TISA • Les «fuites» publiées jeudi par Wikileaks concernant l’accord sur les services (TiSA), négocié cette semaine, montrent que les Etats sont prêts à limiter leur souveraineté sur l’énergie au profit des multinationales.
Sous les feux des projecteurs, le Sommet sur le climat de Paris ferait-il diversion? On pourrait le croire en sachant qu’une cinquantaine d’Etats, dont la Suisse, les Etats-Unis et les pays de l’UE, négocient dans le même temps à Genève, discrètement cette fois-ci, un traité international sur les services (TiSA1) qui pourrait bien empêcher ces mêmes pays d’atteindre leurs objectifs en matière de réduction des gaz à effet de serre2. Une fuite publiée jeudi par Wikileaks confirme les craintes des ONG et des syndicats à cet égard.
«C’est la grande arnaque du changement climatique. A l’heure où des objectifs modestes sont actuellement débattus dans la capitale française, les moyens de les atteindre sont quant à eux négociés à Genève dans l’intérêt des plus grandes entreprises de la planète», estime Rosa Pavanelli, secrétaire générale de l’Internationale des services publics (ISP).
D’autant qu’alors que l’accord de Paris ne devrait avoir aucune portée obligatoire (les Etats-Unis et la Chine notamment n’en veulent pas), les normes commerciales prévues par TiSA, sont prévues pour être contraignantes.
Charbon ou solaire, c’est idem
Les documents confidentiels publiés jeudi par Wikileaks font planer le doute sur la détermination des Etats à enfin prendre des mesures pour limiter le réchauffement climatique.
En particulier, une annexe en négociation portant sur les «Services liés à l’énergie». Celle-ci prévoit une clause décriée par une bonne partie de la société civile: le principe de la «neutralité technologique»: «En clair, cela signifie réduire la possibilité pour les gouvernements de mettre en place des politiques différenciées en matière d’énergies non renouvelables, comme le charbon et le pétrole, et les énergies propres telles que l’éolien et le solaire», analyse Deborah James, spécialiste des accords commerciaux internationaux pour l’association Our world is not for sale (Notre monde n’est pas à vendre).
Et de conclure: «Puisque la réduction de la dépendance aux combustibles fossiles est aujourd’hui la base de la politique climatique, on voit mal comment les États pourraient réduire l’usage de carburants s’ils ne peuvent plus faire une distinction entre les différentes sources d’énergie».
L’accord pousserait de surcroît à la privatisation des services de l’énergie. D’après Victor Menotti, directeur du Forum international sur la globalisation, ce projet d’annexe entend «réduire la souveraineté des États au regard des ressources énergétiques, en contraignant les gouvernements à mettre en place des marchés libres pour les fournisseurs étrangers de services liés à l’énergie». Plus généralement, selon l’expert, le but de TiSA est de déposséder les citoyens du pouvoir de décider des politiques énergétiques et climatiques au profit des sociétés multinationales».
Réguler, est-ce bien «raisonnable » ?
Selon les nouveaux documents révélés par Wikileaks, la pression vers la privatisation concernerait aussi les «services environnementaux» tel que le traitement des eaux usées et l’élimination des déchets, privant là aussi l’État de leviers précieux.
Ces nouveaux chapitres de l’accord TiSA viennent s’ajouter à une négociation bien avancée déjà. Comme pour l’accord de Partenariat transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis, TiSA prévoit des clauses qui permettent aux entreprises de poursuivre devant des tribunaux ad-hoc des Etats qui ne respecteraient pas les nouvelles normes à la lettre.
Deborah James donne quelques exemples des questions qui pourraient être tranchées par ces nouvelles cours opérant selon les critères prévus par l’accord: «Est ce-que l’obligation qu’un certain pourcentage de l’électricité achetée provienne d’une source renouvelable sera considérée comme un critère «objectif»? Est-ce qu’une loi locale qui impose des améliorations techniques en vue de diminuer la pollution générée par une centrale électrique serait considérée comme «raisonnable» (du point de vue de la compétition internationale)?»
La partie est jouable
La fronde menée contre ce nouveau traité commercial international par les ONG et les syndicats commence à porter ses fruits: sous la pression des mouvements populaires, l’Uruguay s’est par exemple retiré des négociations en septembre dernier. De nombreuses villes de par le monde se sont déclarées symboliquement «hors TiSA», dont Genève en octobre (le Parlement du canton a demandé au Conseil d’État d’en faire de même) et Zurich début novembre. A noter que des négociations de ce type ont déjà été mises en échec par le passé à la suite de fortes mobilisations populaires, que ce soit les derniers rounds de l’Organisation mondiale du commerce, la Zone de libre commerce des Amériques ou l’Accord mondial sur l’investissement (AMI).
1. TiSA est l’acronyme pour Trade in Services agreement. En français : l’accord sur le commerce des services (ACS).
2. La plupart des Etats du Nord participent à la négociation, ainsi que six pays latino-américains, dont la Colombie et le Mexique, et l’île Maurice.
Le Courrier, 04 décembre 2015, Christophe Koessler
Libération, 3 décembre 2015
Voici le communiqué de presse de la fédération syndicale “Internationale des Services Publics” (20 millions de membres):
http://www.world-psi.org/fr/
Ainsi qu’un article de l’OWINFS (coordination mondiale d’organismes et de mouvements sociaux s’opposant aux accords TISA et TAFTA)
Déception climatique: “objectifs” non contraignants pour le climat, mais règles contraignantes pour le commerce de services
Informations transmises par le syndicat ADETRA
Autres articles et communiqués :
The Guardian :
http://www.theguardian.com/
Autres publications :
http://www.taz.de/Wikileaks-
Friends of the Earth :
http://www.foe.org/news/news-
The International Transport Workers’ Federation :
2015-owinfs-dj-climate-deception-on-energy-enviro-fr-3-dec-2015.pdf
0 commentaire à “Et si l’avenir du climat se jouait plutôt à Genève?”