Les CFF testent le conseil par vidéo, conserveront-ils des «vrais» guichets ?

Aide virtuelle à la gare : Lorsqu’aucune panne ne ­perturbe le système, les voyageurs se retrouvent, par écran interposé, face à un employé maîtrisant les langues ­nationales et l’anglais.
Un texte s’affiche sur l’écran: «Un moment s’il vous plaît. Vous serez mis en contact avec le service de conseil vidéo.»Il dure, ce moment. Indéfiniment. Pour, en fin de compte, ne jamais déboucher sur une quelconque connexion. A Frenkendorf-Füllinsdorf (BL), la tentative d’utiliser le nouveau «conseil vidéo» des CFF, actuellement en phase de test dans quatre gares alémaniques, vient de faire chou blanc. Personne ne répond.

Or, dans cette bourgade de 6000 habitants traversée par de longs et bruyants trains de marchandises, il n’y a plus d’employé CFF depuis «plusieurs années», indique une dame en train d’acheter des billets à l’automate traditionnel. La voyageuse fait penser à Yvette, la retraitée et égérie de la dernière publicité des CFF. Pas d’hésitation, quelques commandes activées sur l’écran tactile, et la voilà en possession de son titre de transport. «Non, je n’ai jamais utilisé le conseil par vidéo», précise-t-elle. «Et de toute façon, je préférerais de loin un guichet avec des employés en chair et en os.»

Située sur la ligne régionale Liestal – Porrentruy, la gare de la petite localité de Bâle-Campagne a été équipée d’une borne vidéo fin novembre. Les autres gares-tests sont Brigue, Saint-Gall- Fides et Netstal (GL). Si l’expérience tentée hier n’a pas abouti (momentanément, car le logiciel a été relancé un peu plus tard, selon les explications et les excuses livrées par la suite), les CFF laissent entendre qu’en l’état, la nouveauté est très appréciée. Notamment par des touristes, et particulièrement à Brigue. Les employés qui répondent aux «appels» vidéos sont du reste basés au centre de services CFF de la ville valaisanne.

«Ouverture» plus longue

Lorsqu’aucune panne ne perturbe le système, les voyageurs se retrouvent, par écran interposé, face à un employé maîtrisant les langues nationales et l’anglais. Celui-ci peut actionner à distance l’automate à billets, situé à côté de la vidéo, pour permettre aux voyageurs d’acheter le titre de transport voulu. Les abonnements annuels, les billets de groupe et internationaux doivent être commandés. Ce guichet virtuel est en service plus longtemps que les guichets ordinaires, de 10 à 20 heures la semaine et de 12 à 20 heures le week-end et les jours fériés.

«Les CFF sont toujours à la recherche de moyens permettant d’améliorer leurs services, explique le porte-parole Frédéric Revaz. C’est dans ce cadre que l’idée du conseil par vidéo est née. Le test nous dira si ce service est apprécié des clients et s’il doit être étendu à d’autres automates.»

Du côté des organisations qui suivent les CFF de près – surtout lorsqu’ils suppriment des prestations (voir ci-dessous) – les commentaires sont prudents. «Le conseil par vidéo est acceptable comme solution de rechange, note ainsi Filippo Rivola, secrétaire politique de l’Association transports et environnement (ATE). C’est un contact téléphonique amélioré.»

Il y a évidemment un «mais»: «Cela ne peut en aucun cas être une solution suffisante, ajoute-t-il. Rien ne remplace, notamment pour la sécurité, une présence humaine.»

Pas de généralisation

Même son de cloche du côté de la Fédération romande des consommateurs (FRC): «De manière générale, il est positif d’explorer de nouvelles voies, souligne Robin Eymann, responsable politique économique. Le conseil par vidéo est plus humain que le seul contact téléphonique. C’est aussi un «plus» dans les gares, dont les guichets ont déjà fermé.»

Lui aussi craint ce qu’il nomme un possible «effet pervers»: «Cette prestation ne doit pas justifier une fermeture de guichets. Car elle ne peut pas se substituer à un service personnalisé, qui restera toujours nécessaire pour une certaine catégorie de la population. Dans les régions périphériques en particulier, les voyageurs, âgés ou non, apprécient un contact personnel.»

Les CFF rassurent: «Il y aura toujours des guichets pour donner des conseils aux voyageurs, répond Frédéric Revaz. A l’avenir, les clients se dirigeront certainement de plus en plus vers les automates, leur smartphone ou internet, pour les billets simples, et vers les guichets pour des conseils sur les abonnements, pour les billets plus compliqués ou pour le service après-vente.» Selon lui, le réseau de vente par guichets ne fait que «s’adapter régulièrement au comportement des clients».

La colère gronde contre les CFF

Dans plusieurs cantons, des organisations se mobilisent pour dénoncer la fermeture annoncée de quelque 52 points de ventes aux mains de tiers.

Les esprits ne s’apaisent pas en Suisse alémanique après la décision des CFF, annoncée début septembre, de fermer d’ici à la fin de l’année prochaine 52 points de vente confiés à des tiers – des magasins, des kiosques ou des bureaux de voyage, par exemple, situés dans des gares. La Suisse romande n’en a que deux, à Saint-Imier et à La Neuveville (BE). La grande majorité d’entre eux se trouve en Suisse orientale. Pas étonnant, dès lors, que les députés du Grand conseil saint-gallois aient signé fin novembre, par l’intermédiaire des chefs de groupe de tous les partis, une lettre de protestation commune contre la disparition de ces points de vente. «Nous ne voulons pas que notre canton devienne une tache blanche sur la carte des investissements des CFF», ont-ils fustigé. Interpellé par un député, le Conseil d’Etat de Bâle-Campagne a également critiqué la décision de fermeture.

Au Tessin, «le Conseil d’Etat est monté au créneau», explique Filippo Rivola, secrétaire politique de l’Association transports et environnement (ATE). «Le point de vente de Giubiasco, exploité par une association pour l’intégration des handicapés, était sur la liste des fermetures. Or les CFF ont finalement accepté de conserver, et même de développer, cette collaboration.» Le porte-parole de l’ex-Régie fédérale, Frédéric Revaz, confirme: «Les CFF et la commune de Giubiasco ont trouvé une solution. Les personnes handicapées vendront dorénavant des billets dans la gare de Bellinzone.» L’ATE, qui coordonne les nombreuses pétitions lancées dans les régions par de multiples organisations, estime que l’économie visée, cinq millions de francs par année, est «bien dérisoire, vis-à-vis d’une prestation qui rend vraiment service à la population et qui permet aussi à un commerce local d’exister». Le groupe Valora, dont quatorze kiosques vendent des billets de train depuis une dizaine d’années, indique que «les clients apprécient de pouvoir profiter de plusieurs prestations au même endroit».

Mais les CFF n’en démordent pas: la vente par des tiers «est de moins en moins utilisée, rappelle Frédéric Revaz. Elle représente bien moins de 1% du total. Certains magasins ne vendent que huit billets par jour. Or, au premier semestre 2016, les CFF ont vendu près de 50% de billets supplémentaires par smartphone par rapport à l’année précédente.» Le porte-parole indique toutefois que «le dialogue se poursuit avec les partenaires communaux et cantonaux». AG

Le Courrier / La Liberté
Vendredi 09 décembre 2016, Ariane Gigon

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