Sur le marché du logement, l’ex-régie fédérale agit comme n’importe quel promoteur, sans considération pour l’intérêt collectif.
Pour la majorité de la population, les CFF sont une entreprise d’État qui œuvre pour l’intérêt collectif dans le domaine des transports.
Mais depuis le 1er janvier 1999, date de la transformation de la régie fédérale des Chemins de fer fédéraux en société anonyme, le profil des CFF a bien changé. En effet, au-delà de développer et de gérer le réseau ferré et de moderniser les rames de chemin de fer et de les faire circuler, les CFF sont devenus – et la population l’ignore – le deuxième acteur immobilier de Suisse. Ce qui est plus frappant encore, c’est que les CFF, sur le marché du logement, n’agissent pas dans l’intérêt collectif, mais comme n’importe quel promoteur ou même spéculateur privé.
Comment en est-on arrivé là?
La revue d’architecture suisse alémanique «Hochparterre» du 1er août publie un article qui illustre en détail ce parcours et surtout des chiffres ahurissants, que nous reprenons ici.
Il faut se rappeler que, lors de la transformation des CFF en SA, les CFF ont reçu gratuitement de la Confédération tous les terrains affectés au rail. Plus même, les CFF ont négocié avec de nombreuses communes et certains cantons pour obtenir – le plus souvent gratuitement –les terrains propriété publique affectés au rail qui leur échappaient. Or, avec la réorganisation et la modernisation du réseau et la gestion du réseau ferré, tout particulièrement dans les villes, au cœur des centres urbains, progressivement de grandes surfaces en mains des CFF n’ont plus été nécessaires à l’exploitation ferroviaire. Les CFF n’ont jamais pensé à restituer à la Confédération, aux cantons ou aux communes les terrains devenus inutiles à leur activité afin que ces entités publiques les utilisent pour leurs politiques économiques ou de logement. Bien au contraire, les CFF ont exploité au maximum les capacités constructives de ces espaces avec un pur objectif de rendement. C’est ainsi que les CFF sont devenus en catimini un énorme promoteur et gérant immobilier, essentiellement dans la région lémanique, à Bâle et à Zurich.
Aujourd’hui, les CFF gèrent 3500 bâtiments, dont 800 gares. Le secteur immobilier des CFF est d’une telle ampleur que ce sont 800 employés qui travaillent pour ce secteur de l’entreprise. En dix ans, les revenus immobiliers ont augmenté de 50% en raison des nouvelles constructions en des lieux très prisés. Ce sont 4,15 milliards de francs qui ont été encaissés à titre de loyer entre 2007 et 2017. En 2017 seulement, les revenus du parc d’immeubles a atteint la somme de 480 millions de francs. Et les CFF ne s’arrêteront pas en si bon chemin vu les projets en cours et à venir et leur politique quant au niveau des loyers. Actuellement déjà, les 1,02 millions de mètres carrés de surfaces locatives sont valorisés à 449 fr. le mètre carré par an, soit 50% de plus que le rendement de 298 fr. le mètre carré par an réalisé sur ses biens immobiliers par SPS (Swiss Prime Site), le plus important fonds immobilier coté en Bourse.
Des loyers peu sociaux
Quelques exemples illustrent l’approche spéculative des CFF. A Zurich, le long de la gare actuelle, un nouveau quartier rutilant sort de terre et est mis en location ou en vente. C’est la promotion de l’Europaallee. Les CFF y louent des 3,5 pièces à 4,5 pièces, selon les secteurs de la promotion entre 4940 fr. et 5885 fr. par mois et 3350 fr. et 5630 fr. Il est loin le temps où les CFF et la Confédération promouvaient les coopératives d’habitation pour les cheminots!
A Genève, en matière de logement, les lois d’aménagement du territoire, singulièrement la loi générale sur les zones de développement, limitent même pour les CFF les prix de location et de vente en cas de PPE. Mais les CFF se rattrapent avec les promotions de bureaux, comme celle à Pont-Rouge qui a vu les CFF jouer en plein le rôle de promoteur et vendre les tours de bureaux pour près d’un demi-milliard de francs.
En résumé, il apparaît que l’initiative de l’ASLOCA «Davantage de logements abordables» se justifie pleinement lorsque même les opérateurs publics se moquent des besoins des petites gens et de la classe moyenne de notre pays et préfèrent la spéculation immobilière, dans une normalité indécente et silencieuse et le soutien irresponsable du Conseil fédéral.
Carlo Sommaruga, Président de l’ASLOCA Suisse, Droit au logement 236, septembre 2018
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