Les transports publics genevois sont parmi les plus lents de Suisse. Avec une vitesse moyenne d’environ 16 km/h, ils sont surclassés par les réseaux des cantons de Berne (20 km/h) ou de Bâle (19 km/h).
L’initiative des Verts pour des transports publics plus rapides affronte en juin un contre-projet plus nuancé, soutenu à gauche comme à droite. Débat.
Les Genevois se prononceront le 5 juin prochain sur l’initiative des Verts «pour des transports publics plus rapides», ainsi que sur son contre-projet adopté en décembre dernier au parlement (lire ci-dessous). Si les deux textes étaient acceptés, la question subsidiaire les départagerait. Une grande partie de la gauche s’accorde pour considérer que ces deux alternatives contiennent des outils pour soulager la mobilité genevoise. Mais les partis ne s’entendent pas forcément sur les priorités et sur la tactique à privilégier. Entre une initiative plus radicale et sans concession imaginée par les écologistes, et une loi globale conçue comme un compromis au Grand Conseil, que faut-il favoriser?
Le texte lancé par les Verts vise à corriger une anomalie propre à Genève: ses transports publics sont parmi les plus lents du pays. Avec une vitesse moyenne d’environ 16 km/h, ils sont surclassés par les réseaux des cantons de Berne (20 km/h) ou de Bâle (19 km/h), ce dernier ayant notamment fait inscrire la priorité de ses bus dans sa Constitution. En permettant aux TPG de pouvoir passer moins de temps aux carrefours ou dans la circulation, les écologistes entendent améliorer leur vitesse commerciale de 10%, augmenter leur attractivité et produire aussi près d’1 million de francs d’économies par an.
«Un principe élémentaire»
«Notre initiative a le grand avantage de la clarté, estime Nicolas Walder, président des Verts. Elle envoie un signal fort en faveur des transports publics. Elle montre que l’ensemble de la mobilité genevoise doit être organisé autour de ce réseau, et pousserait le gouvernement à développer l’offre au lieu de la réduire.» Une façon également d’en finir avec le vieux débat sur le libre choix du mode de transport, qui empêcherait Genève d’effectuer des choix ambitieux et progressistes en matière de transports.
La gauche de la gauche soutient sans réserve les mesures inclues dans l’initiative. «C’est un principe élémentaire, insiste Thibault Schneeberger, secrétaire de Solidarités et d’Actif-Trafic. C’est absurde d’observer des centaines de personnes dans un tram poireauter à des feux pour laisser passer des voitures.» Les partisans de cette initiative insistent également sur le faible coût de sa mise en œuvre. Une modernisation des feux de signalisation serait nécessaire. L’Etat a déjà annoncé vouloir mener ce chantier et a soumis un crédit de 32 millions de francs au Grand Conseil.
Afin de donner davantage de chances à l’initiative de l’emporter, Solidarités appelle à voter «non» au contre-projet. «Nous ne pouvions pas soutenir une loi qui prône la construction de la traversée du lac et qui caviarde en partie les objectifs de l’initiative sur la mobilité douce», justifie Thibault Schneeberger. Les Verts souhaitent faire adopter leur initiative. Ils ne combattent pas pour autant le contre-projet. «Ce texte va dans la bonne direction, explique Nicolas Walder. Il contient plus d’aspects positifs que négatifs, donc nous pouvons y adhérer.»
A gauche, les socialistes sont les seuls à privilégier le contre-projet. La portée globale de cette loi séduit ce parti. «On apporte des réponses différenciées et rationnelles selon les zones du canton, explique Thomas Wenger, député PS. On n’a pas besoin des mêmes mesures suivant si l’on se trouve en campagne ou au centre-ville.»
«Le contre-projet va plus loin»
Portant sur plusieurs aspects et pas seulement sur les transports publics, le contre-projet «va plus loin», selon lui. «La mobilité douce (les cyclistes et les piétons) est également priorisée au centre-ville. Cette loi est également plus efficace pour encourager les pendulaires à davantage utiliser les transports publics.» Le député mentionne ainsi la construction de parkings relais, ou la mise en service de lignes de bus, afin d’augmenter l’offre vers la France voisine.
Le contre-projet contient donc un catalogue de mesures, plus ou moins précises, qui s’attaque chaque fois à un problème spécifique de la mobilité. Pour Thomas Wenger, son application serait facilitée. «Il fixe une feuille de route législative claire.» Cette question est importante. Pour rappel, l’initiative pour la mobilité douce, adoptée en 2011, n’a toujours pas été mise en œuvre. En serait-il de même avec celle soumise au vote en juin prochain? Le conseiller d’Etat Luc Barthassat a déclaré dans nos colonnes qu’il ne l’appliquerait pas totalement (notre édition du 28 avril dernier). Le contre-projet bénéficie d’un soutien politique plus large.
«Cette loi est plus floue, rétorque Thibault Schneeberger. Plusieurs de ses mesures pourraient être soit contournées, soit ignorées pas la majorité de droite au Grand Conseil. L’initiative des Verts nous offre un bien meilleur appui afin de pouvoir ensuite réclamer des actions en faveur des transports publics.» Quel que soit le texte qui sera privilégié en juin par les votants, la bataille politique pour sa mise en œuvre ne sera pas gagnée. I
«L’initiative des Verts va paralyser le trafic à Genève»
A droite, on s’accorde aisément pour appeler à rejeter l’initiative des Verts. Ce texte porte évidemment atteinte au principe constitutionnel du «libre choix du mode de transports», cher surtout aux partisans de la voiture en ville. On estime notamment que l’initiative serait impossible à mettre en œuvre sans paralyser l’ensemble du trafic genevois. «C’est surtout un projet sectoriel de plus, qui ne règle que la question des transports publics sans s’inquiéter des impacts sur les autres usagers de la route», déplore Daniel Zaugg, député PLR. «Il entretient la guerre des transports.»
