Les services publics ont-ils un avenir ?

Par leur travail et leurs impôts, les hommes et les femmes qui ont vécu en Suisse au long des siècles, ont contribué à édifier un patrimoine commun : nous en sommes les usufruitiers et devons le gérer et le défendre, pour concourir à une société plus juste, plus solidaire, plus humaine.

Le service public a une longue histoire basée sur la notion de « bien commun » ou d’« utilité commune » évoquée dès l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1948 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

Ce service public, garant d’une répartition des richesses produites dans la société mais garant aussi de l’égalité des chances, a-t-il encore un avenir ?

Quand on parle du service public, on entend les termes de service universel, de desserte de base, de secteur public ou de fonction publique. Ces termes se recoupent, se chevauchent, se confondent. A quoi correspondent-ils? Du ramassage des poubelles au service postal en passant par l’audiovisuel, les transports en commun, la culture, l’éducation ou la distribution d’eau courante, le terrain est aussi varié que vaste.

Le service public regroupe d’une manière générale toutes les activités ayant pour but d’être au service de la société. Il vise la satisfaction de certains besoins de la collectivité nationale dans une perspective d’intérêt général. Il a donc une fonction d’utilité collective et sociale. Le service public dépend de l’État qui en a la responsabilité. En Suisse, le Conseil fédéral entend plus précisément par service public “des services de base de qualité (…) comprenant certains biens et prestations d’infrastructure, accessibles à toutes les catégories de la population et offerts dans toutes les régions du pays à des prix abordables (…)”.

La desserte de base constitue un ensemble des prestations de base auxquelles la population a droit. En Suisse, c’est à la Confédération de la garantir et de s’assurer que l’ensemble de la population soit desservi avec les prestations importantes. Font notamment partie de la desserte de base en Suisse, l’accès à l’eau potable, l’élimination des eaux usées, les transports publics, la radio et la télévision, l’électricité, les hôpitaux, l’école, la formation, la police, la téléphonie avec connexion internet à haut débit, les services de secours, les pompiers, les bibliothèques, le contrôle aérien, l’élimination des déchets, le réseau routier, les prestations postales, la promotion de la culture et du sport.

Le service public est exercé par l’État ou par des organismes désignés par lui. Il concerne des activités dont l’objectif est de satisfaire des besoins d’intérêt général.

Les services publics ont trois principes fondamentaux :
- la continuité, qui implique que l’activité doit être exercée régulièrement et sans discontinuité,
- la solidarité, qui implique que les services publics doivent être adaptés à l’évolution des besoins collectifs
- l’égalité, qui interdit la discrimination entre les usagers du service.

Si auparavant, l’usager devait se conformer au service public, plus tard (après-guerre), on a estimé en règle générale que c’est le service public qui doit se conformer aux usagers, qu’il doit évoluer selon leurs besoins et que les usagers ont un droit sur le service public qu’ils payent ou ont payé avec leurs impôts.

Et l’avenir du service public ? Nous n’aurons pas la prétention d’épuiser le sujet, mais plutôt d’ouvrir le débat.

APPARITION DES SERVICES PUBLICS
Historiquement, les services publics se sont souvent constitués à la suite du développement de certaines technologies comme la téléphonie, à la suite du développement de connaissances médicales, à la suite de volontés charitables (Pestalozzi, policlinique lausannoise), mais aussi à la suite de luttes et de demandes des futurs usagers. P. ex. à Lausanne, la plupart des crèches et des garderies sont nées d’initiatives privées. Dans différents quartiers de la ville, les parents se sont associés pour garder leurs enfants respectifs et lorsque la tâche s’est révélée trop importante, ils ont procédé à l’embauche de personnel formé et demandé des subventions à la commune.

Les transports ont été développés d’abord pour acheminer les marchandises. La prise en charge de personnes est venue plus tard. Les transports ont été créés d’abord par des privés, ensuite par les communes, puis par les cantons ; enfin la Confédération est intervenue.

Le 20 janvier 1898, les électeurs ont approuvé à 70 % la «Loi fédérale concernant l’acquisition et l’exploitation des chemins de fer pour le compte de la Confédération, ainsi que l’organisation de l’administration des chemins de fer fédéraux». La campagne pour cette votation avait été âpre. Ceux qui préconisaient l’adoption de cette loi argumentaient comme suit : «Les chemins de fer suisses appartiennent au peuple suisse» et vantaient les mérites d’une centralisation du rail sous le contrôle de la Confédération. Les opposants à la proposition de loi, quant à eux, mettaient en garde contre une armée de fonctionnaires qui augmenteraient le pouvoir de la Confédération tout en minant ses finances. On retrouve donc les mêmes arguments à travers les siècles !

