Transports En dix ans, le réseau de la filiale française du géant jaune s’est largement étendu. D’aucuns dénoncent des comptes opaques et une prise de risque exagérée. Alors que certains chefs d’entreprise rêvent tout haut de délocaliser, La Poste Suisse n’a pas attendu la crise du franc fort pour passer la frontière.
Depuis plus de dix ans, sa filiale Car Postal France taille des croupières aux opérateurs locaux. Présent à Bourg-en-Bresse et à Dôle dès 2004, le transporteur a peu à peu étendu son réseau, au point de susciter la colère de ses concurrents et l’inquiétude de certains observateurs en Suisse.
Il y a quelques mois, le conseiller national Guillaume Barazzone (PDC/GE) n’y est pas allé par quatre chemins. «Le Conseil fédéral est chargé de prendre toutes les mesures utiles afin de faire cesser toutes les opérations de Car Postal France ne respectant pas strictement les objectifs stratégiques assignés à La Poste Suisse.» Le Genevois mentionne en particulier l’obligation de générer une «croissance rentable» et de s’en tenir à des «risques supportables». Dans sa motion, le député interpelle le gouvernement sur le soutien financier accordé par La Poste à sa filiale française, qui atteindrait 22 millions d’euros pour 2010 à 2012.
Le gouvernement, qui propose de rejeter la motion, ne conteste pas ce soutien mais il l’explique par le fait que Car Postal France a été doté d’un capital minime durant son expansion: «Les coûts d’accès au marché ont donc été gérés comme des abandons de créances par La Poste.» Une explication qui ne satisfait pas le conseiller national Roger Nordmann (PS/VD). Ce spécialiste des transports juge «peu reluisante» l’activité de Car Postal France si elle repose sur des subventions opaques de l’entreprise-mère.
Tribunaux saisis
Les concurrents de Car Postal France – des opérateurs locaux mais aussi les poids lourds nationaux Veolia-TransDev ou Keolis – sont allés plus loin en contestant devant la justice, en vain, plusieurs adjudications. «De manière systématique, les offres de Car Postal France étaient 20% plus avantageuses», explique Gilles Dansart, rédacteur en chef du site spécialisé mobilettre.com. Cet ancien journaliste de La Vie du Rail a d’ailleurs été assigné en justice par Car Postal France à la suite de certains articles. L’affaire sera tranchée cet automne par un tribunal parisien.
«Notre filiale Car Postal France recherche une croissance qualitative et maîtrisée»
Pour Gilles Dansart, pas de doute, l’argent de La Poste a permis de casser les prix. «Je veux bien que Car Postal France ait une calculation très serrée et des méthodes d’exploitation très performantes, mais pas à ce point.» Mais les adjudicataires des appels d’offres ont expliqué autrement les échecs des transporteurs français, allant jusqu’à parler d’ententes sur les prix. A l’appui de ses dires, Gilles Dansart évoque un appel d’offres en Ile-de-France perdu récemment par l’opérateur franco-suisse. «Il sait que tous les regards sont désormais braqués sur lui. Il est plus prudent.»
Croissance qualitative
Sur ce point, le service de presse de Car Postal Suisse livre une réponse de Normand: «Nos affaires se concentrant sur des territoires proches de nos bases actuelles, il ne serait pas opportun de nous disperser. Nous allons donc continuer de grandir sur la moitié est de la France. Cependant, le fort potentiel de développement en Ile-de-France ne nous laisse pas indifférents et nous allons sélectionner les appels d’offres correspondant à notre taille et à notre savoir-faire. Nous recherchons une croissance qualitative et maîtrisée.»
Taille et savoir-faire: telles sont justement les préoccupations exprimées par Guillaume Barazzone dans sa motion. Le parlementaire craint que l’expansion en France ne fasse courir à La Poste des risques démesurés au regard des bénéfices financiers et de l’expérience qu’elle peut espérer en retirer.
Riches enseignements
Pour Car Postal Suisse, cet engagement n’a rien d’une aventure. «Nous avons beaucoup profité des connaissances acquises en France sur les appels d’offres. Ces connaissances s’appliquent directement au marché suisse, sachant que certains cantons, comme celui de Berne, mettent régulièrement des lignes au concours.» Le transporteur souligne que la France est très innovante en matière de marketing. «Au niveau des synergies, des effets se font sentir sur les prix des bus, des équipements et des services, car nous avons les mêmes fournisseurs dans les deux pays.» Enfin, Car Postal Suisse, comme le Conseil fédéral, souligne que la France offre un potentiel de croissance qui est inexistant en Suisse.
Au niveau des risques, Car Postal Suisse les juge limités. Jusqu’à présent, seule une ville – Obernai, «un petit marché à 500′000 euros» – n’a pas renouvelé son contrat. Dans un tel cas, la loi française impose la reprise du personnel par le nouvel opérateur. La cession des véhicules et des infrastructures est réglée au cas par cas. Si elle n’est pas prévue, «les bus doivent être vendus, loués ou replacés à l’interne», explique Car Postal Suisse.
Une forte implantation dans le sud-est de l’Hexagone
Car Postal France est présente dans l’Hexagone depuis 2004. Elle gère actuellement huit réseaux urbains dans des villes moyennes (Haguenau, Dôle, Bourg-en-Bresse, Villefranche-sur-Saône, Mâcon, Agde, Salon-de-Provence et Menton), six lignes Express (trois dans l’aire urbaine de Grenoble et trois entre Bourgoin-Jallieu et Lyon) ainsi que des lignes interurbaines régulières dans cinq régions de la moitié Est de la France. Viennent s’y ajouter des services de bus scolaires, des prestations touristiques et du transport à la demande.
En 2015, les contrats sur le département de l’Hérault et sur l’agglomération de Villefranche-sur-Saône arriveront à échéance. Comme ailleurs, Car Postal France tentera de les renouveler au travers des appels d’offres qui seront lancés par les autorités locales.
Filiale de Car Postal Suisse, Car Postal France jouit d’une autonomie dans la mesure du respect de la stratégie d’entreprise validée par le Conseil fédéral, le conseil d’administration et la direction de La Poste Suisse SA. «Les règles de gouvernance de La Poste Suisse sont applicables en outre à Car Postal France, ce qui permet aux directions de Car Postal Suisse et de La Poste de vérifier sa stratégie», indique Car Postal Suisse.
En 2013, Car Postal France employait 829 personnes, exploitait près de 580 véhicules et réalisait un chiffre d’affaires de 63 millions d’euros. Des chiffres qui sont à la hausse pour 2014, précise l’entreprise. Selon celle-ci, les derniers exercices ont été bénéficiaires, y compris l’année 2014. De son côté, l’Office fédéral des transports (OFT) confirme que les activités françaises sont désormais positives, mais aussi que «le Conseil fédéral a demandé que leur rentabilité soit améliorée».
Selon l’OFT, aucune limite chiffrée n’a été posée à l’expansion de Car Postal France, ou de La Poste à l’étranger en général. «Le Conseil fédéral précise dans les objectifs stratégiques que La Poste peut développer ses activités à l’étranger tant que les risques restent supportables et qu’une rentabilité durable est garantie», indique l’Office. Outre cette présence en Suisse, Car Postal Suisse exploite des lignes au Liechtenstein par l’intermédiaire de sa région Est.
24 Heures, Laurent Aubert 12.02.2015
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