Greenpeace s’est mobilisé hier devant la Mission des Etats-Unis auprès de l’ONU à Genève pour dénoncer à nouveau l’accord international sur les services TiSA. L’organisation écologiste dévoile de nouvelles fuites sur l’accord international sur les services TiSA, qui restreindrait la possibilité pour les États de protéger l’environnement.
«Ne vendez pas notre planète», pouvait-on lire hier en anglais sur une banderole déployée par Greenpeace devant la Mission des Etats-Unis auprès de l’ONU à Genève. C’est là que se déroule cette semaine la vingtième session des négociations ultrasecrètes de l’accord international sur les services TiSA, qui réunit une cinquantaine de pays dans le monde, dont la Suisse.
L’occasion aussi pour l’organisation écologiste de dévoiler quelques nouvelles «fuites» sur le contenu de ce traité qui pourrait bien restreindre la souveraineté des Etats s’il venait à être adopté à la fin de l’année. Ces informations confirment et précisent les révélations déjà faites par Wikileaks en 2015 et au printemps de cette année.
Selon Greenpeace, le texte de l’accord limite les possibilités pour les États d’introduire de nouvelles régulations pour préserver l’environnement, sauvegarder le climat, garantir la confidentialité de données ou protéger la santé des travailleurs quand cela peut affecter le secteur des services. «Lorsqu’un parlement voudra voter de nouvelles lois en ce sens, les autres États membres de l’accord pourront déposer un recours devant une instance de TiSA qui jugera si ces nouvelles normes sont bien nécessaires (‘necessity test’)», assure l’organisation.
Car désormais chaque pays devra prouver que la politique qu’il entend mette en œuvre ne constitue pas une «restriction déguisée au commerce des services». Cette méthode est déjà employée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour les autres secteurs de l’économie: «Sur quarante-quatre cas de ce type examinés à l’OMC, une seule régulation décidée par un État a été jugée nécessaire», déplore Greenpeace, qui précise que le critère commercial est placé au-dessus des considérations écologiques et sociales. «Pour faire des objectifs de l’accord sur le climat de Paris une réalité, les gouvernements doivent au contraire pouvoir agir afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.»
Pas de retour en arrière
Mais TiSA prend exactement le chemin inverse. Son annexe relative aux services liés à l’énergie préoccupe particulièrement Greenpeace. Car cette partie du traité adopte le principe de «neutralité technologique». Autrement dit, les gouvernements ne pourraient désormais plus favoriser les ressources renouvelables, comme le solaire ou les éoliennes, au détriment des hydrocarbures, responsables du changement climatique (lire Le Courrier du 4 décembre 2015). C’est sans doute cette clause qui a poussé Greenpeace à se lancer dans la bataille contre Tisa, menée jusqu’à présent par des organisations telles qu’Attac, Our world is not for sale et l’Internationale des services publics.
L’autre chapitre-clef de l’accord concerne bien sûr la libéralisation des services publics, autrement dit l’ouverture du secteur aux entreprises à but lucratif. TiSA comporte à ce stade deux règles particulièrement décriées par la société civile: la première prévoit qu’un État ne peut plus revenir sur le niveau de libéralisation qu’il avait mis en œuvre au moment de la signature de TiSA. En clair, si les autorités d’un pays donné s’aperçoivent que l’ouverture au capital privé ou la privatisation de secteurs n’a pas produit les effets escomptés, elles ne pourront en aucun cas les faire passer sous giron public à nouveau («standstill clause»). La seconde stipule que les barrières douanières qui protégeaient certains services de la concurrence internationale ne pourront pas être réintroduites («ratchet clause»).
Ces deux mesures pourraient s’avérer particulièrement problématiques pour les pays du Sud: «Les États les plus pauvres ne disposent en général pas de bons services publics. TiSA les obligerait à ouvrir tout nouveau service, que ce soit en matière de santé, d’éducation ou de transport, à la concurrence d’entreprises à but lucratif. Ce serait un désastre pour les populations de ces pays et deviendrait un obstacle pour réduire la pauvreté et les inégalités», estime Nick Dearden, directeur de l’ONG Global Justice Now.
Dans l’intérêt de qui?
Par ailleurs, ces fuites montrent aussi pour la première fois que l’industrie minière sera concernée par l’accord. Elles révèlent aussi que le mécanisme de règlement des différends, qui est détaillé, ne permettra pas de possibilité pour les États de faire appel des décisions prises.
Nombre d’organisations sociales estiment que ce nouveau traité en discussion ne répond pas à un intérêt public mais à ceux des multinationales actives dans le secteur, qui mènent une intense activité de lobby dans ce but. «Google et Facebook ne devraient pas déterminer les règles en matière de protection de la sphère privée. Les banques ne devraient pas réguler les banques. De même, laisser l’industrie des hydrocarbures s’impliquer dans les politiques environnementales a autant de sens que de permettre aux géants du tabac de déterminer les législations en matière de santé», a déclaré hier Susan Cohen Jehoram, spécialiste du dossier à Greenpeace.
En Europe, de nombreuses collectivités publiques locales ont décidé de se déclarer symboliquement «zone hors TiSA». En Suisse, c’est notamment le cas des Villes de Genève (ainsi que son canton) et de Zurich, ainsi que des dizaines de municipalités de tailles plus modestes. Les partis de gauche ont également demandé au gouvernement suisse de se retirer de ces négociations. Si tel n’était pas le cas un référendum serait lancé.
Mobilisations suisses contre TiSA
Négocié en Suisse et impliquant son gouvernement, TiSA est relativement mieux connu dans ce pays qu’ailleurs. En Europe comme aux USA, ce sont d’abord les accords transatlantique et transpacifique qui focalisent l’attention. En Suisse, à l’abri des privatisations bruxelloises, les services de proximité demeurent un patrimoine populaire à préserver. Pour combien de temps?
Sous l’impulsion du Syndicat des services publics (SSP) et de mouvements altermondialistes, les actions de rue se multiplient pour sensibiliser aux risques de TiSA. La prochaine grande échéance est annoncée pour le samedi 8 octobre à Berne, date de la première manif nationale contre la privatisation des services publics.
Au niveau romand, Genève fait monter la tension dès jeudi avec une conférence1 anglée sur les conséquences climatiques de la mondialisation néolibérale dans le cadre d’Alternatiba.
Mais le moment fort de la semaine aura lieu dans le chef-lieu vaudois, où la coalition Stop-TiSA locale prévoit un simulacre de «procès arbitral contre la commune de Lausanne» samedi 24 septembre dès 11 h à la place de la Palud. Histoire de rappeler que le caractère intrusif et limitatif de TiSA en matière de choix démocratiques.
Mardi 27 septembre, enfin, Stefan Giger, secrétaire général du SSP, David Raedler, membre du bureau des Verts vaudois, et Andrea Eggli, de l’association ACIDUS, exploreront dès 18 h 30 à l’Espace Dickens les risques sociaux et syndicaux de la libéralisation des services. BPZ
Mercredi 21 septembre 2016, Christophe Koessler, Le Courrier
0 commentaire à “Greenpeace au front contre TiSA”