Les trains de la Schweizerische Centralbahn (SCB) circulaient déjà depuis 1901 pour le compte de la Confédération, mais il a fallu attendre que les conditions juridiques soient réunies avant d’assister à la création des Chemins de fer fédéraux CFF, le 1er janvier 1902, par la nationalisation de la SCB et plusieurs autres compagnies privées. Actuellement, les CFF appartiennent à 100 % à la Confédération.

La reprise de La Poste par la Confédération a été décidée presque sans opposition et ancrée dans la Constitution fédérale en 1848. Les inconvénients des Postes cantonales étaient trop évidents. Dès cette époque, la mission de la Poste était de transporter des voyageurs ainsi que des lettres, des colis et des fonds. L’introduction du chèque postal date de 1906. Ce monopole fut expressément étendu à la télégraphie en 1874 (Télégraphe) et au téléphone en 1878. Plus de 170 ans d’existence !

En 1920 ont été créés les PTT regroupant, sous une seule direction, la poste, la téléphonie et la télégraphie. En 1998, la réforme des PTT a abouti à la création de deux entreprises indépendantes, la Poste et Swisscom, qui sont devenues des sociétés anonymes de droit public.

En ce qui concerne les assurances sociales, la Suisse a longtemps été à la traîne par rapport à ce qui existait ailleurs en Europe occidentale. Ce n’est que dans la deuxième moitié du XXe siècle qu’on observe un net progrès de la sécurité sociale.

Son évolution peut être retracée en quatre étapes.
1. La première va de la fondation de l’État fédéral, en 1848, à la Première Guerre mondiale. Au niveau fédéral, de premières réglementations sont édictées, notamment dans le domaine de la protection des travailleurs (loi sur les fabriques, 1877). En 1901, avec la loi fédérale sur l’assurance militaire, la Suisse édicte sa première loi de sécurité sociale.
2. La deuxième étape va de la fin de la Première Guerre mondiale à la fin de la Seconde. On voit apparaître l’assurance-accidents (1918) et l’assurance perte de gain en cas de service militaire (1940). Dans les années 1920 est créée la base légale qui permettra la mise en place de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) et de l’assurance-invalidité (AI). La Confédération accorde des subventions et des allégements fiscaux aux caisses-maladie, aux caisses de pension et aux caisses de chômage.
3. La période qui va de l’après-guerre jusque dans les années 1990 est une phase d’extension des prestations de sécurité sociale. L’AVS est créée en 1948 et, plus tard, l’assurance-invalidité (1960) et l’assurance-chômage (1984). La prévoyance professionnelle est introduite en 1985, le modèle des trois piliers étant alors inscrit dans la Constitution.
4. Depuis le milieu des années 1990 on observe, d’un côté, une extension du système de protection sociale et, de l’autre, une réduction des prestations. D’importantes lacunes dans la protection sociale sont comblées avec l’assurance-maladie obligatoire (1996) et l’assurance-maternité (2004). Dans la prévoyance vieillesse, l’assurance-invalidité et l’assurance-chômage, par contre, on assiste à des restrictions et à des réductions des prestations.

On a assisté aussi à un renforcement progressif de la dimension marchande du service public, à l’idée que l’usager doive payer le service selon son coût. Auparavant, il était vu comme devant être servi uniformément, selon le principe d’égalité. Le nombre de services payants augmente en fonction de la décision des autorités d’augmenter les recettes.

Quelques Services publics assurés dans un contexte non marchand : Enseignement primaire et secondaire –– service de l’emploi – santé, sécurité sociale et aide sociale – environnement
Quelques services publics assurés dans un contexte plus ou moins marchand : Enseignement supérieur et recherche - La poste – swisscom – énergie – télécommunications – culture - sport et loisirs

Certaines activités de service public sont directement liées à la souveraineté de l’État. Ce sont des activités dites régaliennes comme la justice, la police, la défense nationale, les finances publiques, la production de monnaie… Aujourd’hui tout cela est remis en cause par la création de services de sécurité privés, d’armées privées, de tribunaux arbitraux privés comme celui dépendant de la Banque mondiale.

Si auparavant seul l’État (soit la BNS) frappait la monnaie, aujourd’hui toutes les banques privées créent de la monnaie scripturale. Seuls 10% de la monnaie que nous utilisons actuellement sont frappés par la BNS. 90% de cette monnaie est tout simplement de l’argent virtuel (monnaie scripturale) créé par les banques par simple clic numérique lorsqu’un crédit est accordé. Cette compétence des banques privées est remise en question et nous devrons voter sur ce point le 10 juin (initiative Monnaie pleine) pour dire si nous acceptons que la BNS frappe le 100% de la monnaie, papier et scripturale, ou si nous préférons conserver la situations actuelle.

