Libre-échange • A six mois de la conclusion des accords de libre-échange TISA et TTIP, une alliance appelle à un «large débat» sur ces rouleaux compresseurs de la libéralisation, qui pourraient écraser sur leur passage toute forme de limite aux intérêts commerciaux.«Un large débat sur la menace de voir la démocratie remplacée par une dictature des multinationales est urgent», a déclaré Tamara Funiciello, présidente de la Jeunesse socialiste suisse, dans le cadre de la conférence de presse donnée mardi par l’«alliance contre TTIP, TISA & Co». Une coalition de partis, ONGs, syndicats et associations, nouvellement créée pour alerter sur les conséquences possibles de TTIP, TISA et d’autres accords de libre-échange en cours de négociation dans le plus grand des secrets.
Quelles conséquences en Suisse?
La contestation de ces accords, qui visent à supprimer ou affaiblir toute entrave à la liberté de commerce – droits de douane, mais aussi toute réglementation ou loi sociale, sanitaire, etc. contraire aux intérêts des grandes entreprises- sur des territoires de plus en plus gigantesques, et l’ouverture de l’ensemble des secteurs à la concurrence internationale, n’est pas nouvelle. Les membres de l’alliance ont toutefois décidé de se mobiliser à l’approche de leur conclusion, qui pourrait survenir dans 6 mois. Une lettre ouverte a ainsi été adressée au Président de la confédération Johann Schneider-Ammann, l’appelant à «enfin rendre transparent le contenu des négociations et d’ouvrir la possibilité de faire référendum contre les deux accords».
Les représentants de différentes organisations ont aussi évoqué les conséquences concrètes qu’ils pourraient avoir en Suisse, notamment sur les services publics, les conditions de travail, l’environnement, la protection de la santé et des données.
A noter que si la Suisse participe directement, avec une cinquantaine d’autres pays, aux négociations de TISA, elle ne prend pas part à celles du TTIP, qui se négocie entre l’UE et les États-Unis, mais qui pourrait avoir des conséquences sur le pays.
Le droit du travail, cette «entrave au commerce»
C’est notamment la libéralisation totale des services proposée par TISA qui suscite des craintes. Selon la Confédération, certains secteurs (hôpitaux, services sociaux, secteur de l’éducation ou transports publics) inscrits sur une «liste négative», ne seront pas soumis à l’accord. Mais l’argument ne convainc pas les opposants. Ainsi, Stefan Giger, secrétaire général du syndicat SSP, a rappelé que des dizaines d’annexes de TISA pourraient, d’après des révélations de Wikileaks, s’appliquer tout de même aux secteurs figurant sur cette liste. Or, «il est écrit dans l’une des annexes ‘’que les autorités ne peuvent pas détenir des actions dans les entreprises de télécommunications.’’ En Suisse, cette autorité c’est le gouvernement fédéral. Swisscom devrait donc être entièrement privatisée. De même pour les services postaux», a-t-il alerté.
Le syndicaliste a en outre relevé que les autorités pourraient être contraintes, au nom de la «neutralité concurrentielle», à subventionner à même hauteur tous les acteurs d’un secteur. Ainsi, si elles décident de subventionner le solaire, elles devraient faire de même avec le nucléaire.
Le conseiller national PS Jean-Christophe Schwaab a quant à lui tiré la sonnette d’alarme sur les conditions de travail. «TISA et TTIP se fondent sur la notion d’’’entraves au commerce’’, lesquelles doivent être supprimées. Or, dans une optique purement néolibérale, le droit du travail, les règles de santé et de sécurité au travail et les conventions collectives sont des entraves au commerce». Pour la Suisse, cela signifie la remise en cause potentielle des CCT de force obligatoire, des mesures d’accompagnement, des décisions cantonales en matière d’heures d’ouverture des magasins ou de salaire minimum, ainsi que des règles de santé et de sécurité au travail comme par exemple l’utilisation de l’amiante, ou encore de toute règle en faveur de l’emploi local et du «consommer local», a averti le conseiller national.
Il a également dénoncé l’instauration d’un mécanisme de résolution des différends entre Etats et investisseurs via des tribunaux arbitraux «secrets, sans voies de recours et regorgeant de conflits d’intérêt». Ceux-ci permettraient à des entreprises s’estimant lésées par des réglementations étatiques d’attaquer les Etats, qui pourraient alors être contraints de verser des dommages-intérêts aux entreprises.
Normes environnementales mises au tapis
«La Suisse risque de ne plus pouvoir décider de sa politique environnementale ou de la mobilité», a encore averti Caroline Beglinger, de l’Association transport et environnement (ATE). Et de donner l’exemple de l’interdiction de circuler de nuit pour les poids lourds. «Une entreprise de transport pourrait traduire en justice le gouvernement suisse, estimant que le fait de mettre des limitations sur la route représente une entrave pour sa liberté économique. La protection de l’environnement, de la santé et la sécurité de la population seraient mises en danger, sans que la législation suisse ne puisse l’empêcher».
«Les décennies de progrès en matière de normes environnementales en Europe et en Suisse (…) seront détruits ou gravement détériorés par les accords», a ajouté Markus Alleman, directeur du comité de Greenpeace Suisse. La conseillère nationale verte Maya Graf a quant à elle souligné qu’avec la libéralisation, l’agriculture locale serait menacée par une agriculture industrielle nuisible à l’environnement et au climat.
«L’alliance consacrera toutes ses forces à combattre ces accords» ont conclu les intervenants.
Publié le 23 juin 2016 par Juliette Müller dans la rubrique Suisse, Gauchebdo
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