Le géant jaune supprime des emplois en Suisse pour en créer ailleurs: les étiquettes des paquets sont ainsi traitées depuis le Viêtnam.
Les entreprises helvétiques qui transfèrent leurs centres de production vers des contrées plus avantageuses ne sont pas en odeur de sainteté dans le public.
Or, qui se douterait, en confiant un paquet au guichet de La Poste, que l’adresse exacte de son destinataire est gérée à des milliers de kilomètres d’ici?
Scanné en Suisse, traité à Hô Ch’í Minh-Ville
L’ancienne régie est désormais une société anonyme de droit public. Et, bien qu’elle soit encore entièrement dans le giron de la Confédération, elle cherche comme toute entreprise à rentabiliser ses activités.
En Suisse, les colis sont acheminés dans un des centres de distribution de Daillens, de Frauenfeld ou de Härkingen où les étiquettes sont scannées. Les données sont alors transmises en quelques fractions de seconde à des centres de traitement au Viêtnam pour y être vérifiées. Ce contrôle permet de repérer immédiatement les éventuels changements d’adresses et les objets qui doivent être réexpédiés. Quelques clics plus tard, le colis poursuit son chemin sur le tapis roulant helvétique. A noter que les logiciels de contrôle ont également été développés en Asie.
«Depuis le mois d’octobre 2014, ce procédé permet d’acheminer directement à bonne destination les paquets qui doivent être réexpédiés», explique Oliver Flüeler, porte-parole de La Poste. Quelque 1200 personnes travaillent pour l’entreprise à Hô Chí Minh-Ville et Cân-Thó. «La population de ces villes au passé mouvementé est jeune et polyglotte, et l’économie y est en pleine croissance», ajoute le porte-parole. Sans compter du gain de temps induit par le décalage horaire: quand la Suisse dort encore, le Viêtnam travaille déjà!
Syndicat inquiet
Cette stratégie ne vise-t-elle pas plutôt à optimiser les rendements de l’ancienne régie en économisant massivement sur les coûts du personnel? Oliver Flüeler rappelle le code social et éthique qui guide les pratiques de La Poste. Mais, au Viêtnam, seuls sont interdits l’esclavage et le travail des enfants. Les employeurs sont aussi censés respecter les droits humains et les lois du travail ainsi que le salaire minimal. Selon les indicateurs de l’Université d’Amsterdam, il s’élève à 155 fr. par mois à Hô Chí Minh-Ville et à 137.50 fr. à Cân-Thó.
A titre de comparaison, un employé de La Poste gagne au minimum 3846 fr. par mois en Suisse à temps complet…
Bruno Schmucki, du syndicat de la branche, Syndicom, se montre critique: «La Poste n’assume pas sa responsabilité sociale et montre le mauvais exemple en délocalisant.» Les chiffres semblent lui donner raison: en 2005, La Poste comptait encore 39 726 emplois à plein temps en Suisse. En 2013, on en dénombrait 2400 de moins.
Bouleversement en l’espace de dix ans
Or, pendant cette même décennie, l’entreprise a quintuplé ses effectifs à l’étranger en passant de 1347 à 6779 équivalents plein-temps. Ce personnel travaille en majorité pour la filiale Swiss Post Solutions. En 2014, elle employait quelque 7400 équivalents plein-temps, dont 880 personnes seulement sont basées en Suisse.
La main-d’œuvre vietnamienne travaille pour cette unité de La Poste. Qui est également active dans huit autres pays, dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les Etats-Unis. Elle vise la clien-tèle d’affaires des assurances, des banques, des télécommunications, des médias, tourisme et des transports, mais aussi du commerce et de l’approvisionnement en énergie.
La Poste vend ce secteur comme de «nouvelles prestations affines au service postal à la frontière entre la transmission physique et numérique d’informations, ainsi que solutions pour la délocalisation de processus d’affaires» (sic!).
Dans l’imaginaire populaire, le facteur bravant le froid et la neige pour glisser le courrier dans la boîte cédera-t-il le pas à une jeune Vietnamienne devant son écran? Le géant jaune propose désormais de scanner les documents, de saisir les données et de les préparer. Il traite aussi les factures et les images. A l’entendre, cette orientation s’inscrit dans les prescriptions reçues de la Confédération: «La Poste doit assurer le raccordement postal entre la Suisse et le monde. Elle doit mettre à profit à l’étranger les opportunités de croissance profitables en dehors des obligations de service de base.»
Rendements modestes à l’étranger
La délocalisation n’est, semble-t-il, pas la panacée pour transcender la rentabilité. En 2013, Swiss Post Solutions affichait un bénéfice de 5 millions de francs. En 2012, il était de 3 millions. Et, en 2009, l’entreprise était encore dans les chiffres rouges, avec un déficit de 25 millions.
A titre de comparaison, La Poste a réalisé un bénéfice de 864 millions sur le marché helvétique en 2013! Swiss Post Solutions n’a donc pas de quoi parader. Est-ce pour cette raison que le géant jaune est, lui-même, client de sa filiale au Viêtnam? Interrogé à ce propos, il a refusé de nous communiquer la proportion de mandats extérieurs.
Ce mutisme ne nous a guère surpris. A la fin de 2011, nous lui avions vainement demandé l’importance des investissements consentis pour acquérir les filiales basées à l’étranger et quelles en étaient les conséquences sur ses comptes. Nous avions ensuite posé la même question au Département fédéral des transports, de l’énergie et de la communication (Detec). Sans succès: on nous avait répondu que les chiffres non publiés dans le rapport annuel de La Poste relevaient du secret.
Comme le prévoit la loi sur la transparence, nous avons finalement interpellé le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence. Ce dernier est arrivé à la conclusion que le Detec ne peut pas transmettre ces données, parce qu’il n’en dispose pas! En conclusion, la Confédération, qui est pourtant l’unique actionnaire de La Poste, ignore les résultats des filiales de cette dernière à l’étranger!
Thomas Lattmann / chr
BàS / n° 02-2015 (p.28-29)
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