Attaques aux services publics
Actuellement, le service public est attaqué de toutes parts. L’attaque la plus connue est celle contre les offices de poste. Société anonyme de droit public, La Poste Suisse appartient à 100 % à la Confédération. Actuellement, ses bénéfices annuels, se montent à 500 ou 900 millions. Ils sont versés à son seul actionnaire, la Confédération, mais pourraient intéresser le secteur privé…

En Suisse, le Conseil fédéral définit tous les quatre ans les objectifs stratégiques de la Poste, des CFF, de Swisscom et de Skyguide, qui sont tenus de l’informer chaque année de leur réalisation.

Mais nous savons bien comment ils contournent la loi en définissant leurs obligations de manière parfois tordue. Nous devons être attentifs à la façon dont les anciennes régies fédérales nous manipulent lors de l’application des lois votées par le parlement. P. ex. La Poste doit faire en sorte que le 90 % de la population résidente permanente puisse accéder à un office de poste ou à une agence postale, à pied ou par les transports publics, en 20 minutes. Pour justifier la fermeture d’offices postaux, elle fait une moyenne, sur tout le pays, entre les villes et les régions périphériques, au lieu de faire une moyenne par région.

Par ailleurs, CarPostal a perçu indûment 78 millions de francs de subventions fédérales et cantonales entre 2007 et 2015, selon un rapport de l’Office Fédéral des Transports qui a révélé ces irrégularités. La somme pourrait dépasser les 100 millions lorsque toutes les questions auront été élucidées.
De même, La Confédération a découvert des irrégularités dans des compensations avec de l’argent public dans deux sociétés de transports argoviennes. Le rapport de révision de l’Office fédéral des transports (OFT) daté de mars 2017 soupçonne un subventionnement croisé non autorisé, par lequel des forfaits pour les dépenses de la direction commune des deux entreprises ont été faussement enregistrés à hauteur de 300′000 francs et pendant des années.

Actuellement, les CFF, après avoir remplacé certains guichets par des commerces avec point de vente de billets CFF, envisagent de supprimer 52 de ces points de vente au profit d’automates et de leur application.. Comme pour La Poste, ils invoquent des raisons financières, au prétexte que les gens achèteraient de moins en moins leur billet au guichet. Mais les parlementaires et les syndics qui ont interrogé les CFF n’ont pas réussi à obtenir des chiffres précis. Dernière idée des CFF ; ils encouragent la vente de billets à l’automate en doublant la commission du commerçant si le billet est pris à l’automate et en faisant intervenir des employés (stagiaires ?) dans les grandes gares pour guider les usagers qui achètent leur billet à l’automate.
Les CFF ne nous disent pas la vérité : supprimer les guichets représenterait une économie de 5 millions ; 5 millions, c’est 1,2 % du bénéfice des CFF en 2017 et 0.000 5% de leur chiffre d’affaires ! Nous devons être attentifs à la manière dont nous sommes manipulés !

Plus encore, le Conseil fédéral entend développer le transport national et international par autocar dans les limites du cadre juridique actuel. Les lignes nationales d’autocars longue distance seront intégrées au système de transports publics existants. Le Conseil fédéral organise donc une concurrence entre transports publics, CFF et CarPostal, et entreprises privées !

Les actions de Swisscom sont cotées à la bourse de Zurich (SWX). Actuellement la Confédération détient 51,22 % du capital-actions et donc dispose de la majorité des voix dans l’entreprise comme le prescrit la loi. Et pourtant, Swisscom supprime 700 postes de travail pour faire des économies !

Soyons bien conscients que les usagers sommes des « clients captifs » des services publics, alors que ces services ont été créés pour eux ! Cela suppose un marché potentiel gigantesque qui attire des convoitises. Les services susceptibles d’être privatisés sont ceux qui seraient bénéficiaires. Ce n’est pas le cas des autres, évidemment. Comme dans les entreprises privées, on privatise les gains et on socialise les pertes.

Un secteur fortement attaqué est celui de la santé. Au Parlement fédéral, par exemple, entre 20 et 30 parlementaires sont liés à une assurance maladie. Plusieurs siègent dans les commissions de la santé. Heinz Brand (UDC/GR) par exemple préside Santésuisse, le lobby des caisses maladie. Jusqu’à sa candidature au Conseil fédéral en juillet dernier, le Tessinois Ignazio Cassis présidait le groupe rival Curafutura. Les deux associations avaient ainsi leur homme directement à la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national.

