RIE III : Compromis contre principes

Les Chambres fédérales devraient avoir mis la réforme sous toit en juin. Et le référendum devrait être lancé en juillet. La Réforme III de la fiscalité des entreprises (RIE III) pose des questions essentielles en matière de justice sociale.

Les Vaudois ont passé un compromis approuvé par le peuple; les Genevois tentent la même opération. Une table ronde s’ouvre aujourd’hui sous l’égide du Conseil d’État.

Avec, à gauche, deux fronts: PS et Verts tentent de limiter la casse, entrent en matière, et demandent des compensations dignes de ce nom (voire une neutralité des pertes fiscales) que la droite leur refuse. La gauche de la gauche adopte par principe une posture de refus.

On peut se poser la question du bien-fondé du compromis vaudois porté par le duo Pascal Broulis (PLR) - Pierre-Yves Maillard (PS). Il rend illisible la politique du Parti socialiste suisse qui a rejoint le camp des forces politiques favorables au lancement d’un référendum fédéral. Comment l’électeur de base est-il censé démêler cet écheveau et refuser au niveau suisse ce qu’il a accepté à l’échelon cantonal?

Cela introduit ensuite une concurrence fiscale entre Genève et Vaud. Le canton du bout du lac peut difficilement justifier un taux plus élevé alors que les Vaudois se livrent au dumping fiscal.

Enfin, cela masque la question de fond. La RIE III est une baisse fiscale favorisant le capital. Si l’on veut compenser ce manque à gagner qui semble inéluctable, c’est bien le travail qui sera plus lourdement mis à contribution. Or le ratio de la redistribution des richesses produites se dégrade depuis des lustres au profit du capital et au détriment des salaires. En médiane, il a perdu cinq points depuis les années nonante (de 66,1% à 61,7%, chiffres OCDE) et même dix points depuis la fin des années septante.

La RIE III accentue cette tendance, réduisant encore l’imposition du bénéfice des entreprises. A rebours du bon sens qui assigne à l’impôt un rôle redistributeur. Et contraire aux intérêts de l’économie réelle, qui aurait davantage besoin d’une stimulation de la demande intérieure plutôt que d’encourager la flibuste capitaliste en direction de Panama, où elle alimentera des flux spéculatifs destructeurs d’emplois.

La RIE III s’inscrit dans une tendance délétère. La dernière fois que les Suisses ont voté sur le sujet, en 2011, on leur promettait 933 millions de francs de pertes fiscales seulement. A l’arrivée la douloureuse s’est montée à plus de 7 milliards! Cela devrait suffire à nous mettre la puce à l’oreille et à affûter nos crayons référendaires plutôt que de tenter une opération de replâtrage.

Le Courrier, 15 avril 2016, Philippe Bach

Négociations sur RIE III: la gauche pose ses conditions

Le PS exige que la réforme de l’imposition des entreprises ne coûte rien à l’État genevois et exige plus de mesures compensatoires.

Attendues depuis longtemps, les négociations sur la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) s’ouvrent aujourd’hui entre le Conseil d’État genevois, les milieux économiques, les communes, les partis politiques et les syndicats. Alors que le grand argentier Serge Dal Busco a réitéré ses positions dans la presse, les fronts se clarifient à gauche. Si Solidarités a confirmé mercredi ne pas entrer en matière sur le volet genevois de cette réforme fédérale combattue en référendum, les Verts joueront le jeu des discussions. Le PS aussi, mais non sans poser sa condition: aucune perte fiscale pour le canton.

Le scénario actuellement privilégié par le Conseil d’État est toujours celui d’un taux unique d’imposition du bénéfice aux alentours de 13% (au lieu de 24,2% pour les sociétés ordinaires). Sur le fond, le Parti socialiste ne combat pas ce principe qui signe la suppression des statuts préférentiels accordés à certaines sociétés, mais souhaite que l’opération soit financièrement neutre pour Genève. Le niveau de prestations publiques doit être maintenu, dit-il, et même renforcé.

«Nous pourrons très bien vivre avec un taux de 13% s’il nous permet d’atteindre l’équilibre fiscal grâce à des compensations suffisantes», expose le député Romain de Sainte Marie devant les médias. «Ce sont les compensations obtenues qui devront permettre de déplacer le curseur entre 13% et 16%, taux avec lequel l’opération serait arithmétiquement blanche», ajoute la présidente Carole-Anne Kast.

