Le Conseil national s’apprête à se pencher sur le projet RFFA. Quel serait l’impact de son volet fiscal sur les finances publiques? Éléments de réponse. Au cours de sa session d’automne, le Conseil national scrutera le projet de Loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS.
Les grandes lignes du projet, adoptées par le Conseil des États, semblent solidement fixées (1). Ce projet fait l’objet d’un important débat syndical. Au sein du SSP, il sera tranché lors de l’Assemblée des délégués du 29 septembre.
Pour les salariés du service public, ce débat revêt une importance particulière. Dans cette perspective, les prochaines éditions de notre journal proposeront plusieurs articles sur le thème. Objectif: présenter les enjeux liés à RFFA, ainsi que les points de vue qui s’affrontent. Ci-dessous, nous nous penchons sur la question des conséquences financières du projet pour les collectivités – et donc le financement du service public.
LES CHIFFRES OFFICIELS. En mars 2018, le Conseil fédéral estimait à 686 millions de francs par an les pertes induites par le Projet fiscal 17 (PF 17) pour les caisses de la Confédération. En y ajoutant le manque-à-gagner pour les cantons et les communes, il chiffrait l’ardoise totale à 1,8 milliard de francs annuels (2). Une étude commanditée par la Commission de l’économie et des redevances du Conseil des États, basée sur des scénarios «dynamiques» et de nombreuses hypothèses, esquissait même un scénario rose: PF 17 pourrait entraîner une hausse globale des recettes(3).
En mai, le Conseil des États a légèrement retoqué la révision fiscale, désormais englobée dans le projet RFFA (lire ci-contre). Selon la Chambre des sénateurs, la facture fiscale en serait quelque peu alourdie: 2,1 milliards de francs annuels en moins pour la Confédération, les cantons et les communes.
Pour Daniel Lampart, secrétaire dirigeant de l’Union syndicale suisse, les projections du Département fédéral des finances tiennent la route. Selon lui, le volet fiscal de RFFA aurait des conséquences positives pour les finances de la Confédération: «À l’avenir, les actionnaires devront payer plus d’impôts, parce qu’une partie des baisses d’impôt de la deuxième réforme de l’imposition des entreprises sera annulée. Les impôts sur le bénéfice
resteront les mêmes.»
DUMPING CANTONAL. Pour M. Lampart, le problème principal réside dans la course au dumping lancée par les gouvernements cantonaux: «Si ceux-ci baissent de manière générale leurs impôts sur les entreprises, cela provoquera des pertes fiscales trop élevées pour les cantons et les communes.» Pour répondre à la suppression des statuts fiscaux spéciaux, les cantons se préparent en effet à adopter une dégringolade de leur taux d’imposition des bénéfices – de 19,6% à 14,6% en moyenne helvétique(4).
PERTES SOUS-ESTIMÉES? Autre son de cloche du côté de Sergio Rossi, professeur ordinaire de macroéconomie et d’économie monétaire à l’Université de Fribourg. Pour M. Rossi, les pronostics officiels autour de RFFA ne sont guère crédibles: «Il est impossible d’estimer les pertes de recettes fiscales suite à la RFFA car l’avenir est inconnaissable. On peut néanmoins prédire que ses partisans sous-estiment celles-ci car ils négligent leur impact négatif sur les dépenses de consommation des ménages de la classe moyenne suite à la réduction des dépenses publiques que ces pertes vont sans doute induire.»
Selon M. Rossi, il est même «impensable que les recettes fiscales de la Confédération restent les mêmes car les entreprises ne vont pas investir davantage»: elles préféreront «placer la très grande partie de leurs profits nets sur les marchés financiers globalisés».
4 À 5 MILLIARDS PAR AN? Ce point de vue est partagé par Sébastien Guex, professeur ordinaire d’histoire à l’Université de Lausanne et spécialiste des finances publiques: «Dans le but de favoriser une baisse des impôts sur les bénéfices, la Confédération versera aux cantons une part plus élevée (21,2%) des recettes de l’Impôt fédéral direct. Elle renoncera à la part qu’elle prélève aujourd’hui sur le pour-cent supplémentaire de TVA introduit pour des raisons démographiques; et elle versera 800 millions en plus à l’AVS.»
