Le gouvernement français fait mine de rejeter le TAFTA, mais…

Le gouvernement fait mine de rejeter le TAFTA mais pousse à signer le CETA, son équivalent.
Agriculture en péril, tribunaux privés au service des multinationales, harmonisation réglementaire par le bas… L’accord de libre-échange avec le Canada contient toutes les dispositions contestées dans le partenariat UE-États-Unis. Le contrecarrer, c’est arrêter les suivants…

Accord de partenariat transatlantique avec les États Unis (Tafta ou TTIP), accord économique et commercial global avec le Canada (Ceta), accord sur le commerce des services (Tisa)… Négociés par la Commission européenne dans la plus grande opacité, les traités visant à constituer de vastes zones de libre-échange à l’échelle planétaire ont de plus en plus de plomb dans l’aile. Ils sont contestés par des citoyens qui ont, par millions, signé des pétitions pour les dénoncer, par les mouvements sociaux et politiques qui organisent des manifestations ou encerclent les négociations pourtant tenues secrètes ¬ la semaine dernière, à Bruxelles, ils ont couvert les représentants européens et étatsuniens de confettis ¬, ou encore par des collectivités territoriales qui déclarent se soustraire par avance à leur application en devenant des « zones hors TTIP », par exemple…

Mais cette fois, il y a le feu à la plaine. Enragé du libre-échange, le patronat européen est inquiet. Vraiment très inquiet

Du Ceta au Tafta, les dominos du libre-échange peuvent tomber

Les partisans des accords de libre-échange ont des sueurs froides ces derniers jours, et tentent par tous les moyens de sauver l’essentiel. Dans une lettre datée du 18 juillet à Donald Tusk, le président du Conseil européen, BusinessEurope, le lobby des mouvements patronaux au sein de l’Union européenne, ne s’en cache pas vraiment. « Le débat public autour du commerce en Europe est rentré dans une nouvelle dimension qui n’existait pas à l’époque où les négociations ont commencé », regrettent sa présidente, Emma Marcegaglia, et son directeur général, Markus Beyrer. En clair, la publicité, arrachée par les mobilisations sociales, politiques et citoyennes contre les accords comme le Ceta entre l’UE et le Canada ou le Tafta entre l’UE et les États-Unis, embarrasse considérablement les patrons des patrons.

Le gouvernement français fait mine de s’opposer au Tafta

À travers leur courrier, réclamant une ratification « rapide » du Ceta ¬ ils appellent à la signature lors du prochain sommet UE-Canada le 26 octobre prochain ¬, les représentants des milieux d’affaires européens pointent en creux le danger : « L’entrée en vigueur du Ceta n’est pas seulement importante pour les relations économiques entre l’UE et le Canada, mais bien pour toute la politique commerciale de l’UE dans son ensemble, estime BusinessEurope. Si l’application provisoire du Ceta devait être repoussée, le signal envoyé aux entreprises européennes et aux autres partenaires commerciaux serait que l’UE n’est plus capable d’avancer sur l’une de ses politiques principales. (…). L’UE doit aujourd’hui affronter de nombreux défis de taille. Sa crédibilité, au plan intérieur comme extérieur, est en grave danger de désintégration.

L’acceptation du Ceta sera dès lors une épreuve de vérité pour la crédibilité extérieure de l’Union en tant que partenaire pour les négociations commerciales .» À l’exception notable du gouvernement français qui fait désormais mine de s’opposer au Tafta, tout en vantant le Ceta (lire ci-contre), leurs défenseurs les plus conséquents et leurs adversaires les plus résolus sont d’accord sur une chose à propos des traités de libre-échange de cette ampleur : ils ont tous partie liée et, si l’un était conclu ou mis en échec, tous les autres pourraient emprunter le même chemin…

Pour la Commission européenne, comme pour ses supporters les plus bruyants, l’objectif est dès lors très simple : alors que les négociations avec les États-Unis paraissent patiner depuis quelques mois, il faut concrétiser très vite sur l’accord avec le Canada. Et qu’importe si cela se fait au prix d’une nouvelle acrobatie antidémocratique : le Ceta devra recueillir l’approbation des Parlements nationaux des États membres de l’Union européenne, mais les institutions européennes n’excluent pas d’appliquer sans attendre certains chapitres de l’accord, comme ceux sur la libéralisation de l’investissement, par exemple…

Des accords qui contrent les réglementations nationales

Au-delà de la méthode de négociation et de ratification, le Ceta comprend la plupart des dimensions contestables du Tafta. De ce fait, il constitue, à l’évidence, une étape indispensable en vue de la mise en œuvre d’un accord avec les États-Unis.

Et, au pire pour les multinationales, il pourrait même suffire d’une certaine manière car plus de 80 % des entreprises américaines présentes en Europe disposent déjà de filiales au Canada. Du coup, une fois le Ceta entré en application, elles pourront par ce biais, et sans attendre le Tafta, porter plainte devant les fameux tribunaux d’arbitrage contre des États européens… Au cœur de l’accord de libre-échange avec le Canada, ce mécanisme qui suscite une controverse importante dans les négociations avec les États-Unis est d’ores et déjà ouvert: une multinationale qui considère qu’une forme de régulation réduit la rentabilité de ses investissements peut poursuivre l’État qui la met en œuvre.

