Stéphanie Pache revient sur la fin de la «clause du besoin» et sur la réaction des socialistes vaudois qui relève davantage, selon elle, d’«une idéologie gestionnaire» que de la «défense des services publics de santé accessibles et de qualité».
La santé constitue un enjeu politique majeur en Suisse, où sa cherté, entre autres, frappe toute personne, et en particulier les étrangères-ers. Poursuite de la discussion1 entreprise à la suite du refus du parlement national de pérenniser la «clause du besoin», une disposition de la LAMal qui permet aux autorités de refuser l’installation en cabinet des médecins titulaires d’un diplôme européen.
Ce vote de la majorité de droite suscite une agitation du Parti socialiste vaudois (PSV), qui semble y voir l’occasion de poursuivre sa dérive droitière. Le président du parti et député au Grand conseil s’est ainsi soudainement intéressé au domaine de son Conseiller d’Etat, et a déposé une opportune interpellation qui permet au chef du Département de la santé et de l’action sociale de signer une réponse du Conseil d’Etat qui doit alimenter la dramatisation de toute l’affaire et désigner la droite comme irresponsable face à une gauche bonne gestionnaire et soucieuse de la maîtrise des coûts.
La lecture de l’interpellation confirme les inquiétudes que l’on pouvait avoir en prenant connaissance de la communication immédiate du PSV suite au vote du Parlement. En effet, le texte critique de fait les accords bilatéraux qui permettraient «l’installation illimitée de [médecins] spécialistes européens attirés (sic) dans une large mesure par des tarifs médicaux élevés». Pour une fois qu’une corporation professionnelle résiste au dumping salarial, voilà qu’il faudrait limiter la circulation… En outre il mobilise aveuglément les chiffres de l’adversaire traditionnel des collectivités publiques, comme des partisan-e-s d’une caisse maladie publique, ceux de SantéSuisse, la faîtière des caisses-maladies.
Nous avons donc des élus socialistes qui ne semblent plus défendre le principe de libre-circulation et ne précisent rien sur ce point, et qui usent par ailleurs sans vergogne de données produites par une structure à l’honnêteté douteuse qu’ils ont combattue vigoureusement à de nombreuses reprises. Toute cette argumentation discutable est en plus au service d’une idéologie gestionnaire qui a définitivement adhéré au cadrage de la droite libérale, qui ne parle de santé qu’en termes de marché (privé) et de coûts (publics).
En contradiction avec la récente propagande sur la réforme fiscale vaudoise, qui a mis en avant des recettes fiscales si abondantes que le Canton pouvait se permettre d’offrir plus de 500 millions par an aux gros actionnaires, tout en augmentant les subsides LAMal, le Conseil d’Etat n’invoque que la question financière pour justifier ses velléités de planification et de limitation de l’offre de soins. Si le système très libéral des soins médicaux ambulatoires en Suisse laisse une marge de rationalisation des coûts importante, il semble que fonder son discours en n’invoquant que cette question entre en contradiction avec toutes les revendications de la gauche en matière de santé.
Car l’objectif premier ne devrait pas être d’économiser, mais d’offrir à tou-te-s une qualité exemplaire des soins de santé. L’usage le plus efficient des ressources fait bien sûr partie d’une politique qui se préoccupe de justice sociale, mais ce qui est par contre inquiétant, c’est une perspective qui admet l’idée que la santé est un marché de prestations comme un autre, où, cependant, l’offre induirait la demande. Si le PSV considère maintenant et s’offusque que les personnes «consommeraient» les soins uniquement parce qu’ils sont disponibles, comment défendre le projet de sortir la santé du marché privé, avec l’éducation et la sécurité par exemple, parce qu’il s’agit de besoins universels et de services à assurer démocratiquement et publiquement?
Si l’opération de communication impliquant la direction du PSV et le DSAS peut et doit être lue essentiellement pour ce qu’elle est, c’est-à-dire un prétexte pour se profiler dans un système électoral comme le parti le plus méritant pour gouverner, il ne faut jamais sous-estimer les effets politiques de l’abandon de son propre vocabulaire politique pour celui de l’adversaire. Car l’incapacité de s’exprimer dans un langage qui correspond à ses valeurs politiques est bien une défaite.
Dans le cas de la politique de santé en Suisse, malgré les revendications apparentes de contrôle par les cantons des installations en cabinet médical, en remettant en question, au passage, le principe de libre-circulation et celui d’une saine méfiance envers les caisses maladies privées, rien ne permet de penser qu’une avalisation des concepts soutenant l’idéologie de la marchandisation de la santé constitue une stratégie efficace pour défendre des services publics de santé accessibles et de qualité.
23 mars 2016, Stéphanie Pache, Le Courrier
0 commentaire à “Défendre les services publics de santé”