Union européenne • Avoir accès à l’eau potable est désormais un droit constitutionnel en Slovénie. La semaine dernière, le parlement de ce pays alpin de deux millions d’habitants a ajouté un amendement à la Constitution garantissant que l’eau n’est pas une marchandise.
C’est une première en Europe. La semaine dernière, le Parlement slovène a inscrit dans sa Constitution le droit à l’eau potable, insistant sur le fait que cette ressource ne peut être privatisée. Adopté à l’unanimité des votants, cet amendement constitutionnel stipule que «chacun a le droit à l’eau potable» et que celle-ci n’est «pas une marchandise». «L’approvisionnement en eau de la population est assuré par l’État via les collectivités locales, directement et de façon non lucrative», énonce ainsi le texte. «Les ressources en eau sont un bien public géré par l’État. Elles sont destinées en premier lieu à assurer l’approvisionnement durable en eau potable de la population, et ne sont à ce titre pas une marchandise.»
L’accès à l’eau est un droit élémentaire
Ce texte est le résultat d’une initiative citoyenne qui a recueilli 51000 signatures, initiative relayée par le gouvernement de centre gauche. Avant le vote, le premier ministre, Miro Cerar, avait ainsi exhorté les députés à offrir à «l’or liquide du 21e siècle le plus haut niveau de protection légale». «C’est une grande victoire», se félicite Guillaume Durivaux, conseiller au sein de la Fédération syndicale européenne des services publics (Epsu), rappelant que ce mouvement s’inscrit dans la continuité de l’initiative citoyenne européenne «L’eau, un droit humain», lancée en 2012, qui avait récolté près de 2 millions de signatures.
«L’accès à l’eau est un droit élémentaire. On a l’espoir que d’autres pays suivent l’exemple, renchérit David Sanchez, président de l’association Food and Water Europe. L’enjeu est d’autant plus important, selon ce dernier, qu’avec la crise on a vu, dans un certain nombre de pays européens, des personnes qui n’avaient plus accès à l’eau potable ni à l’assainissement, faute de pouvoir payer leurs factures…»
Concrètement, la fourniture et la consommation d’eau sont dorénavant garanties en Slovénie. Le Parlement a dix-huit mois pour adapter la législation. «Le gouvernement aura désormais plus de contrôle sur la gestion, la distribution et l’exploitation des ressources en eau, estime David Sanchez. Pour cela, le pays va devoir modifier plusieurs textes de loi pour que, entre autres, la gestion de l’eau revienne à des régies publiques. L’État récupérera aussi les concessions d’usage de l’eau pour la fabrication de boissons, contrôlées actuellement à 60% par le privé (en l’occurrence Heineken), lorsqu’elles arriveront à échéance.»
«Les Parlements européen et slovène devraient rejeter le Ceta»
En faisant entrer le droit à l’eau potable dans la Constitution, il s’agissait pour le gouvernement slovène d’éloigner les convoitises des multinationales dans un contexte d’inquiétudes quant aux incidences des accords de libre-échange, comme le Ceta, sur sa capacité à contrôler et réglementer ces ressources. Dans ce petit pays alpin de 2 millions d’habitants, les entreprises étrangères de l’industrie alimentaire achètent en effet des droits d’une grande quantité de ressources locales en eau.
Le gouvernement slovène a d’ailleurs exprimé des réserves quant à l’ambiguïté de termes tels qu’«utilisation commerciale d’une source d’eau» dans le Ceta, mais aussi dans la manière dont celui-ci s’appliquerait aux droits d’eau existants et dans la capacité future des gouvernements nationaux à limiter les concessions déjà accordées. «Les accords de libre-échange peuvent limiter la capacité des États à reprendre le contrôle public sur les ressources en eau lorsque des investisseurs étrangers sont impliqués, comme c’est le cas en Slovénie. C’est pourquoi, pour garantir le droit à l’eau et le contrôle de cette ressource clé, les Parlements européen et slovène devraient rejeter le Ceta», milite David Sanchez.
Si les Nations unies ont reconnu en 2010 le droit à l’eau potable comme un droit fondamental, l’Union européenne n’est pas allée aussi loin, concédant seulement, en 2014, que l’eau n’est pas un produit comme les autres. Faire de l’accès à l’eau un droit pour tous les citoyens et l’intégrer dans la législation européenne, tel est l’objectif de l’initiation citoyenne slovène, mais aussi d’ONG et de la Fédération syndicale européenne des services publics. «Notre position de principe, c’est l’exclusion des services publics, dans leur large acception, des traités de libre-échange, insiste Guillaume Durivaux. C’est une lutte acharnée. Mais l’amendement constitutionnel en Slovénie montre que cela peut changer. C’est un signe positif adressé à l’ensemble des populations d’Europe.»
Par Alexandra Chaignon, paru dans L’Humanité et Gauchebdo
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