Le contre-projet, en revanche, divise la droite. Alors qu’il prévoit pourtant plusieurs restrictions à la voiture au centre-ville, les libéraux-radicaux ont soutenu cette loi à la quasi-unanimité. Le PDC y est également favorable. L’Entente salue l’esprit qui a permis l’adoption de ce texte. «De toute mon expérience au parlement, je n’ai jamais vu les adversaires sur la question des transports faire autant de pas dans la direction des autres, souligne Daniel Zaugg. C’est un compromis. Seul, je n’aurais pas rédigé ce texte. Mais c’est également le cas de la gauche.» L’élu met en avant les solutions pragmatiques, pour tenter de soulager le centre-ville du trafic, tout en maintenant des axes nécessaires pour les voitures, «car celles-ci ne vont pas disparaître demain».
Le MCG et l’UDC appellent, de leur côté, à voter «non» au contre-projet, qui restreint trop l’accès des voitures au centre-ville, selon le député UDC Patrick Lussi. Au MCG, la décision a toutefois été prise à une très courte majorité, le débat sur cette loi ayant provoqué de très vives tensions au sein de la formation. Le député MCG Eric Stauffer défend les mesures de ce texte visant à limiter le trafic des frontaliers, comme des lignes de bus à haut niveau de service ou une politique restrictive en matière de stationnement. Mais pour son collègue de parti Roger Golay, la limitation des axes routiers au centre provoquera des bouchons. «Il manque des voies radiales pour permettre aux automobilistes de contourner le centre-ville, estime-t-il. L’adoption de ce contre-projet serait une véritable victoire pour les Verts.»
Des associations qui défendent généralement le trafic automobile combattent l’initiative des Verts mais pas le contre-projet. C’est notamment le cas du Touring club suisse (TSC) ou du Groupement transports et économie (GTE). Ce dernier, faute d’unanimité dans ses rangs, ne donne aucune consigne de vote. La présidente du GTE, Nathalie Hardyn, s’exprime toutefois en tant que directrice adjointe de la Chambre de commerce et d’industrie genevoise. «Encourager les pendulaires à emprunter les transports publics est une bonne chose, mais cette loi ne nous semble pas suffisante, explique-t-elle. Nous n’avons aucune garantie que les investissements pour construire les P+R ou créer des lignes de bus seront votés par le Grand Conseil.» Et d’ajouter que la plupart des mesures du contre-projet accompagneraient idéalement la construction d’une traversée du lac. Le véritable objectif de la droite est bien là. ELE
Une initiative simple face à un contre-projet global
A l’origine, il y a une initiative déposée par les Verts en novembre 2013 avec 11 000 signatures. Ce texte vise à donner la priorité aux transports publics en développant les sites propres pour les bus et les trams ou en régulant les feux de signalisation en leur faveur aux carrefours. Un objectif et des mesures simples, donc.
Cette initiative écologiste a été refusée par une majorité du Grand Conseil, qui a décidé de lui opposer un contre-projet. Une sous-commission a été créée, comptant un représentant par parti, avec pour objectif de parvenir à un compromis global en matière de mobilité. La quadrature du cercle, en somme.
Mais, au terme des travaux parlementaires, un texte a été adopté en décembre 2015. Si le consensus est mort en chemin avec les oppositions de certains partis (l’UDC et Ensemble à gauche en tête), le texte final compte plusieurs mesures qui tentent de contenter les élus écologistes, tout en satisfaisant la droite, attachée au principe du libre choix du mode de transport. Le territoire du canton est divisé en trois zones: dans les deux zones les plus centrales (le centre et l’hypercentre), les transports publics et la mobilité douce sont privilégiées; dans le reste du canton, c’est le statu quo.
La gauche apprécie les avancées obtenues en ville. Les zones piétonnes y sont favorisées, tout comme les zones 30. L’accès des voitures est contraint, notamment par une politique du stationnement restrictive, alors que la loi sur la compensation des places de parking est assouplie pour permettre davantage de suppressions. Plus globalement, le contre-projet prévoit la mise en service de bus aux cadences élevées entre les régions périphériques et la ville, ainsi que la construction de P+R, afin d’encourager le transfert modal et limiter le trafic pendulaire. Les principes de l’initiative sur la mobilité douce (un réseau de pistes cyclables continu et sécurisé) sont réaffirmés, bien que légèrement adoucis.
La droite est, elle, parvenue à inclure dans ce contre-projet une politique du stationnement bon marché pour les deux-roues motorisés. Ce point a été largement combattu par la gauche. Afin de pallier les restrictions à l’encontre des voitures au centre-ville, le maintien d’une ceinture routière, passant par les quais et certains axes urbains importants, est ancré dans cette loi. La voiture n’est plus la bienvenue partout mais garde des routes où elle est prioritaire. La droite se satisfait enfin de l’inscription de la traversée du lac dans ce texte, bien que son sort sera finalement réglé par le vote sur l’initiative du PLR, le même jour que le scrutin sur l’initiative des Verts et son contre-projet. ELE
Le Courrier, Vendredi 06 mai 2016, Eric Lecoultre
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