Coup de frein aux fermetures d’offices

Le parlement veut mettre son nez dans la planification du réseau postal et entend revoir les critères. Actuellement, 90% de la population doit pouvoir accéder à un office de poste ou une agence en vingt minutes. Le géant jaune constitue sans aucun doute le fil rouge de la très mal nommée session de printemps du parlement.
Après le salaire des dirigeants des ex-régies examiné lundi aux Etats, c’est sur le réseau postal que s’est penché jeudi le Conseil national. A une écrasante majorité (168 à 12), il a approuvé une motion venant de la Chambre des cantons qui cherche à serrer la vis en matière de restructuration du ­réseau postal. Seuls les vert’libéraux et une poignée de libéraux-radicaux s’y sont opposés.

Que réclame cette motion? Elle exige tout d’abord que La Poste remette «sans tarder» au Conseil fédéral un schéma de planification du réseau postal. Elle demande en outre au Conseil fédéral de revoir les critères qui définissent le service public. Il s’agira là de prendre en considération les particularismes régionaux, les conditions de mobilité ainsi que les différentes catégories d’utilisateurs des services postaux.
Le critère des 20 minutes

Le critère qui prévaut aujourd’hui, c’est que 90% de la population doit pouvoir accéder à un office de poste ou une agence en vingt minutes, à pied ou par les transports publics. Cette durée est portée à trente minutes si un service à domicile est proposé. Faites le calcul dans votre région et vous vous apercevrez bien vite que La Poste a encore de la marge pour fermer d’autres offices…

«Il ne s’agit pas de figer la situation de La Poste. Elle doit continuer à évoluer», tempère Frédéric Borloz (plr, VD). Pas question ainsi, comme le réclame Suzanne Leutenegger Oberholzer (ps, BL) dans une autre motion, d’imposer un moratoire à La Poste sur la fermeture des offices jusqu’à l’approbation d’un schéma de planification du réseau postal. «Si la question d’un strict moratoire n’a pas été abordée en commission, personne ne s’attend à ce que La Poste poursuive de manière effrénée sa politique de fermetures d’offices», a nuancé son camarade Philipp Hadorn (ps, SO).

Doris Leuthard, elle, s’est battue en vain pour que le plénum rejette cette motion. La conseillère fédérale a reconnu que La Poste n’avait pas toujours mené avec tout le tact souhaité les discussions avec les communes, ce qui a d’ailleurs justifié la formation d’un groupe de travail afin de mettre un peu d’huile dans les rouages. Mais aujourd’hui, il n’y a que trente communes, a-t-elle précisé, où des solutions n’ont pas encore pu être trouvées d’un commun accord.

Vers 800 à 900 offices

Pour le reste, a-t-elle martelé, «La Poste a toujours respecté à 100% les critères que lui a imposés le législateur». Et la démocrate-chrétienne de jeter une pierre dans le jardin du parlement: «Si les politiciens estiment que les critères doivent être modifiés, c’est à eux d’agir. La Poste ne peut pas en être rendue responsable.»

Rappelons que l’intention du géant jaune est de réduire le nombre d’offices à 800 ou 900 d’ici à 2020. Il en reste aujourd’hui environ 1250, contre 2400 encore en 2005. A Mathias Reynard (ps, VS) qui le lui a rappelé, Doris Leuthard a rétorqué qu’il oubliait l’augmentation en parallèle du nombre d’agences postales, hébergées souvent dans des commerces: «Pour la population, c’est le même service qui est offert, qu’elle aille dans un office de poste ou dans une agence.» Avec en prime souvent des horaires étendus permettant par exemple d’aller retirer ses paquets en rentrant du travail.

Pour sûr, ce sujet va continuer à alimenter les discussions. Quant à l’affaire Carpostal, on a appris jeudi qu’elle ferait l’objet d’un débat spécial au Conseil national le mercredi 14 mars. LA LIBERTÉ

COMMENTAIRE
Il est temps que la politique reprenne la main

A chaque fois qu’elle ferme un office de poste, la directrice du géant jaune, ­Susanne Ruoff, voit ses bonus augmenter. Ce n’est pas là un raccourci cavalier, juste la description crue d’un fonctionnement aberrant dans une entreprise qui tente de conjuguer jusqu’à confondre bénéfices et service public.

Dans l’affaire Carpostal, c’est bien pour gonfler les bénéfices que ses dirigeants ont bidouillé la comptabilité et détourné des subventions étatiques. Ils y avaient un intérêt tout personnel, puisque leurs bonus étaient directement corrélés à ces mêmes bénéfices.

Rien de tel au niveau de la maison mère? Vraiment? Jeudi, Doris Leuthard a objecté que les restructurations en cours sont justifiées par un réseau postal déficitaire à hauteur de 200 millions de francs par année. Si l’on gratte, on découvre que ce déficit vient étrangement de doubler après l’introduction de nouvelles méthodes comptables…

Et pendant ce temps, les secteurs des lettres et des paquets présentent de juteux bénéfices (317 et 117 millions en 2016). C’est dire que, pour son noyau dur d’activités, La Poste est encore largement bénéficiaire. Comme la répartition est essentiellement une affaire de facturation interne, il suffit de déplacer le curseur pour que le réseau postal se retrouve plus ou moins déficitaire, voire bénéficiaire.

Il est clair que les besoins de la population ont beaucoup évolué dans ce domaine et qu’il serait ridicule de figer dans le marbre un réseau d’offices issu d’une autre ère. Cette évolution doit toutefois être guidée par la volonté d’offrir le meilleur service à la population, et non par des critères purement financiers, artificiellement gonflés par les intérêts directs des dirigeants, liés aux bonus.

Il est temps que la politique reprenne la main sur les activités du géant jaune et mette au pas les financiers. La motion acceptée jeudi constitue une première avancée dans cette direction, mais encore bien timide. Il faudra vérifier si le parlement n’essaie pas là juste de se donner bonne conscience face à une grogne qui monte. PHILIPPE CASTELLA

Le Courrier, 2.03.2018

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