«Tafta», cet accord qui fait très peur

OGM, viande aux hormones, sécurité alimentaire affaiblie… La publication par Greenpeace de documents confidentiels sur le traité de libre-échange négocié entre les États-Unis et l’UE confirme les menaces que fait peser cet accord sur la santé et l’environnement.

Le projet de partenariat entre l’UE et les États-Unis est écorné par la publication de documents confidentiels, qui témoignent des menaces qui pèsent sur la santé et l’environnement. Et sur l’agriculture suisse.

Fortement décrié, le partenariat de commerce et d’investissement, actuellement en négociation et de manière opaque entre l’Union européenne et les Etats-Unis, vient de subir un nouveau coup de semonce: hier, Greenpeace a publié sur internet près de 250 pages de documents confidentiels portant sur cet accord de libre-échange, connu sous son acronyme anglais «TTIP» ou «Tafta», en français. Ces documents, qui n’étaient accessibles aux négociateurs que dans des salles sécurisées, représentent 75% des textes de l’accord en cours. Ils confirment aux vues d’une première lecture les «menaces sur la santé et l’environnement», selon l’organisation écologiste.
«Nous devons stopper ces négociations et entamer le débat!», insiste Faiza Oulahsen, de Greenpeace Netherlands, la section qui a réussi à se procurer ces documents. Selon ses premières analyses, l’accord tente de supprimer le principe de précaution en vigueur en Europe, qui n’autorise que les produits inoffensifs pour les êtres humains et leur environnement. «L’agroindustrie étatsunienne considère de plus en plus le principe de précaution comme étant une entrave au commerce. Si les États-Unis parviennent à imposer leur position dans l’UE, cela ouvrirait la porte du marché européen aux plantes transgéniques et à d’autres produits con troversés comme la viande produite avec des hormones de croissance», souligne Françoise Minarro, porte-parole de Greenpeace Suisse.

Lâcher du lest? Non!
D’autres points critiques sont mis en évidence. Ainsi, la législation de l’UE en matière de sécurité alimentaire ou de produits chimiques risque d’être affaiblie ou même complètement supprimée. Ou encore: les représentants de l’industrie pourront participer aux prises de décision importantes, alors que les intérêts de la population ne seront pas pris en compte. «Le TTIP ébranle les fondations de la protection des consommateurs et de l’environnement dans l’UE. Ce traité menace des droits et des lois conquis de haute lutte durant des décennies. Ce traité ne doit pas entrer en vigueur», avance Jürgen Knirsch, spécialiste du commerce chez Greenpeace.
Reste que l’UE n’entend pas tout avaler. Directeur suppléant du World Trade Institute de l’Université de Berne, Manfred Elsig constate: «Je fais des recherches sur les contenus des accords de libre-échange depuis une dizaine d’années et ce que j’ai lu ce matin (hier, ndlr) ne me surprend pas. Les fuites mettent en évidence les divergences entre les deux parties». Notamment en ce qui concerne les OGM, bannis dans la majorité des pays européens. Ou encore le principe de précaution, inscrit dans la Constitution européenne. «Ces documents montrent que l’UE n’est pas près de lâcher du lest.»

USA peu agités
Dans ce contexte, Manfred Elsig ne voit pas de compromis à court terme. «D’autant plus que cet accord agite encore peu les débats aux États-Unis». Quoi qu’en dise le président américain Barack Obama, qui a déclaré récemment vouloir boucler les négociations d’ici à la fin de l’année, avant de quitter la Maison-Blanche. «Ces documents montrent que les deux parties sont au milieu des négociations, bien loin d’avoir trouvé une solution.»
Quid de la Suisse? «N’étant pas membre de l’UE, elle n’a pas accès aux négociations. Elle en subira néanmoins les conséquences, car l’UE et les États-Unis sont d’importants partenaires commerciaux de la Suisse. Le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann veut nous soumettre à l’accord TTIP sans savoir ce qu’il contient. Il ne semble pas se soucier du fait que la protection de l’environnement et de la santé publique en pâtirait probablement, «dénonce Christian Engeli, chef de campagnes de Greenpeace Suisse. «Nous sommes un pays importateur net: 45% de nos besoins en denrées alimentaires sont couverts par l’importation. Si nous nous retrouvons avec une abolition totale des droits de douane, cela entraînera une baisse drastique des revenus agricoles», s’inquiète pour sa part Jacques Bourgeois, directeur de l’Union suisse des paysans. «Selon nos estimations, un tiers des exploitations agricoles suisses pourrait disparaître! C’est sûr qu’avec d’un côté des prix mondiaux et de l’autre des coûts de production suisses, la situation économique des familles paysannes serait désastreuse. Nous ne pourrons jamais être concurrentiels. On ne boxe pas dans les mêmes catégories!»
Et Jacques Bourgeois de poursuivre: «L’Amérique veut nous imposer ses standards de production: de la viande aux hormones, des poulets traités au chlore, les OGM,… Il y a une certaine forme d’arrogance qui ne tient absolument pas compte de la sensibilité des consommateurs suisses et européens. Nous ne sommes pas prêts à accepter une telle dictature!»

BERNE SUIT L’AFFAIRE
«Les craintes des paysans suisses sont compréhensibles. Mais l’UE ne cédera pas sur des points aussi fondamentaux que les standards des denrées alimentaires», insiste Manfred Elsig, directeur suppléant du World Trade Institute de l’Université de Berne. Et le sort des indications de provenance - AOP, IGP - considérées par les États-Unis comme une forme de protection déguisée? «Il faudra voir ce qui ressort du compromis final», note l’expert. Mais de rappeler que la France et l’Italie ont aussi beaucoup de ces indications, «des pays qui ont bien plus de poids que la Suisse».
Le Secrétariat à l’économie (seco), pour sa part, dit suivre de très près les négociations.» Un groupe interdépartemental de travail, composé des différents départements et offices concernés de la Confédération, a été mis en place pour analyser les conséquences possibles d’un accord UE-USA sur la Suisse. Tant que les résultats des négociations ne sont pas connus, il est trop tôt pour se prononcer. Sur la base du contenu d’un accord UE-USA, le Conseil fédéral examinera les options à disposition pour définir la stratégie afin de préserver la compétitivité de l’économie suisse», indique Fabian Maienfisch, du seco. RR

Le Courrier 3 mai 2016
RACHEL RICHTERICH ET KESSAVA PACKIRY

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