Feu nourri contre l’État social

Confrontée à de multiples attaques, la fonction publique genevoise est repartie au front. Sa lutte devra s’inscrire dans la durée. Le point avec Albert Anor, président du SSP – Région Genève. (photo Eric Roset)

Après un premier débrayage le 4 décembre, les salariés de l’Etat et du secteur subventionné ont organisé une demi-journée de grève le 14 décembre. Le mouvement devra continuer, car il fait face à une déferlante d’attaques. Interview.

Pourquoi la fonction publique genevoise fait-elle à nouveau grève?

Albert Anor – En l’espace d’une vingtaine d’années, les gouvernements de coalition – intégrant les partis de droite, mais aussi le PS et les Verts – qui se sont suivis ont imposé plus de treize baisses d’impôts favorables aux hauts revenus et aux entreprises. Ils ont organisé un vaste transfert de richesse: des milliards de francs ont été retirés de la sphère publique pour être acheminés vers le privé, plus précisément la spéculation qui domine aujourd’hui l’économie capitaliste. On a coupé dans l’État social, dans les emplois nécessaires à des secteurs vitaux pour la population (santé, social, éducation, etc.). Tout cela pour satisfaire les actionnaires.

Aujourd’hui, le gouvernement genevois porte de nouvelles attaques contre le service public, d’une ampleur peut-être inégalée. Six chantiers sont ouverts: le budget 2018 et le plan quadriennal élaboré par le Conseil d’État, qui veulent accroître les mesures d’économies; Score et la Loi sur les traitements, qui veulent bouleverser le système salarial de la fonction publique et parapublique; la Loi sur la caisse de pension, qui entraînerait une importante baisse des rentes; et Projet fiscal 17 (PF 17), qui prévoit des cadeaux fiscaux pour les entreprises.

Pourquoi une telle avalanche de mesures?

Ces différents projets convergent vers un objectif: réduire l’État à portion congrue, abaisser le coût du travail dans le service public, tirer vers le bas le niveau de vie de milliers de travailleurs, au prix de leur santé – alors que la situation est déjà sur le fil dans de nombreux services, pensons aux HUG ou à l’IMAD ! Tout cela pour permettre une augmentation des bénéfices des grandes entreprises. Des bénéfices qui, comme l’ont montré les exemples d’ABB ou Merck Serono, ne se traduisent pas en création d’emplois !

Ces projets sont élaborés par le Conseil d’État. Mais derrière, ce sont les milieux patronaux qui dictent le tempo – comme on a pu le voir lors de la table ronde sur PF 17.

Leur entrée en vigueur conduirait à des dégradations gigantesques. Pour les salariés de la fonction publique, mais aussi pour l’ensemble de la population: au cours des dernières années, la situation sociale s’est dégradée à vue d’œil à Genève. Dans ces conditions, couper encore aurait des conséquences terribles.

Le budget 2018 sera voté sous peu par le Grand Conseil. Quels en sont les enjeux?

Nous revendiquons d’abord le respect de la Loi sur les traitements: le versement par l’État des annuités pour le personnel de l’Etat et son financement intégral pour les institutions subventionnées. La commission des finances s’est déterminée favorablement à notre demande, ce qui est le fruit de notre mobilisation. Mais rien n’est gagné. Nous devons maintenir la pression [ndlr: après la réalisation de cette interview, le Grand Conseil a confirmé le versement des annuités].

Ensuite, nous demandons la création des centaines de postes nécessaires pour permettre aux services – Hospice, soins à domicile, personnel administratif et technique dans l’enseignement, etc. – de fonctionner correctement et faire face à la demande supplémentaire. Les nouveaux postes annoncés sont totalement insuffisants. Les besoins des usagers croissent beaucoup plus vite que la population cantonale, en particulier en raison de sa précarisation accélérée [1], de ses besoins de formation et de son vieillissement.

Dans son plan financier quadriennal (2018 à 2021), le Conseil d’État prévoit des mesures d’économies de l’ordre de 44 millions de francs. Il a refusé de nous en révéler la teneur et exige que nous nous engagions dans une négociation! Il est exclu pour le SSP de cautionner cette mascarade quand on sait que, pour l’enseignement, plusieurs propositions inacceptables sont sur la table: une heure de plus d’enseignement hebdomadaire pour les maîtres du cycle d’orientation ou des élèves en plus par classe, ou encore la scandaleuse possibilité de limiter l’accès à l’école publique aux enfants de frontaliers!

Ces économies s’additionneraient aux coupes linéaires appliquées depuis quatre ans, qui sont maintenues. Ces dernières ont permis des économies de 470 millions sur quatre ans!

Tout cela prépare le terrain au Projet fiscal 17, qui entraînerait 500 millions de manque à gagner pour les caisses de l’Etat. C’est inacceptable: plus les inégalités se creusent, plus le Conseil d’État s’entête à réduire la pression fiscale sur les bénéfices des sociétés les mieux loties. Sur cette voie, il n’y a rien à négocier.

Les salaires sont aussi dans le collimateur…

Le projet Score donnera toute latitude au Conseil d’État de classer les gens comme il l’entend. Il s’accompagne d’une révision gravissime de la Loi sur les traitements.

Aujourd’hui, toute modification des salaires doit être adoptée par le Grand Conseil. Avec le changement de loi, les salaires seraient fixés directement par le Conseil d’Etat, via un règlement. L’Exécutif pourrait même déléguer cette compétence au conseil d’administration d’une institution (hôpital, université, IMAD, etc.).

C’est la porte ouverte à d’importantes baisses de salaires. Pendant ce temps, le Conseil d’État s’accorde une augmentation de traitement de près de 2000 francs par mois!

Que faire face à ces attaques?

Face au talon de fer du capital, nous devons mobiliser largement. Le 4 décembre, nous avons réussi notre retour à la mobilisation. La grève du 14 sera un autre moment important. Si le budget n’est pas voté cette semaine, nous appellerons à retourner dans la rue le 21 décembre.

La bataille sur le budget est une première phase: le Projet de loi sur la caisse de pensions ne sera pas voté avant 2018. Nous devrons nous y opposer avec force. Sur cette question, il est impératif de récolter et faire rentrer avant le 23 décembre les signatures pour l’initiative Asloca-Cartel, qui est à bout touchant !

Pour Score et la Loi sur les traitements, le débat parlementaire risque fort de déborder sur l’année prochaine. Et si le Grand Conseil les adopte, nous lancerons immédiatement le référendum.

La lutte contre l’austérité ne fait que commencer!

[1] « 64 000 personnes sont au bénéfice de l’aide sociale (14% de la population genevoise et 28% des familles monoparentales).» (Rapport de minorité de J. Batou de la commission des finances).

Interview «Services Publics», 15 décembre 2017

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