé cette année le sénateur Roland Eberlé (UDC/TH) dans son conseil d’administration; les conseillers nationaux Lorenz Hess (PBD/BE) et Ruth Humbel (PDC/AG) se sont vu offrir des sièges chez Visana et Concordia. Ce qui porte à sept le nombre de parlementaires membres de conseils d’administration ou de direction de caisses. Ajoutons-y un président de faîtière professionnelle (bientôt deux) et des participations dans des groupes militant pour un système de santé libéral. Seize conseillers nationaux et six sénateurs sont membres du Forum santé pour tous et six élus au sein des Commissions de santé (CSSS) des chambres phosphorent au sein du Groupe de réflexion santé du Groupe Mutuel.
En pleine campagne pour la caisse publique le 28 septembre, la gauche houspille ces liens forts entre les assureurs et le Parlement: «Ces élus bourgeois devraient défendre l’intérêt général, mais ils roulent pour des entreprises privées», accuse Jean-François Steiert (PS/FR). Certains de ces liens présentent un intérêt financier direct. La participation au Groupe de réflexion santé rapporte plusieurs milliers de francs par an. Un amuse-bouche toutefois en regard d’un conseil d’administration: Ruth Humbel confiait au début de l’été que sa rémunération tournerait autour de 32 000 francs par an.
Lobby contre lobby

«Et alors? réagit Guy Parmelin (UDC/VD), président de la CSSS du National. Notre système de milice est ainsi fait: les gens qui s’intéressent à la santé ont souvent des liens avec ce secteur par la force des choses.» Toute la question selon le Vaudois est de savoir si ces élus gardent leur indépendance vis-à-vis de ces groupes d’intérêts: «Si des collègues pensent que oui, alors je respecte cela. Et sachez que c’est une chose de vouloir faire passer l’idée d’un lobby en commission, encore faut-il la confronter avec celle du représentant d’un lobby adverse», assure Guy Parmelin. Ce lobby des assureurs «n’est ni le plus fort ni le plus agissant à Berne, abonde Fathi Derder (PLR/VD), qui offre l’un de ses deux badges d’accès au palais à un lobbyiste des caisses. Ce lobby est surtout un fantasme médiatique.»
Certains en doutent. Ils citent pour preuve le blocage du dossier des primes payées en trop par la CSSS des Etats ou encore l’atomisation du contre-projet à la caisse publique d’Alain Berset, en 2012: quatre des «relais» des caisses au Parlement avaient déposé des motions en tir groupé pour exiger de soumettre rapidement au peuple l’initiative de la gauche.
Loi en suspens

La majorité des Chambres a fini par accepter le principe d’une Loi de surveillance de l’assurance-maladie, qui sera débattue à la prochaine session. «Parlons-en! Le projet est déjà affaibli et il y a douze divergences, critique Christian van Singer (Verts/VD). Berne pourra imposer des corrections de primes, mais il ne pourra pas surveiller les groupes d’assurances ni limiter la publicité faite par les caisses. Je me réjouis de voir comment la droite va ratiboiser cette loi.»
L’influence du lobby des assureurs serait donc bien palpable, selon la gauche. Isabelle Moret (PLR/VD) confirme: «Le lobbying le plus fort a été fait contre le projet de compensation des risques. Mais nous avons maintenu notre décision politique au PLR de vouloir limiter la chasse aux bons risques. Le projet est passé et il entrera en vigueur l’an prochain.» A titre personnel, la Vaudoise se veut indépendante: elle ne siège dans aucun groupe «malgré des offres qui auraient largement pu me permettre de payer des vacances à mes enfants», dit-elle. Ceci dit, elle ne critique pas les choix de ses collègues.
«Corruption d’esprit»

«Cessez de nous faire des procès d’intention, les liens d’intérêts des parlementaires sont publics et disponibles sur Internet», réagit le sénateur Urs Schwaller (PDC/FR). Reste que l’on ne sait pas toujours ce qui paye ou pas. Isabelle Moret proposait récemment d’obliger les élus à déclarer si ces liens d’intérêts sont rémunérateurs. Le National a balayé sa proposition en juin. Argument principal: cet aspect n’est guère intéressant si l’on ne connaît pas le montant exact. Or, «la publication du montant des revenus n’est pas souhaitable car elle encouragerait le voyeurisme et affaiblirait la confiance du public envers la classe politique», avait estimé Céline Amaudruz (UDC/GE) au nom de la commission. Quelle que soit son influence réelle, le lobby des assureurs a été vivement critiqué ces dernières années. Partisan de la caisse publique, Mauro Poggia (MCG/GE), alors conseiller national, parlait en 2013 d’une «corruption made in Switzerland, une corruption d’esprit, un fil à la patte».
Jean-François Steiert s’étonne que l’on puisse siéger en tant que parlementaire à la direction d’une société qui propose une offre d’assurance sociale sur mandat de la Confédération: «Il devrait y avoir une incompatibilité. Je vais intervenir cet automne. Et si le Parlement dit non, nous pensons à consulter le peuple.» De quoi préparer l’après-caisse publique, en cas d’échec de l’initiative.
Patrick Chuard Berne

Un marché de la santé très disputé

Au Palais fédéral, les lobbys sont nombreux à vouloir influer sur la politique de santé, un marché à 60 milliards de francs. A ce jeu-là, celui des assureurs n’est pas le plus présent. Rien qu’à la Commission de la santé des Etats (13 membres), onze affichent des liens d’intérêts avec divers prestataires de soins (hôpitaux, cliniques, fondations, associations, autres entreprises…). C’est même le cas de 24 conseillers aux Etats, contre cinq qui ont des liens avec les assureurs. Les plus présents sont les lobbys des hôpitaux et des EMS, des pharmaciens et des médecins. Tous ne tirent pas à la même corde. Deux médecins de la députation tessinoise au National, Ignazio Cassis (PLR) et Marina Carrobio Gusceti (PS), se retrouvent ainsi aux antipodes: l’un roule pour les caisses en tant que président de Curafutura et combat la caisse publique, alors que l’autre fait campagne pour l’initiative.
Le secteur de la santé compte aussi les lobbys des consommateurs et des assurés. Vice-président de la Fédération suisse des patients, Jean-François Steiert (PS/FR) fait partie de ce dernier. Lui qui ne manque pas de souligner les «liens d’intérêts problématiques» de la droite est même l’un des parlementaires qui affiche le plus de liens d’intérêts. «Je l’avoue volontiers. Mais la différence, c’est que moi je ne touche pas un centime. Et les quelques centaines de francs que pourraient me rapporter certains mandats, je les reverse à des œuvres d’entraide.»
P.C.

Tribune de Genève

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