Beaucoup d’hôpitaux construits par les communes ou l’État sont peu à peu supprimés pour favoriser les grands hôpitaux, laissant les régions périphériques avec une couverture médicale insuffisante.

L’éducation intéresse beaucoup les milieux d’affaires. Les partenariats public-privé les ont investis, comme c’est le cas à l’EPFL et sa bibliothèque, mieux connue comme le Rolex learning center. Beaucoup d’investissements d’entreprises privées font craindre pour la liberté académique.
l’audiovisuel a aussi été attaqué, heureusement en vain, à travers son point faible, par l’initiative NoBillag.

L’attaque la plus frontale vient des traités de libre échange. Pour la Suisse, le plus important est TISA, Trade in services agreement ou ACS, Accord sur le commerce des services. Les services publics seraient privatisés et ceux qui sont encore gratuits deviendraient payants, même le secteur des services ! A noter, un service public privatisé ne pourrait pas être renationalisé et le service public ne pourrait plus créer de nouveaux services. C’est une des attaques la plus frontale que les services publics subissent.

Les services publics et l’UE
Un dernier regard sur la position de l’Union européenne. Dans ses traités elle ne mentionne explicitement le service public que dans le cadre des transports (article 73 CE). La législation et la jurisprudence européennes utilisent habituellement des concepts jugés plus précis et indépendants du pays concerné :
- les « services d’intérêt général » (SIG), prestations servies aux administrés par les pouvoirs publics, soit directement, soit par délégation à des tiers.
- les « services d’intérêt économique général » (SIEG), sous-catégorie des SIG qui relèvent du secteur marchand.

Il n’existe pas de réglementation des services d’intérêt général (SIG) dans leur ensemble au niveau européen. Ils restent donc de la compétence des États membres ou des collectivités locales mais reconnus en 1996 comme étant « sont au cœur du modèle européen de société ».

L’Union européenne s’intéresse en revanche de près aux services d’intérêt économique général (SIEG), pas définis précisément. La Commission européenne et la Cour de justice tentent de concilier, dans le cadre des SIEG, le respect des missions de service public avec le principe de libre concurrence, principe fondamental de la politique économique de l’Union européenne. C’est dans ce cadre que la Commission mène une politique de libéralisation des principaux services dits « d’intérêt économique général » (SIEG).

Elle veille tout particulièrement à ce que les financements des services publics par les États ne faussent pas le jeu de la concurrence. Donc tous ces secteurs sont susceptibles d’être de plus en plus libéralisés.

Alors, quel avenir pour le service public ? Tant que les usagers se battront pour le défendre, tant qu’ils refuseront de devenir des clients de services payés par nos impôts, nous pourrons penser à un avenir pour le service public. Autrement, les privatisations continueront bon train.
Pourquoi les soins dentaires ne peuvent-ils pas être inclus dans la LAMal ? Pourquoi l’assurance pour les soins dentaires a-t-elle été attaquée si fortement ? Évidement, c’est pour répondre au secteur dentaire privé et pas aux besoins des gens.

Oui le service public est menacé. Il semble même devenir l’ennemi à abattre. Il règne une grande confusion sur les missions qu’il est sensé poursuivre dans l’intérêt général des citoyens.

Dans un monde de libération des règles instituées du vivre-ensemble, nous devons rappeler qu’il ne peut y avoir du commun sans des services publics et des institutions pour régir cette politique. Le service public est un gage de répartition des richesses créées par la société toute entière. La vocation du service public est d’être ouvert à tous, et non à quelques-uns.

Seuls des services publics efficaces sont à même de garantir une régulation sociale qui soient au service de tous, comme en témoignent aujourd’hui par exemple l’éducation, la santé et les assurances sociales.

Les droits humains, la protection de l’environnement, la mobilité des personnes, l’égalité entre les hommes et les femmes, la sécurité, le devoir d’hospitalité sont des victoires du service public. Toute cette construction institutionnelle a pris des siècles à se construire pour se mettre au service de l’intérêt général et de la souveraineté des États.

Mais il y a d’autres manières de voir les choses : Evo Morales, président de la Bolivie, vient de déclarer lors du IV Sommet de la communauté d’États latino-américains et des Caraïbes qui a eu lieu en Équateur en mai 2018, que les services publics comme l’énergie, l’eau, le gaz, sont un droit humain en Bolivie et a informé qu’il en a fait baisser les prix pour que tous puissent y avoir accès.

Quel avenir pour les services publics ? Nous n’avons pas de réponse toute faite, nous ouvrons le débat.

Acidus

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