Déjà présent dans de nombreux accords bilatéraux ou multilatéraux de commerce, ces procédures ont littéralement explosé ces dernières années. En offrant des moyens de chantage à bon compte, elles permettent aux grandes entreprises de faire pression, voire de dicter leurs politiques aux États. Au début de l’année 2016, un géant canadien de l’exploitation du « pétrole sale » issu des sables bitumineux a attaqué l’administration Obama qui, sous la pression citoyenne, avait décidé de rejeter un projet d’agrandissement d’un pipeline reliant l’Alberta au golfe du Mexique. Les Canadiens réclament aujourd’hui aux autorités états-uniennes la coquette somme de 15 milliards de dollars (13,6 milliards d’euros).

La publicité, arrachée par les mobilisations contre le Ceta et le Tafta, embarrasse les patrons des patrons.

Pour le reste, le Ceta, comme le Tafta en gestation, tourne à plein régime contre les réglementations nationales et soumet les décisions politiques aux multinationales. Entre l’Union européenne et le Canada, une procédure dite de « coopération réglementaire » est mise en place avec, comme but exclusif, de « faciliter » les investissements et de contribuer à « améliorer la compétitivité ». Livré au lobbying des grandes entreprises, un « forum de coopération réglementaire » sera mis en place, chargé d’examiner au préalable toutes les dispositions qui pourraient avoir un impact sur les affaires ¬ vaste mandat, une fois de plus! Pour ce qui est des services, le Ceta marche comme tous ses homologues sur le principe de la « liste négative », ce qui signifie que tous les secteurs sont susceptibles d’être ouverts à la concurrence, sauf ceux qui sont explicitement désignés comme exclus de la libéralisation générale.

En matière de services publics, le mécanisme est extrêmement dangereux: une fois le secteur ouvert au privé, il devient extrêmement difficile de revenir en arrière, comme on peut l’envisager dans la gestion de l’eau, l’énergie ou les transports, par exemple.

Côté européen, la fronde contre le Ceta prend de l’ampleur

Ensuite, par le biais de la suppression des tarifs douaniers ¬ près de 99 % des droits de douane disparaîtraient en cas d’entrée en vigueur ¬ et l’abaissement des normes sanitaires, le Ceta promet de fragiliser plus encore l’agriculture européenne. Comme le soulignent les ONG écologistes, le principe de précaution n’est pas mentionné une seule fois dans le pourtant volumineux texte du Ceta, et ça n’est pas un accident: il s’agit d’autoriser les exportations de viandes traitées aux hormones ou d’OGM. En mai dernier, comme le pointe Attac, le lobby canadien Soy Canada a invité l’Union européenne à anticiper en quelque sorte ses engagements pris dans le Ceta en approuvant trois produits de soja génétiquement modifiés. Enfin, sur l’environnement (lire aussi page 5), le traité UE-Canada consacre l’exploitation tous azimuts des ressources fossiles et, à la différence de la minutieuse description des recours offerts aux multinationales, quand il s’agit de s’avancer sur le « développement durable », le document en reste aux grandes envolées sans portée juridique, ni clause explicite et contraignante.

Avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), les fanatiques du libre-échange dans l’Union européenne perdent leur figure de proue. Il y a une dizaine de jours, Ed Fast, l’ex-ministre canadien chargé du commerce qui avait négocié l’accord, n’a pas caché son inquiétude. « Le Royaume Uni avait beaucoup aidé à parvenir à l’accord, a rappelé le conservateur. Avec leur sortie de l’Union européenne, il y a un gros risque que l’équilibre trouvé ne tienne pas… »

Du côté européen, la fronde contre le Tafta, mais d’abord dans l’immédiat contre le Ceta, prend de l’ampleur dans de nombreux pays. La Slovénie s’est insurgée contre les velléités de mettre en œuvre l’accord UE-Canada sans attendre la validation par les Parlements nationaux. En Belgique, où la nature fédérale des institutions implique la consultation des assemblées régionales, les députés wallons et bruxellois ont déjà promis de voter contre le Ceta. En Allemagne, surtout, les parlementaires Die Linke (gauche radicale) viennent d’engager une procédure pour faire reconnaître l’inconstitutionnalité du Ceta. « Si le gouvernement se trouve à l’évidence plus lié aux intérêts des multinationales qu’aux intérêts des citoyens, nous sommes contraints d’aller sur une action légale, explique Klaus Ernst, leader de Die Linke au Bundestag. J’espère bien que le Ceta va être mis en échec maintenant, nous ne pouvons plus nous permettre de nouvelles entailles dans notre démocratie. »

L’HUMANITÉ – Jeudi 21 juillet 2016 - THOMAS LEMAHIEU

APPELS À LA MOBILISATION CONTRE L’ACCORD UE-CANADA

De nombreuses associations telle Attac font un travail de veille sur les négociations des traités de libre-échange.

Le site Internet de la coalition Stop-ttip (1) propose aux internautes de poser par courrier des questions sur l’accord UE-Canada à leurs députés européens, afin de publier leurs réponses et de confronter celles-ci à la réalité des faits.

De son côté, Artisans du monde (2) propose une pétition pour demander à François Hollande de mettre « un terme aux négociations du Tafta » entre l’Union européenne et les États-Unis et de refuser d’« approuver le Ceta ». Plus de 91300 personnes ont déjà répondu à l’appel.

(1) https://stop-ttip.org/fr/

(2) http://www. artisansdumonde.org/actualites-equitables/tafta-ceta-petition-hollande

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