La réforme vaudoise de l’imposition des entreprises (RIE III) est soumise aux urnes le 20 mars. Le mensuel d’opinions socialistes indépendant «Pages de gauche»* a décortiqué le dossier: un cadeau fiscal aux grandes entreprises qui, en cas d’acceptation, va grever sérieusement les ressources de l’État.
En mars, le canton de Vaud votera sur la baisse de l’imposition des entreprises la plus massive de son histoire. Baisser de moitié l’impôt sur le bénéfice pour asphyxier nos services publics? Qui va payer ce cadeau aux grandes entreprises?
Pages de gauche rappelle la nécessité de préserver les ressources de L’État pour la démocratie et pour des services publics de qualité. Contre la prédation fiscale et pour la solidarité nationale et internationale, il faudra voter «non» le 20 mars 2016.
Jusqu’au 20 mars 2016, la gauche vaudoise est en campagne contre la baisse de l’imposition des entreprises d’un taux de 23,48% (taux 2013) à 13,79%, que le Grand Conseil vaudois a adoptée le 29 septembre 2015. Cette RIE III vaudoise va amputer les ressources des collectivités publiques de plus de 500 millions de francs par an, selon les chiffres du Conseil d’État.
On ne peut pas parler d’une politique qui soutiendrait toutes les entreprises, puisqu’il faut déjà réaliser des bénéfices pour payer un impôt sur le bénéfice. Les entreprises en raison simple ou individuelle (votre salon de coiffure ou le restaurant du coin, par exemple) n’y sont pas soumises, et parmi celles qui le sont, plus de la moitié ne dégagent pas de bénéfice. Au total, moins de 30% des entreprises du canton de Vaud paient cet impôt, et la plupart paient un impôt inférieur à 10 000 francs par an. Seules 530 entreprises, soit 2,4% des entreprises vaudoises, ont réalisé un bénéfice supérieur à un million de francs en 2011, payant ainsi à elles seules près de 90% de l’impôt cantonal sur le bénéfice. Ce sont celles-là qui vont recevoir cet énorme cadeau fiscal si le «oui» l’emporte le 20 mars.
Un taux trop bas
Le taux choisi par le Conseil d’État est extraordinairement bas, inférieur à ceux des cantons de Zoug ou de Schwytz. Le Parti socialiste suisse considère lui-même qu’un impôt sur le bénéfice inférieur à 16% est insoutenable. Comme pour lui donner raison, les 520 millions de francs de pertes fiscales annuelles dues à la baisse de l’impôt sur le bénéfice dans le canton de Vaud ne seront compensées que par 50 millions supplémentaires tirés de l’impôt des entreprises bénéficiant aujourd’hui de statuts spéciaux, selon les propres chiffres du Conseil d’État. Ce chiffre ne prend pas en compte les futurs outils de déduction fiscale que la RIE III fédérale va rendre possible, et peut donc difficilement être pris au sérieux.
Il ne faut pas oublier en outre que de nombreuses entreprises continueront à être exonérées d’impôt, celles-ci n’étant pas concernées par la RIE III. La droite se livre maintenant au chantage à la délocalisation. Si ces entreprises souhaitaient uniquement réduire leur facture fiscale, elles l’auraient déjà fait, en déménageant soit vers des paradis fiscaux étrangers (les Îles Caïman, Guernesey, le Luxembourg), soit vers d’autres cantons suisses plus indulgents encore envers les actionnaires (Schwytz, Zoug, Nidwald, Lucerne, etc.).
Chantage à l’emploi
Les chiffres apocalyptiques avancés par le Conseil d’État (25 000 emplois seraient concernés) sont tirés d’une étude secrète qu’il a lui-même commandée à un centre de recherche (le CREA) connu pour ses positions ultralibérales. En réalité, les entreprises à statuts spéciaux représentent environ 3% des emplois du canton, soit un peu plus de 9000 places de travail. Le risque principal que cette réforme fait courir pour l’emploi est bien davantage que d’État s’appauvrisse et n’ait plus les moyens ni d’investir, ni d’entretenir une fonction publique qui fait de lui le premier employeur du canton.
Chantage aux «compensations sociales»
Les partisans de la RIE III prétendent que les «compensations sociales» disparaîtront en cas de refus. C’est faux, car le référendum ne porte que sur la Loi sur les impôts directs, premier élément du paquet. Toutes les autres mesures ont déjà été adoptées par le Grand Conseil sans être attaquées par la voie référendaire. En cas de refus, le Conseil d’État devra simplement présenter dans les six mois un rapport au Grand Conseil et, à ce moment, la RIE III fédérale aura été discutée aux chambres.
Il faut aussi noter qu’il ne s’agit pas de «compensations» puisqu’une partie (les subsides d’assurance maladie notamment) est payée par d’État, ajoutant donc aux pertes fiscales de nouvelles dépenses, alors que l’autre partie (les allocations pour l’accueil de jour) sera payée par toutes les entreprises, y compris celles qui ne paient pas d’impôts sur le bénéfice, soit qu’elles n’en font pas, soit qu’elles n’y sont pas soumises. Aucune «compensation» ne sera donc payée par les seules entreprises qui vont profiter directement de la réforme.
