Mercredi 7 octobre, le collectif « Stop Tafta » remettait à la Commission européenne une pétition réunissant plus de 3 millions de signatures de citoyens européens pour réclamer la fin des négociations sur le Tafta.
Une proposition rejetée par l’institution européenne. Susan George, militante historique d’Attac, qui fait partie des animatrices du mouvement, revient pour Marianne sur les enjeux de cette démarche.
Marianne : Le collectif « Stop Tafta », dont vous faites partie, a déposé une pétition réunissant 3,2 millions de signatures de citoyens européens à la Commission européenne pour demander l’arrêt des négociations sur le Tafta. Malgré l’ampleur de l’opération, le bureau de Jean-Claude Juncker s’est caché derrière des arguties juridiques pour vous adresser une fin de non-recevoir. Quel était le sens de cette opération ?
Susan George : L’an dernier, nous avons décidé de lancer une initiative citoyenne à l’échelle de l’Europe pour contrer le Tafta. Nous voulions utiliser les voies juridiques que proposent les institutions européennes pour impliquer les citoyens européens dans la mise en place des politiques communautaires. Depuis 2012, nous pouvons proposer à la Commission européenne d’agir en rassemblant un minimum d’un million de signatures provenant d’au moins 7 des 28 Etats membres. Très vite, après avoir lancé notre pétition, en décembre dernier, soit trois mois après l’ouverture des signatures, nous avions déjà atteint le million de personnes dans plus de 7 Etats membres. Le jour des 60 ans de Jean-Claude Juncker, nous sommes d’ailleurs allés place Robert Schuman à Bruxelles pour fêter le dépassement du million de signatures et présenter ce document à deux adjoints de Juncker qui n’ont pas réagi. Nous avons continué pour finalement atteindre après un an, 3,2 millions de signatures, ce qui est une grande première en Europe. Pour la France, nous en sommes à 359 777 signatures, soit 650 % du quota demandé par les règles européennes. Le plus extraordinaire est qu’à part dans les pays baltes où nous n’avions pas de relais, Malte et Chypre, nous avons fait là aussi le plein de signatures. Or parmi les Etats membres, il y a toujours eu une différence entre l’est est l’ouest. Les pays de l’est étant traditionnellement très pro-américains parce qu’ils restent encore dans des schémas hérités de la guerre froide où la Russie représentée l’oppression et les Etats-Unis la liberté. Donc faute de pouvoir s’unir directement avec les Américains, ils ont choisis de s’associer à l’Europe, dans l’espoir de quitter définitivement le giron soviétique.
Quelle leçon tirez-vous de cette initiative ?
Sa réception traduit une grande volonté des citoyens européens d’agir contre le Tafta. 3,2 millions de citoyens qui ont signé, c’est du jamais vu. Surtout que la presse a très peu, voire pas du tout, rapporté notre initiative. Un simple exemple, lors de l’opération d’Alternativa à la République le 27 septembre dernier, il y avait deux stands où l’on pouvait signer la pétition. Résultat, dès que les passants étaient informés de la nature véritable du Tafta et de la pétition, ils la signaient. C’est une question d’information. Je dois dire que les médias dans leur grande majorité ne nous sont d’aucun secours.
Que pensez-vous des récentes déclarations de Matthias Fekl, le ministre français en charge du Commerce extérieur, qui a expliqué que « la France envisage toutes les options, y compris l’arrêt pur et simple des négociations » ?
Je pense qu’il y a une part de gesticulation et aussi l’envie de faire savoir que les Américains n’ont pas été sérieux dans leur offre. A regarder de plus près, il n’y a aucune réelle menace de quitter la table des négociations si les Américains accèdent aux demandes de la France sur une plus grande libéralisation de leurs marchés publics. Notre position dans le collectif « Stop Tafta » est beaucoup moins ambiguë puisque nous ne voulons pas de négociations du tout sur la base du mandat qui a été donné jusqu’ici. Il faut reconnaître qu’il est bien de la part de Matthias Fekl de montrer qu’il a de la volonté politique sur ce sujet. C’est l’une des premières fois. Surtout qu’en général, l’Europe fait plutôt office de carpette dans cette histoire.
En 1998, Lionel Jospin, sous la pression du mouvement de protestation dont vous étiez l’un des chefs de file, avait décidé de sortir des discussions de l’Accord multilatéral d’investissement (AMI), faisant ainsi tomber le projet. Pensez-vous que François Hollande serait capable d’agir de même ?
En 1998 Lionel Jospin avait décidé, après la forte mobilisation, qu’il n’avait vraiment pas besoin de l’AMI et il s’était retiré des discussions. Evidement, avec le retrait de la France, le projet est tombé. Je n’ai pas vraiment de réponse à vous faire concernant le gouvernement de François Hollande, à part qu’il faut maintenir la pression. Car les socialistes malheureusement depuis toujours, sont très pro-américain. Donc si ils doivent agir, ils ne le feront pas volontiers. Le scandale Volkswagen devrait pourtant les faire réagir… Il faut donc continuer à informer les citoyens européens, à multiplier les initiatives citoyennes pour pousser les gouvernements à agir.
Vendredi 09 Octobre 2015, propos recueillis par Bruno Rieth
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