Accord secret sur les services• WikiLeaks révèle un nouveau dossier des tractations top secrètes de Genève. Une soumission à la loi du marché des multinationales serait imposée aux entreprises publiques, sans recours pour les élus nationaux.
Depuis juin 2014, on connaît l’existence de l’accord sur le commerce des services (Tisa), objet à Genève depuis quatre ans de tractations top secrètes entre les États-Unis, l’Union européenne et une vingtaine de pays (dont la Suisse), qui disposent d’un profil à toute épreuve en matière d’alignement sur les critères libéraux. Les lanceurs d’alerte de WikiLeaks avaient alors mis au jour l’existence de cette offensive visant une libéralisation globale du secteur des services afin de contourner les insurmontables difficultés rencontrées sur ce terrain par les négociateurs de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le contenu de premiers dossiers, portant notamment sur les services financiers, puis sur diverses versions d’un document de référence et quelques autres domaines du vaste champ des pourparlers engagés, comme le commerce électronique, les télécommunications, l’énergie ou encore l’environnement, allait ainsi pouvoir être peu à peu porté à la connaissance du public.
Dans des documents mis en ligne le 25 mai dernier, les enquêteurs de WikiLeaks précisent les contours de la libéralisation envisagée. Ils dévoilent, cette fois, plus particulièrement, la démarche adoptée pour libéraliser l’accès aux marchés des services publics et garantir aux multinationales que les entreprises publiques nationales ne pourront s’abriter devant «aucune entrave à la concurrence», seront placées sur le même plan qu’elles face à la loi du marché et ne pourront donc plus se prévaloir de décisions souveraines des élus de leurs États respectifs.
50 États négocient secrètement
Les pourparlers secrets entamés en 2012 sont destinés à contourner l’obstacle que constituaient les résistances, échos de l’action de forces progressistes, de mouvements sociaux, de syndicats de plusieurs pays en développement, pour la conclusion d’un accord global sur le commerce des services (AGCS) au sein de l’OMC. Devant la paralysie du «cycle de Doha», le processus de négociations multilatérales lancé en 2001 par l’OMC, une initiative «plurilatérale», impulsée par Washington et ses plus proches alliés occidentaux, était lancée. Objectif: établir une entente sur la libéralisation des services qui dispose d’une masse critique telle qu’elle obligerait le reste du monde à s’y rallier. Autrement dit: désavoué démocratiquement et donc sorti par la porte, l’AGCS pourrait ainsi rentrer par la fenêtre.
Cette stratégie vise de surcroît à contenir les capacités de plusieurs grands pays émergents à étendre leurs champs d’influence commerciaux; singulièrement celles de la Chine, dont la montée en puissance inspire quelques craintes à Washington. La définition de normes concurrentielles, adoptées par un très grand nombre de pays, obligerait en effet Pékin à s’y soumettre à terme. Les «experts» de la «coalition globale des services» (GSC) au sein de laquelle on retrouve, côté états-unien, les géants du secteur (banque, Internet, énergie), mais aussi, côté européen, le Medef ou le poids lourd français Veolia, inspirent très fortement les négociateurs de Genève. On apprend dans la dernière livraison de documents fournis par WikiLeaks que les entreprises publiques et leurs mandants – c’est-à-dire les élus ou les gouvernants des différents pays – sont particulièrement ciblés dans les dispositions du texte d’accord en cours d’élaboration.
Régression démocratique
L’objectif est double: il s’agit d’ouvrir, au nom des bienfaits de la concurrence, le plus complètement possible, l’accès du marché des services publics aux grands groupes étrangers, y compris, révèle un des documents, si ceux-ci ne disposent d’aucun «bureau ou filiale» dans le pays où ils cherchent à monnayer leurs services. Et une fois cette conquête du marché réalisée, il doit être garanti qu’aucune disposition légale, qu’aucun changement de majorité intempestif, ne vienne remettre en question les normes définies au préalable. Autrement dit: les réglementations seraient celles négociées par contrat par les multinationales, et il n’y aurait aucune possibilité de les modifier, par exemple, en matière de droit du travail ou de fiscalité. On mesure la régression démocratique qu’ouvrirait un tel processus où les États, c’est-à-dire les élus des peuples – réduits dans le document à fonctionner comme «des parties» d’un contrat commercial – devraient renoncer, de fait, à tout pouvoir d’intervention et de régulation dans des domaines essentiels.
Voir le site Internet https ://wikileaks.org/tisa/
Gauchebo, Par Bruno Odent, paru dans L’Humanité
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