La précipitation du Conseil d’État sur ce dossier est incompréhensible. Pourquoi ne pas avoir attendu, comme l’ont fait tous les autres cantons, de savoir quel serait le contenu de la réforme fédérale, et en particulier les rétrocessions faites aux cantons? Les chevilles ouvrières de cette réforme, les Conseillers d’État Broulis et Maillard, font en réalité courir des risques inconsidérés au canton.
Comme Thomas Piketty l’a rappelé dans Le capital au XXI siècle, le grand combat politique de ce siècle sera la lutte entre le monde du travail et celui du capital. La RIE III, au niveau fédéral comme cantonal, est un formidable renforcement du second au détriment du premier, un transfert de ressources des collectivités publiques vers les actionnaires, et une incitation insensée à la maximisation sans frein du profit. La Suisse n’occupe pas n’importe quelle place dans ce combat, pompant chaque année des milliards de recettes fiscales en offrant des moyens d’évasion fiscale très sophistiqués aux entreprises et particuliers du monde entier. Par solidarité envers les salarié- e-s du monde entier, par fidélité à ce que représente la gauche, il faut voter «non» le 20 mars !
Ont participé à cette page (tirée du n° 152 de Pages de gauche ): Cora Antonioli, Antoine Chollet, Romain Felli, Mathieu Gasparini, Stéphanie Pache, Yasmina- Karima Produit, Arnaud Thièry.
Se souvenir de la RIE II
C’est sur la base d’un mensonge reconnu par le Tribunal fédéral lui-même que la RIE II est acceptée d’extrême justesse (50,5%) par la population en 2008. Elle supprime notamment l’impôt sur le capital des entreprises payant déjà un impôt sur le bénéfice et baisse nettement l’imposition sur les dividendes pour les actionnaires possédant plus de 10% des parts d’une entreprise. Le Conseil fédéral annonçait des pertes de recettes de moins d’un milliard de francs «à court terme». En réalité, elles se chiffrent à une dizaine de milliards. Alors qu’on promettait d’abord des mesures pour les PME, ce sont les grandes entreprises et les riches actionnaires qui en ont été les principaux bénéficiaires.
Les communes devront payer
Une des conséquences de la réforme vaudoise est de protéger les intérêts des petites communes qui ont joué le jeu dangereux du dumping fiscal, tandis que celles qui ont un tissu économique diversifié (et dont l’assiette fiscale ne repose pas sur les forfaits fiscaux) verront leurs ressources se tarir. L’Association des communes suisses le dit, avec la RIE III, «les communes devront payer les pots cassés». Et c’est dans le Canton de Vaud qu’elles devront payer le plus: plus de 110 millions par an !
Ce sont souvent les villes centres – là où la gauche est la plus forte, et là où elle peut mener une vraie politique écologique et sociale – qui perdent le plus. A Lausanne, par exemple, la Ville estime les pertes à 55 millions de francs (bruts) par an, soit plus que les dépenses pour les bibliothèques, le service des sports et le service de protection et sauvetage !
Avec la RIE III, les communes devront soit augmenter les impôts, soit couper dans les prestations. Le Conseil d’État a dans la hâte préparé une nouvelle péréquation communale, censée limiter les dégâts pour les villes les plus touchées. Ce ne sont pourtant que des promesses, agitées durant la campagne mais qui devront être votées par un Grand Conseil qui pourrait, une fois le 20 mars passé, se montrer moins généreux.
Neuchâtel: un exemple à ne pas suivre
Dès 2010, la droite et le patronat étaient parvenus à rallier le PS à la baisse de l’imposition des entre- prises dans le canton de Neuchâtel. Depuis le vote de 2011, le produit de l’imposition des personnes morales a bien augmenté. Le canton encaisse désormais 15,61% d’impôt sur le bénéfice d’entreprises qui auparavant profitaient d’arrangements et d’exonérations et ne participaient pas, ou peu, à l’impôt cantonal. La concurrence internationale, mais aussi nationale, a ensuite incité les autres pays et cantons à suivre la voie. C’est surtout dans les communes que cette politique a eu des effets catastrophiques. La Chaux-de-Fonds en est un bon exemple, car elle abrite le siège de nombreuses entreprises horlogères et de leurs myriades de sous-traitants qui ne bénéficiaient pas de statuts spéciaux. En 2016, qui marque la mise en place de la dernière phase de la réforme, La Chaux-de-Fonds perdra 13 millions de francs de recettes sur l’imposition des personnes morales. Ceci représente 12% du budget de fonctionnement de la commune. Cela se traduit par l’abandon de nombreux investissements et par la disparition de prestations existantes. Les services publics continueront de remplir leurs tâches avec moins de moyens, les temps d’attente seront plus longs, etc.
La concurrence fiscale intercantonale est extrêmement néfaste pour les communes qui n’abritent pas de sièges d’entreprises internationales. Aujourd’hui, la péréquation cantonale qui répartit les recettes entres communes pauvres et riches ne parvient plus à rétablir l’équilibre nécessaire pour permettre aux citoyen-ne-s du canton de Neuchâtel d’avoir accès aux mêmes prestations fournies par les collectivités publiques.
Le Courrier 29.02.2016
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