Pas d’autre rabais fiscal

En plus de cela, le PS exigera un «engagement ferme» du canton à n’appliquer aucun autre instrument fiscal prévu par la réforme fédérale, comme la patent box ou la déduction des intérêts notionnels (NID), synonymes de pertes fiscales supplémentaires pour l’État. Son soutien au volet cantonal est enfin conditionné au maintien de la Taxe professionnelle communale ainsi qu’au gel du frein à l’endettement. «Bien malin celui qui peut aujourd’hui chiffrer au franc près les conséquences de RIE III. Vu cette part d’incertitude et le niveau de la dette genevoise, il n’est pas envisageable de conserver cette épée de Damoclès sur les prestations publiques», prévient Mme Kast.

Pour parvenir à l’équilibre, les socialistes ne proposent pas moins de sept mesures fiscales compensatoires, dont une «contribution de responsabilité sociale des entreprises», qui serait prélevée en fonction du bénéfice et du nombre de salariés par société. «Contrairement à un prélèvement sur la seule masse salariale, cette nouvelle taxe préserverait les petites PME qui ne font pas de bénéfices, ainsi que les associations et les employeurs publics», détaille M. de Sainte Marie. A cette proposition inédite s’ajoutent quelques vieilles demandes, comme la suppression du bouclier fiscal, l’abolition des forfaits fiscaux ou la réévaluation de la valeur fiscale des immeubles non locatifs.

Les socialistes aimeraient en outre que ces compensations servent à renforcer les politiques d’insertion et de réinsertion professionnelle, «boostent» les places en crèche et le financement des infrastructures.

«Projet déjà ficelé»

La droite économique n’a pas tardé à réagir dans l’après-midi, critiquant vivement ces nouvelles «hausses d’impôts». «Inacceptables pour le PLR, ces mesures compensatoires seront vigoureusement combattues», indique un communiqué. Ce qui n’augure pas le meilleur quant aux discussions de ce vendredi. D’autant que dans la Tribune de Genève, le conseiller d’État Serge Dal Busco a rappelé que son scénario n’avait pas bougé d’un iota et qu’il fallait «impérativement» un taux autour de 13%.

«Le projet semble déjà ficelé avant même que les discussions n’aient commencé», regrette Nicolas Walder, président des Verts. Car les écologistes, s’ils n’ont pas convoqué la presse pour en parler, souhaitent toutefois aboutir à un accord, avec la promesse qu’il n’y aura pas d’autres baisses fiscales pendant au moins dix ans. «Nous soutenons l’égalité fiscale entre entreprises, mais nous demanderons des engagements à ce qu’elle ne se fasse pas sur le dos des plus précarisés. Il faudra davantage de compensations et nous avons encore l’espoir de déplacer le curseur. Mais si ce n’est pas possible, pour ma part, je défendrai le référendum.»

Solidarités appelle au refus de principe de la RIE III

«A la rigueur, nous nous demandons s’il y a lieu de nous rendre à la table ronde sur la réforme de la fiscalité des entreprises RIE III», explique Jean Batou, membre de Solidarités et député d’Ensemble à gauche, en faisant allusion à la séance prévue ce vendredi sous la houlette du Conseil d’Etat.

La gauche de la gauche note tout d’abord que l’espace de négociation est mince. «Au niveau fédéral, si le Parti socialiste a basculé dans le camp de forces favorables au référendum, c’est bien qu’il a compris que la droite refusait tout compromis», résume Pablo Cruchon, permanent de Solidarités et membre du comité référendaire national. Du coup, il lui semble pour le moins prématuré de chercher un compromis à Genève, alors que la question sera arbitrée par le peuple si le nombre de signatures requis est atteint.

Refus d’une baisse de la fiscalité

Deuxième argument avancé, politique celui-là, le refus de la RIE III s’inscrit dans une revendication du mouvement social. Celui-ci a publié l’an passé un manifeste syndical refusant la tendance baissière de la fiscalité telle que proposée par cette réforme et signé par l’ensemble des partis de l’Alternative rose-rouge-vert. «Il s’agit de rester cohérent, on ne peut pas signer un tel document et ensuite faire le contraire», poursuit Jean Batou.

Reste que Solidarités a lancé avec le SSP un référendum au canton de Vaud. Il a convaincu 13% seulement des électeurs de ne pas voter le projet concocté par le duo Pascal Broulis-Pierre-Yves Maillard. «Le rapport de force n’est pas le même à Genève», estime au contraire Pablo Cruchon, le front syndical est uni et la droite n’est absolument pas ouverte au compromis, on le verra dans le cadre de cette table ronde.»

D’où un appel au PS et aux Verts pour constituer un front et s’opposer à cette nouvelle attaque contre le rôle social de l’impôt. «Le canton ne peut pas se passer sans autre de 500 millions de francs de recettes fiscales; en période de stagnation économique, il est au contraire nécessaire de stimuler la consommation interne dans le cadre d’une politique keynesienne.» PHILIPPE BACH

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