Le Parlement européen veut reprendre la main sur le TiSA

La députée européenne conservatrice Viviane Reding est l’auteure d’un rapport sur le TiSA.


Dans l’univers très anxiogène des grands accords commerciaux négociés derrière des portes closes, le traité transatlantique Tafta/TTIP en préparation entre l’Europe et les États-Unis occupe depuis bientôt trois ans le devant de la scène de notre côté de l’Atlantique – quand les Américains s’intéressent davantage au traité transpacifique, officiellement signé le 4 février 2016.

Il existe pourtant un troisième grand accord en négociation qui, bien que moins connu, charrie son lot de craintes : l’Accord sur le commerce des services, souvent désigné par son acronyme anglais TiSA (Trade in Services Agreement). Ce qui a filtré des 15 cycles de discussion qui ont déjà rassemblé depuis 2013 l’Union européenne et les 22 autres pays à la table des négociations a inquiété de nombreux acteurs de la société civile, qui pointent du doigt le risque de signer des engagements irréversibles sur le chemin de la libéralisation, mettant en danger les services publics et les régulations protectrices de l’Union européenne.

Profitant d’un timing favorable, en plein 16e cycle de négociation, avant l’entrée dans la dernière ligne droite des discussions, le Parlement européen a voté le 3 février à une très large majorité une série de recommandations à destination de la Commission européenne, qui négocie TiSA au nom des Vingt-Huit États membres.

L’exercice était périlleux pour les députés européens, qui s’étaient déchirés à l’occasion d’un exercice similaire sur le traité transatlantique à l’été 2015 pour des questions de formulation, brouillant le message général envoyé par l’assemblée. Cette fois, la résolution préparée par la députée conservatrice luxembourgeoise Viviane Reding a recueilli un large consensus de la droite et de la gauche pour réclamer un changement de direction assez radical des négociations (seuls l’extrême-droite, les écologistes et la gauche radicale ne l’ont pas votée).

Quelques unes des propositions des députés :

- Supprimer du texte les clauses dites de “cliquet” de et “statu quo”, qui visent à verrouiller toute libéralisation des services, empêchant de futurs gouvernements de faire marche arrière.
- Exclure les services audiovisuels du champ de l’accord
- Empêcher que les États européens soient contrains de libéraliser leurs services publics (la définition du “service public” étant très floue, les députés proposent précisément d’exclure les “services d’intérêt général actuels et à venir” et les “services d’intérêt économique général” ; en outre, ils suggèrent l’introduction dans tous les accords commerciaux, dont le TiSA, d’une “règle d’or” qui garantirait une définition et une protection suffisamment large des services publics)
- Exiger une plus grande réciprocité dans l’ouverture des marchés (forte en Europe, moins chez ses partenaires)
- Protéger les données personnelles numériques (alors que les États-Unis aimeraient contourner avec TiSA la réglementation européenne)

Si les principales récriminations des opposants ont été prises en compte, les parlementaires ont renoncé à réclamer le retrait d’une autre disposition très controversée : l’utilisation de listes négatives, une méthode qui protège moins les secteurs de la libéralisation, en contraignant les Etats signataires à lister exhaustivement les secteurs qu’ils souhaitent protéger – au risque d’en oublier.

Au-delà de ces garde-fous censés rassurer les sceptiques, le Parlement européen veut que la Commission européenne négocie des avancées concrètes qui pourraient faire prendre conscience aux citoyens européens de l’intérêt d’un tel accord, au-delà des opportunités économiques ouvertes pour les multinationales. Sont cités pêle-mêle une réduction des frais d’itinérance (“roaming”) pour les télécommunications et des frais bancaires à l’étranger, une meilleure reconnaissance des diplômes ou encore une mobilité facilitée pour les professionnels hautement qualifiés au sein de la future “zone TiSA”.

Reste à savoir si la commissaire au commerce Cecilia Malmström sera sensible aux doléances des députés européens, qui n’ont pas de valeur contraignante. Mais, comme l’a rappelé Vivane Reding, “si nos recommandations ne se trouvent pas dans l’accord final, le Parlement pourra exercer son veto”. Or, un “non” de l’assemblée de Strasbourg porterait un coup fatal au TiSA, comme lors du rejet du traité anti-contrefaçon ACTA, en 2012.

Maxime Vaudano

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