Des soins dentaires à prix modéré

Au Point d’eau, des dentistes bénévoles traitent les plus démunis. La demande est toujours plus forte.
«En une heure, tous les rendez-vous du mois sont pris.» Catherine Ingold, réceptionniste du Point d’eau, voit passer chaque jour des personnes de tout âge, toute origine, demander une consultation au cabinet dentaire.


Une fois par mois, elle remplit l’agenda des dentistes sans réussir à répondre à la demande. Une quinzaine de professionnels bénévoles se relaient, pour assurer une présence 4 à 6 demi-journées par semaine. En 2016, ils ont effectué 1365 consultations.
Ici, les tarifs sont symboliques: 40 francs la consultation, 20 francs pour un détartrage. La fondation – qui propose des prestations d’hygiène, de santé et de conseils – accueille les personnes précaires de Lausanne, et du canton. Les sans-abri et personnes sans statut régulier représentent le gros des usagers du Point d’eau, mais le cabinet dentaire attire aussi des mères célibataires, des retraités ou des étudiants qui peinent à joindre les deux bouts.

Ils souffrent en silence

«Pour venir jusqu’ici, il faut beaucoup de courage. Vous affichez votre incapacité de vous faire soigner dans un cabinet privé», relève Catherine Ingold. Certains repartent sur la pointe des pieds, intimidés par la foule bigarrée de la salle d’attente.

Avant d’arriver jusqu’au Point d’eau, les patients ont souvent souffert en silence, pendant plusieurs mois. C’est le cas de Ludo (prénom d’emprunt), la vingtaine, soigné au cabinet depuis un an. «C’est un ami qui m’en avait parlé. J’avais mal aux dents depuis six mois, je prenais des calmants et je n’arrivais pas à manger correctement», raconte-t-il. Au Point d’eau, les soins, parfois en urgence, se concentrent sur le soulagement de la douleur.

A l’écran, la radiographie montre deux caries avancées. Penché sur la tête de son patient, le dentiste Kabir Khoshbeen s’apprête à poser un composite. Ludo a déjà reçu un traitement de racine. Selon le logiciel de suivi, le coût théorique des traitements effectués jusqu’ici sur les dents du jeune homme s’élève à 989 francs, prix qu’aurait payé Ludo dans un cabinet privé. «Avez-vous pris rendez-vous chez l’hygiéniste?» s’inquiète le dentiste, avant de laisser partir son patient.

Détérioration rapide

Retraité, Kabir Khoshbeen soigne des patients tous les lundis après-midi au Point d’eau, accompagné de son assistante. Les problèmes qu’il traite ici sont plus graves que ceux qu’il observait dans son cabinet privé, où les patients sont régulièrement suivis. «Il faudrait que tout le monde puisse bénéficier d’une consultation gratuite par an», lâche le dentiste.

Sans soins, l’état de la bouche se détériore rapidement. «Lorsqu’on perd une dent, les autres se déplacent et des problèmes surviennent sur les dents voisines», explique Kabir Khoshbeen. «Il y a un impact sur l’état psychologique et physique de manière générale», renchérit Verena Burgy, assistante dentaire. Le détartrage régulier, encouragé par les dentistes du Point d’eau, permet d’éviter inflammations de la gencive et chutes de dents.

Les personnes résidentes, les working-poor ou les retraités sont de plus en plus nombreux à frapper à la porte de l’institution. «Nous accueillons des patients en risque de pauvreté, qui ne reçoivent pas de prestations sociales mais n’arrivent pas à faire face à un imprévu. La facture de dentiste devient celle de trop, qui les plonge dans les dettes ou le désarroi», relève François Chéraz, directeur de l’institution.

Pour y échapper, beaucoup évitent le cabinet dentaire tant qu’ils ne souffrent pas d’un désagrément important. Et font l’impasse sur le détartrage. «Le problème surgit alors plus tard de manière plus douloureuse et onéreuse», regrette le directeur. Pour répondre à la demande toujours plus importante, le Point d’eau cherche régulièrement des dentistes bénévoles.

Le contre-projet du gouvernement remplumé

Le contre-projet du Conseil d’Etat vaudois à l’initiative pour le remboursement des soins dentaires a été quelque peu remplumé hier. Le Grand Conseil a accepté d’étendre aux personnes vulnérables de plus de 65 ans et en situation de handicap les prestations accordées en premier débat aux seuls jeunes.
Lors du premier débat, l’alliance de droite, qui réunit PLR, UDC et vert’libéraux, avait largement limité la portée du contre-projet du conseiller d’Etat Pierre-Yves Maillard à l’initiative du POP et de Solidarités pour le remboursement des frais dentaires. Elle avait restreint le cercle des bénéficiaires et ciblé le remboursement sur les mineurs et jeunes jusqu’à 25 ans.

Hier, lors du 2e débat, la vert’libérale Claire Richard a proposé que la loi puisse étendre ces mesures de promotion de la santé bucco-dentaires à ceux qui en ont vraiment besoin: les personnes ayant atteint l’âge de l’AVS ou en situation de handicap, lorsqu’elles sont particulièrement vulnérables.
«On est à un moment de vérité», a déclaré Pierre-Yves Maillard. Avec cette proposition, on donne plus de corps au contre-projet. D’un côté, on optimise la santé buccodentaire des jeunes. Et à partir de l’AVS et en cas de handicap, on s’assure qu’il n’y ait pas de renonciation aux soins dentaires pour des raisons financières, a estimé le ministre de la Santé.

Voilà un message qui peut passer en votation. Cela va en deça de ce que proposait le Conseil d’Etat, mais cette mesure permet de couvrir une partie de la population. Le contre-projet prévoyait des aides pour les adultes au-delà de 3% du revenu net, a rappelé Pierre-Yves Maillard.

L’initiative pour le remboursement des soins dentaires sera soumise au vote du peuple le 4 mars, a annoncé Jean-Michel Dolivo (Ensemble à gauche). Déposée en 2014, elle propose d’instaurer une assurance obligatoire pour les soins dentaires de base, avec un réseau de policliniques dentaires régionales. ATS

Le Courrier
22 novembre 2017, Sophie Dupont

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