Comment la Poste maltraite ses employés

J’ai eu l’occasion, ces derniers temps, de rencontrer deux femmes qui ont fait jusqu’à maintenant toute leur carrière à la Poste. La première est une fille de buraliste des PTT qui, après un apprentissage dans la banque, est entrée à la Poste et a «repris le bureau» de son père à la retraite de ce dernier.

C’est dans son village; elle connait tout le monde. Lors de ses tournées, elle rend parfois un petit service aux personnes âgées, leur évitant par exemple d’aller faire leurs paiements au guichet. Par ce fait, elle crée du lien social.

Il y a un peu plus de dix ans, ce bureau postal a fermé. Elle a été mutée avec une diminution de salaire puisqu’elle a perdu son statut de chef de bureau.
Il y a quelque cinq ans, on lui propose de retrouver son statut de responsable de succursale, mais avec un taux de travail à 80%. Elle accepte et tient son guichet si bien que le chiffre d’affaires remonte… mais cela n’empêche pas la direction de décider la fermeture du guichet en fin de cette année. Quant à l’employée, elle doit retourner travailler dans une plus grande poste, sans pouvoir ré-augmenter son taux de travail. En étant déclassée, elle perdra encore 10% de son salaire.

Elle a déjà perdu, en quinze ans, près de 20% de son revenu et se retrouve proche du minimum, avec un mari sans travail depuis longtemps. A 57 ans, peut-elle refuser cette mutation de poste? Mais quel sens peut-elle donner à son travail? Or, trouver du sens à ce qu’on fait améliore autant le bien-être que la performance, comme l’ont démontré des études scientifiques. D’ailleurs, cette femme a besoin d’une médication régulière pour tenir le coup!

La seconde est une femme qui a connu tardivement le bonheur de devenir mère. On sait bien combien cela est un bouleversement en soi, mais le choc est parfois encore plus violent quand cela arrive alors qu’on n’y croyait plus vraiment. L’arrivée du bébé chamboule tout, le manque de sommeil se fait sentir, le rythme peine à se retrouver. Quand, à la reprise de son travail à la Poste après ses quatre mois de congé maternité, son chef lui annonce son licenciement après la période réglementaire, c’est le choc total.

S’ensuit un stress supplémentaire, avec l’incertitude d’un possible chômage, pour elle qui a travaillé depuis vingt ans à la Poste. Et comme parfois c’est trop dur, elle doit manquer son travail, ce qui entraîne des critiques très dures de la part de son chef et de ses collègues, au point qu’elle craque et que son médecin doive la mettre à l’arrêt prolongé.

La Poste est une entreprise comme une autre, me direz-vous, c’est la loi du marché et de la rentabilité qui compte. C’est pourquoi, elle restructure à tour de bras, délaissant des villages, et cherche à licencier son personnel pour éventuellement engager des gens sans formation, ou en déléguant les services de base à des commerces. La Poste refuse que ses employés rendent de petits services aux clients et exige «du chiffre». Ce sont alors les centres médicosociaux qui doivent prendre le relais, avec les coûts portés par les assurances et les bénéficiaires.

Pourtant, la Poste est majoritairement en main de la Confédération, donc en main publique. Elle pourrait peut-être faire œuvre d’exemplarité dans son traitement du personnel et pas seulement dans son rendement économique. Ce sont les mêmes autorités qui s’insurgent contre l’augmentation des coûts de la santé et cherchent à culpabiliser tantôt les gens (qui vont pour un rien chez leur docteur, qui fument ou qui boivent trop), tantôt les médecins (qui sont trop chers, surtout les spécialistes), tantôt les médicaments (qui sont les plus chers d’Europe). Mais si elles s’occupaient de la santé des employés, au moins dans les entreprises où elles sont majoritaires, sans doute ces deux femmes auraient-elles eu moins recours aux soins, seraient-elles plus performantes au travail, et peut-être auraient-elles pu encore rendre de menus services à leurs clients fidèles. Ceci est d’autant plus choquant que, depuis quelques années déjà, le bénéfice consolidé annuel de la Poste oscille entre 500 et 600 millions de francs.

Bien sûr que Monsieur Urs Schwaller, qui aura 65 ans dans un mois, président du Conseil d’administration de la Poste, membre du comité du Groupe mutuel et, encore récemment, sénateur PDC adoubé par la presse, n’y voit pas d’inconvénient, lui dont les gains associés à ces deux mandats ne sont pas touchés!
Le marché peut-il vraiment tout et est-il vraiment la panacée?

Le Courrier, 21 septembre 2017, Bernard Borel, Pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

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