L’impôt à la dette du client

VAUD D’OR - Pouvoir déduire de ses impôts les intérêts d’un emprunt, c’est bon. Mais pouvoir déduire de ses impôts les intérêts fictifs d’un emprunt inexistant, c’est bien meilleur.

Domicilié sur sol vaudois, monsieur de Cézigue de Cécolle est à l’abri du besoin. Disposant d’une fortune familiale très considérable, il possède plusieurs maisons, des actions des Funiculaires Réunis et deux hôtels à Zurich Paradeplatz. Las ! Il manque cruellement d’une résidence dotée d’une piscine intérieure digne de ce nom, avec bar et parvis chauffant en marbre rose. Il décide donc de se faire bâtir une demeure idoine, pour quelques dizaines de millions. Monsieur de Cézigue de Cécolle n’a pas besoin pour cela de recourir, comme les manants, à un emprunt hypothécaire.
Non : lui, il puise dans sa fortune et règle l’intégralité en fonds propres.

Cela dit, il obtient tout de même une belle déduction fiscale : elle correspond aux intérêts qu’il aurait dû payer s’il avait dû, comme les gueux,
s’endetter auprès d’une banque. Transposées aux individus, c’est ainsi que fonctionnent les « déductions d’intérêts notionnels » accordées dans
certains cantons aux grosses entreprises. Déduire du bénéfice imposable des coûts qui n’existent pas, il fallait y penser ! La combine est pratiquée depuis des années par l’État de Vaud. Mais attention : si le patron d’une petite boîte de mécanique réinvestit une part de son bénéfice annuel dans l’achat d’une fraiseuse-rectifieuse à double came et triple inverseur inversé (au hasard), il ne peut pas déduire fiscalement les intérêts qu’il aurait versés s’il avait acquis l’engin à l’aide d’un emprunt. Non non non : ce genre de cadeau mignon n’est accordé qu’aux sociétés dont le bilan affiche 100 millions au moins. En l’occurrence, des multinationales et des succursales de grosses sociétés financières basées à l’étranger. Et pas moyen de savoir lesquelles, ni quelles sommes sont ainsi soustraites à l’impôt : secret fiscal et pudeur exquise sont de mise. Ajoutée aux allègements, exonérations et autres cajoleries que l’État de Vaud dispense généreusement à cette catégorie d’entreprises, la petite gâterie qui consiste à autoriser des déductions fiscales pour des dépenses totalement imaginaires relève d’une parade nuptiale intensive : courbettes, génuflexions, déculottages et prosternations en vue d’attirer les plus grandes firmes, y compris les moins recommandables, sur le sol cantonal. Tant pis si le truc est inique, injuste et grossier. Et tant pis pour l’énorme perte de recettes fiscales aux plans communal, cantonal et fédéral (des centaines de millions) : après tout, les entreprises normales et bien sûr le troupeau des contribuables individuels sont là pour compenser. La Confédération projetait d’abolir la déduction des intérêts fictifs dans le cadre de la Réforme de l’imposition des entreprises (RIE III), censée raboter les inégalités fiscales. Mais le conseiller d’Etat vaudois Pascal Broulis, avec ses homologues zurichois notamment, est parvenu à empêcher ça (24 heures, 12.8) : ladite réforme, au contraire,
intègre et avalise le joli tour de passe-passe. « Un bon système fiscal doit être équitable, transparent et efficace », lit-on dans L’impôt heureux, illustre
ouvrage du même Pascal Broulis. Pour le coup, l’intérêt de l’auteur pour la transparence et pour l’équité doit être un intérêt fictif.

Laurent Flutsch, Vigousse, vendredi 7 octobre 2016

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