Au total, la Confédération essuierait ainsi, selon M. Guex, un trou d’au moins 2 milliards de francs par an. D’ailleurs, ajoute-t-il, Berne prépare déjà un plan d’austérité au niveau fédéral afin de compenser ce manque-à-gagner.
Pour M. Guex, la facture globale de RFFA pour les collectivités publiques est aussi largement sous-évaluée: «La baisse des taux d’imposition cantonaux entraînera de lourdes pertes fiscales. Il faudrait y ajouter le manque-à-gagner dû aux montants que les entreprises pourront déduire de leur bénéfice imposable grâce à la Patent Box, à la soustraction de leurs dépenses de Recherche et développement (qui pourraient s’élever en réalité à 167,5% des dépenses effectives en R&D) et, pour le canton de Zurich, à l’application des déductions pour intérêts notionnels. En tout, il faudrait tabler sur 4 à 5 milliards de pertes annuelles.»
LE SPECTRE DE LA CRISE. «Un chiffre qui prendra l’ascenseur lorsque se déclenchera la prochaine et inévitable crise financière», ajoute le professeur. Et qui n’a rien de rassurant pour le service public. ◼︎︎
(1) NZZ, 14 août 2018.
(2) Message du Conseil fédéral, mars 2018.
(3) Martin Daepp, David Staubli: Dynamische Schätzung der Einnahme-effekt der Steuervorlage 17. Berne, 19 mars 2018.
(4) NZZ, 22 mars 2018.
Repérages
DE LA RIE III À RFFA
Ce qui change, ce qui reste.
Le 12 février 2017, la troisième révision de l’imposition des entreprises (RIE III) était refusée par 59,1% des votants. La RIE III prévoyait la suppression des statuts fiscaux spéciaux accordés aux multinationales présentes en Suisse. En parallèle, elle visait à consolider le paradis fiscal helvétique.
D’une part, en mettant sur pied une «boîte à outils» fiscaux – Patent Box, déduction des dépenses de recherche et développement et déduction des intérêts notionnels. Avec, à la clé, d’énormes déductions (jusqu’à 80%) sur le bénéfice imposable des entreprises.
D’autre part, la Confédération mettait 1,1 milliard de francs à disposition des cantons en relevant leur participation à l’Impôt fédéral direct (de 17% à 21,2%). Objectif permettre la baisse des taux cantonaux d’imposition des bénéfices.
Le 21 mars 2018, le conseiller fédéral (UDC) Ueli Maurer publiait son Message concernant le Projet fiscal 17 (PF 17). Le projet incluait une «contrepartie sociale», via la hausse (30 francs) du montant minimal des allocations familiales. Mais il essuyait de nombreuses critiques, car très proche de feu la RIE III.
Le 16 mai dernier, la Commission financière du Conseil des Etats sortait une nouveauté de son chapeau: le projet de Loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA).
Au niveau fiscal, RFFA maintient les piliers de la RIE III: la ristourne de la Confédération aux cantons, la Patent Box (quelque peu recadrée) et les déductions pour Recherche et développement. La déduction des intérêts notionnels (NID) est même réintroduite pour le canton de Zurich.
Au niveau des modifications: le rabais fiscal accordé aux détenteurs de dividendes est légèrement abaissé au niveau fédéral, à 30% (50% dans les cantons); le principe de «l’apport en capital», qui a permis aux actionnaires de soustraire des milliards au fisc, est partiellement corrigé; et la part totale des déductions est limitée à 70%.
La principale nouveauté réside dans le lien tissé entre la révision fiscale et le financement de l’AVS. Le principe est le suivant: «Pour chaque franc d’impôt perdu en raison de la réforme de l’imposition des entreprises, un franc doit être versé à l’AVS.»
Au total, 2,1 milliards lui seraient versés, grâce à trois canaux de financement: une légère augmentation des cotisations salariales; le versement par la Confédération de l’intégralité du pour-cent dit «démographique» de TVA; et l’augmentation (+ 800 millions) de la contribution fédérale à l’AVS.
Le Conseil national s’emparera du projet cet automne (10 au 28 septembre). La votation finale aux Chambres aura lieu à l’issue de cette session. GZ
24 août 2018 . services PUBLICS
Guy Zurkimden, rédacteur
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